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tent fixés ensemble sur un même pied, formant ainsi des colonies variables, se dissolvant suivant les ressources alimentaires du milieu. Nous avons là une ébauche de la sociabilité. Mais il y a mieux, au bout d’un certain nombre de divisions, si le milieu n’est pas suffisamment renouvelé, la dégénérescence des infusoires ne peut être arrêtée que par une sorte de fusionnement des animacules s’effectuant deux par deux, fusionnement confondant les deux êtres en un seul et se terminant par une nouvelle bipartition donnant naissance à deux êtres nouveaux régénérés.

Parmi ceux-ci, les verticelles présentent même un fait sexuel intéressant ; car, tandis que les autres infusoires se reproduisent sans caractères sexuels apparents, chaque quart va se fixer sur un individu normal et se conjugue totalement avec lui. Le nouvel être se détache alors et va former ailleurs une autre colonie. Nous avons ici quelques vagues essais de vie collective.

Chez les êtres pluricellulaires, les phénomènes sont beaucoup plus complexes ; les Hydraires, les Polypes, les Méduses forment des colonies variables, avec organes différenciés, tantôt fixes et tantôt libres. Quelle que soit la cause de la formation des métazoaires (que l’agglutination cellulaire soit une conséquence de la formation d’un squelette formé par les déchets de l’assimilation ; ou que ce soit par suite d’un phénomène de cohésion particulier), il est certain que l’ensemble des cellules ainsi coordonnées vit en parfaite sociabilité. La raison en est dans ce fait que toutes ces cellules filles et sœurs sont issues, par bipartitions successives, d’une seule et même cellule mère et qu’elles sont, par conséquent, animées d’un même rythme qui les met en état d’équilibre mutuel.

Quoi qu’il en soit, avec les organismes plus évolués, un troisième fait vient s’ajouter aux deux examinés plus haut ; c’est le fait sexuel, le rapprochement nécessaire des êtres plus ou moins nettement différenciés. Ce rapprochement prend un caractère beaucoup plus compliqué avec l’évolution du système nerveux (intelligence) dont le fonctionnement élémentaire consiste en une sorte de coordination entre le mouvement vital de l’animal et les divers états du milieu ; coordination créée par la persistance, dans l’animal, des influences qui l’ont avantagé ou désavantagé.

Si nous étudions cette coordination chez les diverses espèces animales, nous constatons que si le fait sexuel est bien le seul créateur de la sociabilité, c’est l’évolution du système nerveux qui permet seulement l’apparition de la sociabilité économique et morale. Ce fait est évident chez les insectes sociaux, tels les fourmis et les abeilles, dont les travailleurs asexués, et par conséquent non-déterminés sexuellement, pratiquent pourtant une solidarité rigoureuse entre eux.

D’autres espèces à périodes sexuelles espacées ne se dispersent point en dehors de ces périodes ; les individus restent groupés entre eux, soit que cela constitue un avantage pour attaquer ou pour se défendre, soit que la présence de plusieurs animaux de la même espèce et de mêmes mœurs forme une sorte de sécurité par leur réciproque neutralité.

Cette évolution de l’intelligence ne s’effectue point sans heurt et sans absurdité, car si la sexualité rapproche les êtres et engendre les groupements, l’imagination crée des rivalités totalement inutiles. L’abondance des femelles indique bien que les mâles ne luttent point entre eux pour satisfaire un besoin exigeant la disparition de la plupart d’entre eux, puisqu’un plus grand nombre de mâles pourrait être satisfait. Il y a là un des méfaits de l’imagination, méfaits bien plus nombreux dans l’espèce humaine plus riche d’imagination.

Les darwinistes expliquent ce fait comme une nécessité pour améliorer les espèces. Ceci est absurde. Outre qu’il est déraisonnable d’inventer une Nature voulant

l’amélioration des individus à seule fin de compliquer le jeu de massacre des espèces entre elles (ce qui est le but final), il n’est pas du tout prouvé que c’est le meilleur mâle qui est toujours le vainqueur, car il n’y a pas que la pugnacité comme valeur biologique ; et, d’autre part, cette sélection naturelle n’a point empêché la création de différences énormes entre animaux partis d’ancêtres peu différenciés, tel l’éléphant et le rat, et le meilleur des lapins est inférieur au plus mauvais lévrier.

Si nous résumons ici le comportement général des animaux, nous voyons qu’ils sont déterminés par quelques fonctions primordiales, telles que : nutrition, sensibilité, motilité et sexualité ; mais, parmi ces fonctions, la sensibilité est celle qui différencie le plus profondément les êtres entre eux. Chez les mammifères supérieurs, cette sensibilité, par le développement excessif du système nerveux, et principalement du cerveau, complique extraordinairement leur activité. Non seulement certaines réactions nécessaires à leur vie laissent des traces dans leur mémoire mais encore certaines représentations du monde extérieur, plus ou moins utiles, mais liées à ces réactions sont également conservées, créant ainsi des centres d’action extrêmement divers. On conçoit que l’infinité des faits objectifs liés (par réflexes) aux fonctions nutritives, sexuelles ou motrices, crée, subjectivement, des possibilités de réactions très variées. Certains de ces faits, ne se renouvelant jamais ou ne coïncidant pas régulièrement avec les fonctions vitales, ne se fixent point dans l’hérédité ; mais il en est d’autres, déterminant des réflexes identiques, qui parviennent à laisser des traces permanentes que nous appelons instincts. On conçoit qu’entre les réflexes étroitement liés aux fonctions organiques, utilisant une forte énergie nerveuse pour l’action immédiate et les réflexes de la connaissance pure, il y a tous les degrés possibles de l’émotivité, celle-ci étant entendue comme une libération d’énergie sous l’influence d’une excitation objective ou subjective. C’est ainsi que les réflexes en rapport avec la nutrition forment un groupe de réflexes liés à d’autres groupes également très nombreux concernant d’innombrables faits simultanés ou successifs, s’enchaînant dans l’espace ou dans le temps : faim, confection d’armes ou d’outillage, chasse, attente, poursuite, fuite, fatigue, etc. Chacun de ces états est plus ou moins déterminé violemment par les circonstances, libérant ainsi des quantités variables d’influx nerveux (émotions) lequel, se dispersant dans les groupes de réflexes, crée, selon l’écoulement normal ou anormal du dit influx, son abondance, son épuisement, son inutilisation ou sa surabondance, ces états d’âme appelés : joie, déception, colère, espoir, amitié, dégoût, haine, etc. La réussite de soi ou des autres dans la lutte détermine d’autres états affectifs : envie, admiration, orgueil, vanité, etc. De même la sexualité détermine l’amour, la bonté, la générosité, l’amitié aussi bien que la jalousie ou la haine. L’attachement aux choses et aux êtres est un état émotionnel créé par la simultanéité d’excitation favorable à notre activité (images avantageuses, réflexes conditionnels).

Comme notre émotivité est liée à notre potentiel d’influx nerveux ; comme celui-ci paraît être sous la dépendance de certaines glandes, nous voyons que la locution : être de bonne ou de mauvaise humeur est assez exacte. L’activité glandulaire détermine donc notre état humoral, autrement dit notre caractère.

Si la complexité du système nerveux rend difficile l’établissement de lois biologiques concernant le développement des sociétés humaines et particulièrement de la sociabilité, les faits examinés antérieurement nous permettent pourtant de préciser ceci : 1° La vie étant conquérante, tout être vivant est un danger pour les autres ; 2° La sexualité rapproche les individus ;