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politique révolutionnaire, consistant à nommer des comités, sous-comités, commissions, sous-commissions, caricatures de Parlement, de ministères et autres groupes d’atermoiements qui ne valent pas le moindre groupe d’action sachant prendre possession partout de ce qui appartient au Peuple, c’est-à-dire tout simplement au travailleur pour travailler, au producteur pour produire. L’usine et son machinisme, l’atelier et son outillage remis à qui de droit au nom de la collectivité, la voilà vraiment la socialisation que nous voulons opérer en gros et en détail, comme dit la chanson :

Ouvrier, prends la machine ;
Prends la terre, paysan !

Dans son discours inaugural du parti communiste allemand, en décembre 1918, Rosa Luxembourg rappelait les mesures immédiates que préconisait, soixante-dix ans plus tôt, le Manifeste Communiste de Marx et d’Engels : 1°Expropriation de la propriété foncière ; 2° Impôt fortement progressif ; 3° Abolition de l’héritage ; 4° Confiscation de la propriété des émigrés et des rebelles ; 5°Centralisation du crédit entre les mains de l’État, au moyen d’une banque nationale, dont le capital appartiendra à l’État ; 6° Centralisation, dans les mains de l’État, de tous les moyens de transport ; 7° Multiplication des manufactures nationales ; 8° Travail obligatoire ; 9° Combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne ; 10° Éducation publique et gratuite, etc… Tout cela changeait l’État, le fortifiait.

Mais, dès 1872, Marx et Engels reconnaissaient que cette nomenclature avait vieilli et le faisaient remarquer dans la première préface du Manifeste. L’État dont il est question dans le Manifeste ne pouvait être, dans l’idée des auteurs, que l’État prolétarien. Mais il faut tenir compte qu’à cette époque, l’industrialisme n’était pas ce qu’il devint et Rosa Luxembourg avait raison de dire que, depuis 1848, le capitalisme avait pris un développement nouveau.

D’après Grinko, dans son travail : Le Plan quinquennal (Paris, 1930), nous pouvons prendre les pivots sur lesquels repose l’économie soviétique : « 1° La dictature du prolétariat ; 2° La nationalisation du sol et du sous-sol, des usines, des voies ferrées, des banques, etc. ; 3° Le monopole du commerce extérieur ; 4° La limitation et l’éviction des éléments capitalistes des campagnes. »

Dans un livre récent de Paul-Louis : la Révolution Sociale, pp. 231-232, nous lisons :

« L’idée de la socialisation étant à la base de la Révolution, il suffit de rechercher comment on la réalisera, et il nous paraît superflu de la justifier en insistant sur la fécondité de ses conséquences et sur le bouleversement des rapports sociaux qu’elle impliqua.

La socialisation s’appliquera d’abord à la grande industrie. Pourquoi ? Parce que celle-ci, d’un côté, se prêtera mieux à l’opération et, ensuite, parce qu’en tenant les industries-clés, l’État prolétarien dominera toutes les autres.

Dans les sociétés pourvues de moyens puissants de production, toute une série d’entreprises, par la concentration même qu’elles réalisent, attendent leur confiscation. Rien de plus facile que de faire passer sous la tutelle du pouvoir central les chemins de fer, les hauts fourneaux, les fabriques de produits chimiques, les mines, les services de navigation, etc., et, sous celle du pouvoir municipal, les industries du gaz, de l’électricité, des transports en commun. Il suffira de substituer aux actionnaires et aux conseils d’administration les représentants de l’office d’État ou de l’office municipal. »

C’est aussi l’avis d’Otto Bauer, qui a été, en Autri-

che, secrétaire d’État au lendemain de la Révolution, puis président du comité de socialisation de l’assemblée nationale. Il indique, dans sa Marche au socialisme (1919) qu’on doit socialiser tout de suite les industries maîtresses, tandis que les industries secondaires ou qui s’exercent sur une surface déterminée seront affermées aux départements et aux communes. Celles qui ne seront pas socialisées immédiatement subiront le même sort par la suite et l’on verra à créer des unions industrielles afin de faciliter la transition. Otto Bauer était, en cela, d’accord avec Kautsky, qui a donné les mêmes définitions et établi la même nomenclature.

Mais il est évident que telle industrie, qui paraîtra moyenne dans un pays, sera grande aux yeux d’un autre. Varga, tout en insistant sur ce point qu’il faut cheminer le plus vite possible, pour briser le pouvoir économique de la bourgeoisie, rappelle qu’en Russie on a socialisé d’abord les entreprises de plus de 70 ouvriers et en Hongrie celles de plus de 20 ouvriers. Ce qui s’explique par l’importance des établissements qui fonctionnaient dans l’État russe en 1919. Il est entendu qu’en cas de révolution, on socialiserait, dans les Balkans, des usines qu’on considérerait insignifiantes aux États-Unis. Plus une industrie sera importante et plus il sera facile de la socialiser, car sa gestion dépendra, non de ceux qui la possèdent, mais de tout un personnel technique qui, en se ralliant à la révolution, lui apportera les moyens d’administrer. Quant aux ouvriers, aucune résistance ne sera à redouter de leur part, en admettant même qu’ils n’aient pas pris, le premier jour, fait et cause pour la révolution. Il n’est pas un pays au monde où ils aient protesté contre le passage de la direction privée à la direction d’État, alors même que cet État était d’essence bourgeoise et, par suite, leur offrait le maximum de garanties.

Mais la socialisation ne devra pas avoir pour effet de transférer une industrie aux mains d’une corporation ouvrière en pleine propriété. L’industrie, quelle qu’en soit la matière, devra revenir à la collectivité des travailleurs. Autrement, on pourrait voir telle ou telle corporation s’arroger des privilèges, dominer la communauté salariée et prélever sur elle des dîmes inacceptables. Il ne s’agit pas de faire don des mines aux mineurs, des chemins de fer aux cheminots, des hauts-fourneaux aux métallurgistes. Nous verrons quel rôle énorme la société nouvelle réservera aux syndicats, et dans la phase d’organisation et dans le fonctionnement normal de son activité, mais elle n’abdiquera pas une parcelle de ses droits. C’est sous son contrôle et au profit de tous que les syndicats géreront les parties du domaine socialisé qui leur seront confiées. »

. . . . . . . . . . . . . . .

« Devra-t-on ou non verser une indemnité aux personnes que la socialisation dépossédera ? » demande l’auteur de Révolution Sociale.

Paul Louis ne s’étonnera point que la question ne se pose pas pour nous, car nous croyons que le volé ne devient pas le débiteur de son voleur quand il reprend ce qui est à lui. Elle ne se pose surtout pas à nous, qui n’entrevoyons nullement une socialisation se bornant à substituer aux exploiteurs capitalistes l’État-Patron, maintenant le salariat et certains privilèges, parmi lesquels l’indemnisation des dépossédés prétendues victimes de la socialisation.

Cela suffit à démontrer l’abîme qui sépare le système de la socialisation des socialistes de celui des communistes libertaires ; ceux-ci estimeront très justement ne rien devoir à d’anciens accapareurs du bien de tous si ce n’est de les loger, de les vêtir, de les nourrir décemment, selon leurs besoins, comme tout individu de la collectivité.

Les socialistes qui ne veulent être révolutionnaires qu’à demi s’embarrassent ainsi dans bien des complications et, par des demi-mesures, arrivent à socialiser