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il a des ondulations balancées qu’on dirait éternelles comme le mouvement des mers. L’espace continue le bloc de basalte ou de bronze en recueillant à sa surface l’illumination confuse qui sourd de ses profondeurs. L’esprit de l’Égypte agonisante essaie de recueillir pour la transmettre aux hommes qui viendront, l’énergie générale éparse dans l’univers.

Et c’est tout. Les parois de pierre qui contenaient l’âme égyptienne sont brisées par l’invasion qui recommence et la trouve à bout de force. Toute sa vie intérieure fuit par la blessure ouverte. Cambyse peut renverser ses colosses, l’Égypte ne sait pas trouver une protestation virile, elle n’a que des révoltes de surface qui accentuent sa déchéance. Quand le Macédonien viendra, elle le mettra volontiers au rang de ses dieux, et l’oracle d’Ammon ne fera pas de difficultés pour lui promettre la victoire. Dans la brillante époque alexandrine, son effort personnel sera presque nul. Ce sont les sages grecs, les apôtres de Judée, qui viendront boire à sa source à peu près tarie mais encore toute pleine de mirages profonds, pour tenter de forger au monde désorienté, avec les débris des vieilles religions et des vieilles sciences, une arme idéale nouvelle. Elle verra d’un œil indifférent le dilettante d’Hellas visiter et décrire ses monuments, le parvenu romain les relever. Elle laisse le sable monter autour des temples, le limon envahir les canaux, noyer les digues, l’ennui de vivre recouvrir lentement son cœur. Elle ne dira pas le vrai fond de son âme. Elle a vécu fermée, elle reste fermée, fermée comme ses cercueils, comme ses temples, comme ses rois de cent coudées qu’elle assied dans l’oasis, au-dessus des blés immobiles, le front dans la solitude du ciel. Leurs mains n’ont jamais quitté leurs genoux. Ils se refusent à parler. Il faut les regarder profondément, et chercher au fond de soi-même l’écho de leurs confidences muettes. Alors, leur somnolence s’anime confusément… La science de l’Égypte, sa religion, son désespoir et son besoin d’éternité, cette immense rumeur de dix mille années monotones tient toute dans le soupir que le colosse de Memnon exhale au lever du soleil.