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a tout cela pour vingt cinq francs. C’est plus cher que de la corde de pendu, il n’est pas sûr que ce soit plus efficace.

Mais le vaste commerce des reliques et des gris-gris n’est rien auprès de celui des indulgences, simonie majeure dans laquelle le représentant de Dieu, se substituant à lui, tient boutique de sa volonté, de sa justice, et nous allons voir pour quels usages !

L’indulgence est la « rémission totale ou partielle de la peine temporelle due aux péchés pardonnés, que l’Église accorde en vertu des mérites surabondants de Jésus et des saints ». Il faut que ces mérites soient réellement surabondants pour qu’il en reste encore après avoir servi à couvrir tant d’infamie simoniaque. Qu’on en juge.

Dès le VIe siècle, le pape Vigile recommandait à l’évêque Césaire, d’Arles, d’accorder l’indulgence au pénitent « selon sa componction et la somme qu’il paiera à l’Église » !

Raymond VIII acheta au pape Grégoire IX la rémission de ses péchés moyennant 13.000 marcs d’argent payés au légat et à des abbayes.

Clément V vendit des indulgences aux croisés contre le droit de délivrer des âmes du Purgatoire. Il ne s’agissait plus seulement de peines temporelles ; on disposait de celles de l’au-delà et on empiétait effrontément sur le domaine réservé à Dieu.

Jean XXII amassa 25 millions de florins produits par la vente des indulgences et le vol des bénéfices d’église. Il envoya au bûcher de prétendus hérétiques pour s’emparer de leurs biens, et il vendit publiquement l’absolution du parricide, du meurtre, du vol, de l’inceste, de l’adultère, de la sodomie, de la bestialité. Il établit lui-même la taxe de la chancellerie apostolique qui encaissa le prix de ces absolutions. Moyennant 17 livres 15 sous, on pouvait tuer son père, sa mère, son frère, sa sœur, sans perdre ses droits au paradis. Naturellement, il en coûtait plus cher — 131 livres, 14 sous et 6 deniers — pour tuer un évêque ou un prélat supérieur. Ces messieurs savaient apprécier leur « guenille » terrestre qu’ils prétendent tant mépriser ; ils n’étaient pas pressés de la laisser disperser en reliques. Pour 131 livres 15 sous, on pouvait manquer à son serment, être garanti de toute poursuite et de toute infamie… et même faire un saint ! La merveille, dans tout cela, n’était pas de payer l’absolution du crime, mais de pouvoir acheter le droit d’être criminel !

La « taxe des crimes » fut confirmée au XVIe siècle par Léon X qui la fit publier dans toute l’Europe. Des commissaires pontificaux présidèrent à l’administration simoniaque. Les bandits pouvaient s’entendre avec eux pour jouir en paix des fruits de leurs rapines. Olivier Maillard disait alors de ces commissaires pontificaux : « Ces hâbleurs, ces courtiers d’absolutions, de reliques et de rogations ; ces cafards, qui exploitent les visages des saints et les images de l’Agneau ; ces fripons qui flattent les dupes pour voler les bourses et qui dépouillent les simples jusqu’à la chemise, je les ai entendus se vanter d’avoir tiré des plus mauvais bourgs jusqu’à mille écus pour les indulgences, sans compter cent écus de pot-de-vin qu’ils avaient payés au curé. » Frère Thomas, autre prédicateur, ajoutait : « Regardez ces voleurs envoyés par le pape, voyez comme ils pipent le pauvre peuple ; ils vont par monts et par vaux dépouillant les simples de leur dernière obole, et afin de les écorcher à leur aise, ils pactisent avec les prêtres… Et ces prêtres infâmes, ces curés concubinaires, ivrognes et mercenaires, pour mieux remplir leur ventre et pour nourrir leurs ribaudes, s’entendent avec ces porteurs de bulles, extorquent, pillent et volent les idiots qui ouvrent leurs bourses pour les âmes du purgatoire. »

Ces bandits avaient d’ailleurs la haute protection

de l’Inquisition. Au moyen des bulles papales, ils pouvaient se permettre de piller même les biens d’Église, ceux du pape exceptés ! Une de ces bulles, celle de la composition, permettait de garder le bien d’autrui, moyennant le paiement d’un pourcentage aux moines. Un des moines qui prêchaient cette bulle, le père Labat, disait à ses auditeurs : « N’est-il pas bien gracieux d’en être quitte à un prix si raisonnable, sauf à en voler davantage quand on aura besoin d’une plus grosse somme !… »

Le 4 septembre 1691, le Conseil du roi de France fixait le tarif qu’on paierait dans le royaume, à la cour de Rome, pour les bulles, dispenses, absolutions, etc. Sous Benoit XIV, en 1744, parut à Rome une nouvelle édition des « taxes de la chancellerie romaine » pour l’absolution des crimes et délits divers. Le premier article faisait observer que « ces sortes de grâces et de dispenses ne s’accordaient point aux pauvres qui, ne pouvant payer, ne pouvaient y participer !… » L’intention simoniaque ne pouvait être plus cyniquement affirmée ; il n’y avait pas de faveurs divines pour ceux qui n’étaient pas en état de les payer.

Alexandre VII fut, au XVIIe siècle, le plus complet des simoniaques, ce qui n’empêcha pas, au contraire, le jésuite Oliva de prêcher que toutes ses actions étaient saintes et méritoires et n’empêche pas le Nouveau Larousse de nous dire qu’il fut un pape vertueux ! Alexandre aimait le faste. Oliva disait que s’il se résignait à être riche, c’était pour que l’Église eût « deux mamelles rebondies pour que les princes et les évêques pussent téter un lait abondant » !… Une image satirique représenta Alexandre VII avec ses maîtresses, ses mignons, ses cardinaux, aux pieds d’un Christ qui, au lieu de sang laissait échapper de son sein des pièces d’or et d’argent que le pape recevait dans sa tiare en disant : « Il a été crucifié seulement pour nous !… »

On doit à Boniface VIII l’idée géniale des jubilés, pour exciter davantage le zèle des fidèles et donner encore plus d’ampleur aux opérations simoniaques. Le premier eut lieu en 1300. À cette occasion, indulgence plénière fut accordée à tous ceux qui visitèrent à Rome les églises saint Pierre et saint Paul au cours de l’année. De toute la chrétienté accoururent les fidèles ; ce fut une affluence et une recette comme jamais l’Église n’en avait encore vues. Aussi, le jubilé qui ne devait se faire que tous les cent ans, fut-il renouvelé dès 1349 par Clément VI. Ce pape, qui siégeait à Avignon, vendit aussi l’indulgence plénière à ceux qui ne purent pas se rendre à Rome. 600.000 pélerins allèrent dans cette ville. Le légat du pape ramena à Avignon cinquante charriots chargés d’or et d’argent. Boniface IX fit alors un troisième jubilé, dès 1389, puis Paul II décida qu’il y en aurait quatre par siècle. Ensuite, on en fit à toutes les occasions favorables. L’Église ne pouvait manquer d’exploiter le plus possible ce moyen de traire la vache à lait cagote et de manœuvrer la pompe à « phynance ». Les jubilés devinrent les grandes foires pontificales, les expositions universelles du catholicisme.

Les indulgences accordées aux jubilés sont particulièrement larges puisqu’elles font remise de « toutes sortes de péchés, même les plus énormes, réservés ou non réservés ». Il s’agit d’y mettre le prix. Les charlatans du divin ne sont plus des intercesseurs comme les saints, la Vierge et Jésus lui-même ; ils sont plus qu’eux, ils sont Dieu et ils escamotent son jugement dernier puisqu’ils disposent du paradis ! Sous les formes plus académiques, plus onctueuses des Jésuites qui apprenaient les belles manières aux « honnêtes gens » et faisaient dire à Helvétius : « Le clergé est une compagnie qui a le privilège exclusif de voler par séduction », c’était le même puffisme que traduisait le langage rude et grossier du moine Jean Tetzel disant, au XVIe siècle, aux rustres paysans : « Oui mes frères,