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que des services insignifiants, disparaîtront pour faire place à des édifices appropriés à la vie intense, à la joie et à la beauté : palais artistiques qui laisseront loin derrière eux, ce que notre pauvre société actuelle a cru utile d’édifier à grands frais et sans grande utilité : les actuels sanatoria. — Pierre Comont.


SANTÉ n. f. (du latin sanitas). Équilibre psycho-physiologique des organismes vivants, se traduisant par un fonctionnement normal, régulier, parfait de tous leurs organes.

Si nous observons autour de nous les représentants de l’espèce humaine, nous constatons qu’un nombre très restreint jouit de cet équilibre intégral malgré, parfois, de rassurantes apparences. Cependant, en raison de leur avance intellectuelle, de l’énorme acquisition philosophique qu’ils ont réalisée, les peuples dits civilisés devraient, semble-t-il, jouir d’une intégrité physico-mentale inconnue aux races moins évoluées et, à plus forte raison, aux espèces animales qui n’ont, à travers le labyrinthe de la vie, pour guide que leur instinct. Mais, au contraire, il apparaît que plus la civilisation s’amplifie, mieux l’esprit humain triomphe des énigmes les plus diverses, plus, en un mot, l’intellectualité domine l’espèce, et plus décroît en même temps son immunité pathogénique générale. Progrès — ou ce que l’on a coutume d’appeler de ce nom — et santé suivraient ainsi des courbes inverses…

Sans doute, certains fléaux qui, aux siècles passés, faisaient peser sur l’humanité leur menace endémique et frappaient périodiquement et avec violence presque toutes les races — tels le choléra, la peste, la variole — ont régressé sous les assauts de la science et sont, en Europe du moins, virtuellement jugulés. Propreté, hygiène générale croissante de l’individu et de son habitat en espacent et localisent l’éclosion, d’une part et, d’autre part, des mesures rapides de prophylaxie, le développement des services sanitaires et de voierie triomphent aisément des foyers isolés.

Mais si les épidémies, les maladies catastrophiques pourrait-on dire, ont été vaincues, par contre — paradoxe macabre et ironique — nombre d’affections à caractère infectieux, et de portée collective plus qu’on ne le croit généralement, se sont implantées victorieusement, ou même ont fait une récente apparition dans nos sociétés raffinées, mais aussi hypertendues, jouisseuses et surmenées. C’est ainsi que le diabète, le cancer, la tuberculose, la syphilis, le rhumatisme, l’urémie, l’albuminurie, l’hépatisme, les néphrites, l’appendicite, etc…, qui, dans un passé tout proche encore, étaient numériquement insignifiantes au point que certaines (maladies d’excès) avaient reçu, dans le langage populaire le qualificatif de « maladies de riches », atteignent aujourd’hui indistinctement toutes les classes de la société.

Une morbidité générale, latente, s’est installée, sournoise et redoutable. Il en est résulté, depuis nombre d’années, une mortalité accrue que n’ont pu réduire, malgré leur amplitude, les moyens de défense mis en œuvre, et qui inquiète les pouvoirs publics. C’est ainsi qu’au cours de l’année 1932, M. Legros, rapporteur de la commission parlementaire d’hygiène, poussait un cri d’alarme en déclarant à la tribune du Parlement que la France était le pays d’Europe possédant le triste privilège de la plus forte mortalité « puisqu’elle dépasse le chiffre impressionnant de 17 pour 1.000 habitants ».

Cette précarité sanitaire, qui atteint particulièrement ce pays, non seulement n’épargne pas les autres états européens, mais elle est aussi le lot des autres continents. Dans son livre « Restez jeunes », le Docteur Pauchet nous conte qu’un industriel des Etats-Unis prit la curieuse initiative de soumettre à un rigoureux examen médical, confié à des spécialistes, tous les postulants aux emplois vacants de son établissement. Cette

investigation révéla que 97 p. 100 des solliciteurs étaient affligés de tares insoupçonnées de la plupart des intéressés.

Cet état morbide engendre une mortalité de beaucoup plus élevée que la normale et particulièrement prématurée. C’est ainsi que, pour la France, la longévité moyenne est de 43 ans. Octogénaires, nonagénaires et surtout centenaires deviennent d’une excessive rareté. Combien disparaissent avant l’âge adulte, fauchés en pleine adolescence ? Combien meurent avant la trentaine ?

Cependant, si nous nous en référons aux enseignements de l’anatomie et de la physiologie comparées, les hommes, pour accomplir le cycle normal de leur existence, devraient atteindre au moins 125 à 150 ans. En effet, tous les animaux vivent environ 5 à 6 fois le laps de temps que leur squelette met à s’ossifier. C’est ainsi que le chien, lorsqu’il est convenablement traité, vit de 15 à 20 ans, réalise en 3 ans son ossification complète. Le cheval qui atteint 25 à 30 ans voit son armature squelettique s’ossifier définitivement à 5 ans, etc… Et encore avons-nous affaire ici à des animaux relativement dégénérés en raison de la domesticité qui leur est imposée… Par conséquent, l’homme qui accomplit la soudure de son épiphyse claviculaire (la dernière) aux abords de la 25ème année, devrait logiquement atteindre et dépasser le cap des 125 et même 150 ans. Mais ce phénomène de longévité ne se rencontre plus guère que dans certaines parties du monde où les mœœurs simples, faites de sobriété et de frugalité, subsistent encore ; les régions turco-balkaniques, par exemple, où abondent encore de robustes centenaires et plus-que-centenaires. Ce sont toutes ces observations qui ont amené Metchnikoff à cette conclusion que la vieillesse précoce affectant les peuples civilisés n’est autre qu’une décrépitude pathogénique résultant de causes évitables et correctives.

Quelles sont donc les causes mystérieuses de ces déchéances anticipées qui font de l’homme contemporain un valétudinaire avant l’âge, un moribond précoce, soldant, bien avant l’heure qui lui est assignée au cadran de la Nature, son tribut à la Parque symbolique ? Dès l’antiquité la plus reculée, depuis que l’humanité connaît la maladie, ce problème tourmenta les chercheurs. Docteurs, savants, philosophes, tentèrent de déchiffrer l’énigme. Les plus avisés, les mieux inspirés opinèrent pour une réconciliation de l’homme avec la Nature, pour une observation scrupuleuse des lois tutélaires et intangibles qui régissent tous les êtres vivants. Mais la simplicité, l’esprit de clairvoyance ne sont pas des apanages humains. Accoutumé à marcher dans la voie, absurde ici, de l’insubordination, l’orgueilleux roi de la création, plus raisonneur que raisonnable, estima davantage profitable de souscrire aux suggestions de mauvais conseillers, habiles manœuvriers, retors de l’empirisme, mais aussi profiteurs habiles d’une science fourvoyée. Une médecine officielle, orthodoxe, souvent puérile et inepte, s’édifia, dédaignant les causes, ne s’attaquant qu’aux effets. C’est cependant — malgré d’universels et retentissants échecs — ses dogmatiques méthodes qui prévalent encore et rallient tous les suffrages. Ses pontifes officient toujours devant le même public, indécrottablement crédule et borné, qui, répudiant tout effort critique et régénérateur, continue à accorder ses préférences aux pilules et aux onguents, aux potions souveraines et aux remèdes « guéris-tout », plutôt qu’aux pratiques d’hygiène préventives et curatives, les seules allant à la source du mal et visant à en prévenir tout retour offensif.

Cette impuissance d’une médecine égarée fut mise en évidence non seulement par de scrupuleux savants n’ayant aucune attache avec elle, mais aussi et surtout par des praticiens ayant grandi sous son aile, et qui se sont abreuvés à ses sources.