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orateurs vaniteux, aux bourreurs de crânes, aux conseilleurs équivoques, aux vantards, aux esbrouffeurs, aux critiques pédants, aux pions donneurs de leçons, aux intellectuels manqués, aux savantasses qui s’évanouissent d’eux-mêmes quand l’heure est à l’action. En revanche, des braves, des modestes viendront les initiatives hardies ; les actes de courage, individuels ou collectifs, donneront un élan, une allure, un entrain qui ne seront pas la conséquence d’une folle témérité ou d’un optimisme exagéré, mais simplement d’une mâle assurance devant le danger, d’une confiance sereine dans le succès, d’un sang-froid émanant d’une force intelligemment conduite. Les beaux gestes feront émulation. Ils ne dispenseront pas du soin méticuleux à préparer leur réussite, à calculer leurs chances favorables, leurs effets salutaires. Au contraire, ils seront le fruit de l’étude calme et consciente qui font les décisions sûres et promptes pour chaque entreprise grave dont les risques auront été envisagés et prévus. Les Révolutions précédentes étant, pour les révolutionnaires sincères, un fécond enseignement, ils puiseront dans les plus récentes pour éviter les fautes et les pièges. Ils sauront alors ce qu’il faut juger néfaste à une révolution qui ne doit aboutir ni à un nouvel État ni à une autre dictature. Il faudra bien prouver qu’on peut se passer de la dictature prolétarienne pour garantir l’existence du mécanisme utile à l’activité productrice, aux échanges et à la répartition de toutes les consommations pour tous les consommateurs. Ce n’est ni pour l’État ni par l’État que devra se faire la Révolution.

Sans application de dictature, le Prolétariat s’appuiera sur la conscience collective des masses pour la bonne administration des choses et, certainement, d’instinct, les majorités mettront à la place voulue les individus de capacité reconnue qui assumeront, sans autorité, sans intérêt, par dévouement et compétence, les responsabilités durables ou éphémères aux postes où les placeront la confiance et le jugement des majorités, que ce soit pour la production, l’administration, la répartition, l’organisation. Il n’y aura plus de distinction de fortune ni de privilèges, mais seulement des capacités reconnues, des dévouements, des compétences sollicitées de s’exercer dans l’intérêt général. Le travail indispensable s’accomplira en toute satisfaction par le besoin généreux de se rendre utile à tous et à chacun.

Ainsi s’exercera la Solidarité !

Trop heureux seront ceux qui le pourront, de se rendre auxiliaires précieux de l’émancipation du Peuple, non par orgueil ou vanité, mais par conscience révolutionnaire, par devoir de camaraderie, par dignité humaine. Ainsi, les fonctionnaires feront peut-être le même travail, mais ce sera par zèle intelligent, par bonheur de contribuer à la bonne marche administrative des rouages indispensables à la vitalité de la société ou du groupe.

Le personnel sachant avant la Révolution manier les rouages de l’État bourgeois, sauront également s’appliquer, et de meilleur cœur, à perfectionner le maniement de la société prolétarienne, c’est-à-dire, selon les forces et les besoins de chacun des membres, mis à contribution selon l’âge, la santé, la vigueur, les aptitudes physiques, intellectuelles et morales. C’est dire que le travail, devenu obligatoire par nécessité, s’accomplira sans récompence ni sanction, mais par raison et par plaisir.

Les enfants et les mères, les incapables, les faibles, les malades, les vieillards n’auront aucune difficulté à être reconnus parmi ceux que la société nouvelle se fera gloire et devoir de soigner, de choyer, d’entretenir. Les premiers et les seuls, ils jouiront du repos absolu, des loisirs qu’en toute justice, en toute frater-

nité leur octroiera la collectivité rénovée par une salutaire et intelligente socialisation.

Imaginons, maintenant, la contre-révolution réduite à l’impuissance, puis, subjuguée, gagnée à la cause révolutionnaire, par la propagande des événements révolutionnaires eux-mêmes ; la contre-révolution jugeant et comparant, se rendant d’elle-même à l’évidence et renonçant alors à tout ce qui fut le Passé. Devant la nouveauté splendide des faits accomplis, devant la générosité des rapports sociaux et devant la perfection relative de l’administration des choses sous le régime triomphant du Bien-Être et de la Liberté institué pour tous, rien de plus naturel que la transformation des idées les plus adverses à la Révolution. Cela se produisit à chaque époque de transformation, au lendemain de chaque secousse révolutionnaire et dans tous les pays.

Il est tout à fait compréhensible qu’il y ait à mesure des transformations sociales tant désirées du Peuple, des transformations d’idées, des changements de mentalité, susceptibles d’affermir la Révolution.

Il ne restera plus au régime révolutionnaire qu’à assurer la continuité de la production et à ne pas manquer de satisfaire un seul instant aux besoins de la consommation. C’est dès le début que se jouera le sort de la Révolution. Lorsqu’elle aura fait la preuve de sa puissance indiscutable dans le domaine économique (et par cela même matériel et sentimental), c’est-à-dire dans l’organisation parfaite de la production et de l’échange, de la répartition et de la consommation, tout le reste s’organisera comme par enchantement ; car la masse, heureuse et satisfaite, n’aspirera plus qu’à consolider son bonheur et assurer son avenir.

C’est d’ailleurs, ce qu’il faudra de toute urgence ; car, inexorable, se posera pour la Révolution et pour les révolutionnaires, le dilemme : « Vivre ou mourir ! »

La socialisation, certes, est tâche complexe, ardue, délicate. Pour l’accomplir, en accord avec notre idéal libertaire et nos conceptions du communisme, en tenant compte des théories sociales émises, des expériences faites, il faut savoir réfléchir pour savoir agir.

La Révolution, aujourd’hui comme hier et demain, n’a pas varié dans son but comme elle a pu varier et comme elle pourra varier encore dans ses moyens. Elle se propose toujours comme but : l’affranchissement du prolétariat par la socialisation des moyens de production et d’échange. C’est lorsque sera accomplie réellement cette socialisation intégrale que sera atteint le but de la Révolution. Il ne s’agit pas pour le prolétariat de se rendre maître de la puissance publique après avoir brisé, par la force, les résistances de la bourgeoisie ; il s’agit d’anéantir cette puissance publique et de rendre à jamais impossible le retour au régime actuel de propriété en supprimant la propriété ; de rendre pour toujours impossible le régime d’exploitation de l’homme par l’homme en faisant prendre, en une révolte immédiate, l’usine et la machine par l’ouvrier, et la terre par le paysan qui la cultive. Cela doit se réaliser d’abord et parallèlement — avant même d’en arriver aussitôt à la socialisation des Entreprises et Monopoles.

Tout ce qui est entre les mains de l’État ou entre les mains de particuliers sous forme de compagnies, associations, sociétés, et toutes combinaisons d’exploitation capitaliste, formant actuellement les véritables associations de malfaiteurs encouragées, subventionnées, secourues, protégées, tolérées par l’État, doivent être prises par les travailleurs et pour les travailleurs, selon leur utilité et surtout leur indispensabilité à l’intérêt général de la société nouvelle issue de la Révolution.

Telle est la première étape de socialisation. Et, pour cela, ne pas perdre un temps précieux à faire une