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qu’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes.

Imbus d’idées sociales de justice et d’égalité ; ayant introduit dans nos organisations le principe de la solidarité ; ayant conscience de la dignité humaine, nous ne croyons pas qu’il soit désirable comme but révolutionnaire d’aboutir à une dictature quelconque.

C’est pourquoi nous sommes contre l’État quel qu’il soit ; contre l’Autorité d’où qu’elle vienne ; contre toute Dictature, y compris celle du prolétariat. Cela est clair.

Notre système de socialisation ne peut donc pas concorder en tous points avec celui des socialistes d’État. Notre doctrine libertaire n’est pas celle qui se conforme à l’évangile marxiste : elle en est le contraire en ce qu’elle n’admet ni l’État, ni l’Autorité.


Telle que nous la concevons, la commune fédérale sera, pour la socialisation, formée de l’ensemble des travailleurs. Ceux-ci appartenant, avant la révolution, à leurs groupements divers : corporatifs, comme producteurs, ainsi qu’à leurs groupes coopératifs, comme consommateurs et autres groupes sociaux d’idées et de solidarité, savent déjà ce qu’ils veulent et, à cause de cela, ils sont, par la logique des choses, à la tête du mouvement révolutionnaire. Ce sont les événements qui aident, d’eux-mêmes, la propagande (la propagande par les faits, c’est le cas de le dire). L’effervescence du moment fait, par elle-même, le recrutement.

Tout naturellement, chacun de ces groupes a, au comité général d’action révolutionnaire, son délégué. C’est ce qu’en Russie on a appelé « le soviet ». Chaque localité importante a le sien. Ce sont, en somme, des fédérations de producteurs ; fédérations locales, départementales, régionales.

La Fédération des Bourses du Travail voyait déjà, sous l’impulsion fédéraliste que lui donna son secrétaire Fernand Pelloutier, dans chaque Bourse du Travail, l’embryon de la Commune libre des Producteurs au lendemain de la révolution. Plus tard, le successeur de Fernand Pelloutier fit adopter, par un Congrès des Bourses du Travail, la substitution des Unions locales de syndicats aux Bourses du Travail. Celles-ci devenues dangereuses à l’indépendance de l’organisation syndicale ne furent plus qu’un immeuble, une Maison du Peuple, de plus ou moins d’importance ; ainsi fut sauvegardée l’autonomie des syndicats et unions de syndicats. Le principe fédéraliste triomphait ainsi de la main-mise de l’État et des municipalités qui tendaient à enchaîner le Prolétariat. (À ce propos, sont intéressants les rapports fournis aux congrès et conférences des Bourses du Travail ou Unions de syndicats, 1901 à 1912.)

Notre union de syndicats, ou fédération, ou soviet, (c’est en somme notre commune fédérale), est constituée afin de pourvoir à tout : production, répartition, échange, consommation, etc. Bien que n’étant pas du domaine exclusif de telle ou telle corporation, mais les intéressant toutes, sont également du ressort de l’administration communale ce qu’on est convenu d’appeler les services publics. Il y a les services publics locaux, départementaux et les services publics d’une portée plus générale, plus étendue, intéressant plusieurs communes et pouvant peut-être un jour les intéresser toutes, comme, par exemple : les Travaux publics, l’Échange, l’Alimentation, la Statistique, l’Éducation, l’Assistance, la Sécurité, l’Hygiène, les Transports, etc. Tenons bien compte qu’il n’y a plus, depuis la révolution, ni gouvernement, ni État.

La socialisation que nous voulons n’est pas l’application du collectivisme d’État. Notre communisme libertaire ne peut cependant être une sorte de caricature d’un gouvernement local, ni celui d’un groupe autoritaire prétendant agir au nom de tous pour défendre

ceci, ordonner cela avec absolutisme et menace, fabriquer des décrets, etc…

La commune prolétarienne doit administrer, de par la force morale d’un pacte de solidarité conclu entre tous les habitants de chaque localité, égaux en devoirs comme producteurs et, bien entendu, égaux en droits comme consommateurs. C’est la mise en pratique du droit de tous à tout par une sorte d’association de mutualité garantissant le nécessaire d’abord et l’abondance raisonnable à chacun, pour tous les besoins matériels, intellectuels et autres de la vie.

Tel se conçoit le nouveau Contrat social envisagé par le communisme libertaire. En tenant compte des richesses accumulées et non employées par tous et pour tous, par ignorance et mauvaise, injuste, stupide administration des choses, par l’abus et le gaspillage de certains produits et l’ignoble organisation sociale actuelle du régime capitaliste de la société bourgeoise, le Peuple est lésé de son bien-être. Il faut mettre ordre à tout cela administrativement.

Prenons de suite les chapitres qu’il y a urgence de mettre au point pour rendre le Peuple matériellement heureux par une socialisation intelligente et intégrale.


Travaux publics. — Tous les immeubles d’habitation sont la propriété communale.

Dès le lendemain de la révolution, chacun continue d’habiter, provisoirement, le logement qu’il occupe, à moins qu’il ne soit reconnu (par une commission spéciale), inhabitable et désigné pour la démolition d’urgence. En ce cas, les occupants des taudis et logements insalubres ou incommodes sont installés dans les logements libres dont les occupants opulents ont fui la révolution.

Aussitôt, la fédération du bâtiment, par ses syndicats rayonnant sur tout le territoire, entreprend, au nom de la communauté nationale, la construction d’immeubles ne contenant que logements sains, spacieux, confortables, pour recevoir au plus tôt les familles entassées misérablement dans les taudis infects dont les propriétaires touchaient les revenus.

Chaque commune s’occupera avec ardeur de donner satisfaction en ce sens. Les architectes de la bourgeoisie seront heureux de faire oublier les services rendus par eux aux propriétaires rapaces du régime disparu et mettront au service de la commune leurs capacités techniques, en visant au luxe collectif des immeubles nouveaux et au dernier confort modernisé, selon l’hygiène, pour chaque logement ou appartement. Chaque immeuble aura ses cours et ses jardins, l’air et la lumière, le soleil et la chaleur partout et pour tous.

Avec la construction des maisons et leur entretien, s’activeront la construction des chemins, des rues, des canalisations, des égouts, leur perfectionnement, leur propreté, leur aération, leur arrosage. De l’eau, encore de l’eau, toujours de l’eau ! De l’eau claire, saine en abondance pour la boisson, la cuisine, la propreté.

La socialisation que nous voulons n’admet pas la demi-mesure en ce qui concerne les choses essentielles à la vie. Ce ne sont pas de dérisoires réformes, de ridicules améliorations d’hygiène, d’intéressées institutions de bienfaisance servant de réclame à des candidats de toutes nuances. Non, c’est un minimum superbe et durable de bien-être pour tous, dans l’habitation aussi bien que dans la ville. De l’eau, de l’électricité partout et pour tous les citoyens égaux. Ce n’est pas la charité qui doit opérer, mais la solidarité pour la satisfaction entière des besoins essentiels de l’existence. Que de choses il y aurait à dire encore ! Mais espérons qu’on saura faire plus qu’on ne pourrait dire. Volonté, ténacité, telles seront les qualités dominantes des révolutionnaires en œuvre de rénovation et d’intelligente socialisation.