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dont les grands visages purs fixent depuis trois ou quatre mille ans sans cligner les paupières, le soleil terrible qui les sculpte d’ombres et de lumières absolues. Les monstres qu’il dresse en bordure des avenues, les monstres qui ne disent rien et qui révèlent tout, sont rigoureusement logiques, malgré leur tête d’homme ou de bélier sur leur corps de lion. Cette tête s’attache naturellement aux épaules, les muscles à peine indiqués ont leurs insertions et leurs trajets normaux, les os leur architecture nécessaire, et de l’extrémité des griffes, des plans silencieux des côtes, de la croupe et du dos à la boîte crânienne ronde, à la face méditative, les forces vitales circulent d’un même flot continu. Quand l’artiste taille en plein bloc ces formes absolues dont les surfaces , semblent déterminées par les volumes géométriques se pénétrant selon des lois immuables d’attraction, on dirait qu’il garde, au fond de son instinct immense, le souvenir de la forme commune d’où viennent les formes animales, et, par-delà les formes animales, de la sphère originelle d’où les planètes sont sorties et dont la gravitation du ciel avait sculpté la courbe. L’artiste a le droit de créer des monstres, s’il sait en faire des êtres viables. Toute forme adaptée- aux conditions universelles de la vie est plus vivante, même si elle n’existe que dans notre imagination, que telle forme organisée réelle qui remplit mal sa fonction. Les cadavres desséchés que la terre égyptienne finira par absorber, miette après miette, n’ont pas la réalité de ses sphinx et de ses dieux épouvantables à corps d’hommes, à tête d’épervier et de panthère, où l’esprit a déposé son étincelle. Dans tous les sens, et d’où qu’on les regarde, ils ondulent comme un flot. On dirait qu’une ligne insaisissable de lumière tourne autour d’eux, caresse lentement une forme invisible que révélera son étreinte, cherchant d’elle-même, sans l’intervention du sculpteur, où il faut qu’elle s’infléchisse, où il faut qu’elle s’insinue, pour moduler à peine, par imperceptibles passages, à la façon de la musique, leur ondoyante progression.

Mais cette science définitive brisera la statuaire. Une heure arrive où l’esprit, dirigé sur une seule voie, n’y peut plus rien