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allant en pélerinage aux lieux où elles étaient déposées. De cette institution sont sorties des pratiques du fétichisme le plus déconcertant, et parfois le plus dégoûtant. Les truquages les plus éhontés ont multiplié dans le monde ces corps vénérés et leurs débris au point que, s’ils ressuscitaient, certains se retrouveraient avec des centaines de crânes, de bras, de jambes, de prépuces, tous de l’authenticité la plus indiscutable, certifiée par les plus graves et les plus éminentissimes docteurs, et qui arriveraient des quatre points cardinaux où ils achalandent les boutiques simoniaques. Et l’on prétend que l’Église ne fait pas de miracles !… Si elle n’a jamais été capable de faire celui de la multiplication des pains et des poissons pour donner à manger à tous ceux qui ont faim, elle multiplie tous les jours les corpi santi et leurs attributs pour satisfaire son insatiable simonie.

Il y a plusieurs catégories de reliques. Comme dans tous les commerces bien organisés, il en faut pour toutes les bourses. Il y a les reliques insignes qui comportent le corps ou un membre entier du saint. Les notables sont une partie moindre du corps. Les minimes ne sont que de petits fragments qui peuvent être contenus dans des reliquaires, des médaillons, des agnus-dei, que les personnes favorisées de leur propriété peuvent porter sur elles comme les nègres portent leurs gris-gris. Les reliques sont aussi des objets ayant appartenu à de saints personnages. On a ainsi, à côté de débris macabres, tout un bric à brac aussi hétéroclite qu’imprévu. Les premiers fournissent, indépendamment des ossements, des prépuces, des cordons ombilicaux, du sang, des larmes, du poil, des rognures d’ongles ! On a toutes ces choses de Jésus Christ en même temps que sa braguette d’enfant, de la paille de la crèche, sa robe, ses chaussures et tous les attributs de la Passion : morceaux de la croix (la vraie, bien entendu), épines de la couronne, lance, marteau, clous, inscription de la croix, et jusqu’à l’éponge qui demeure éternellement trempée de vinaigre et de fiel ! De la Vierge on ne possède pas moins d’objets multipliés et l’on a jusqu’à des gouttes de son lait et de ses menstrues !… De Marie Madeleine, ce sont des objets semblables et de ses parfums pas du tout éventés !… On a aussi les reliques les plus bizarres de plusieurs milliers de saints, et elles remontent même au temps du déluge car on possède des poils de la barbe de Noé !… Des prêtres français, jaloux de la concurrence italienne, trouvèrent le moyen de mettre en flacon un éternuement de Jésus, de la sueur de saint Michel et, en boîtes, du souffle de Jésus et les cornes invisibles de Moïse !… C’est de plus fort en plus fort, « unique, vraiment unique ! » comme disent eux-mêmes les charlatans sacrés dans leurs prospectus. Au XIXe siècle, on vit se répandre des lettres autographes, écrites en français par Jésus, et sa photographie authentique !… Attendons-nous à entendre prochainement sa voix non moins authentique sortant d’un disque de gramophone et disant : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ! »

Citons encore les trois têtes de Jean-Baptiste dont l’authenticité ne fait aucun doute pour les vrais fidèles, et qui nous font penser à l’histoire comique des Trois Bossus d’Arras. La légende n’a pas encore dit que Salomé avait eu trois têtes du Baptiste à faire couper… Il y aurait, à Cologne, les reliques non moins certaines des rois Mages. Mais la plus productive pour les charlatans sacrés est certainement la Casa Santa (la maison de la Vierge) que des anges auraient transportée de Palestine en Italie, en 1291. Objet de convoitise et de brigandage en raison de l’argent qu’elle rapportait par les pélerinages, elle changea plusieurs fois de propriétaire et de lieu. L’infaillibilité papale affirme que, depuis le XVe siècle, elle est sur son emplacement actuel, à Loreto, enfermée dans un somptueux recou-

vrement de marbre. Paul III constitua pour sa garde, et celle des trésors qu’elle rapportait au pape, la chevalerie de Notre Dame de Lorette qui fut supprimée au XVIIIe siècle. Des centaines de mille pèlerins affluent toujours chaque année à Loreto qui est le centre de fabrication le plus important de la bondieuserie catholique.

Toutes ces choses se vendaient très cher aux princes et aux riches particuliers qui en faisaient l’acquisition pour les églises de leur pays, et elles faisaient se déverser un véritable pactole dans les caisses simoniaques. Un vaste commerce de reliques s’organisa. Les papes Eugène, Sergius, Jean VI, firent transporter d’Italie des ossements qu’ils vendirent en France et en Angleterre. Ce trafic prit tout son développement avec Pascal Ier qui avait des reliques pour toutes les bourses, et l’hagiographie s’enrichit de milliers de saints locaux dont le populaire put acheter les reliques pour quelques sous. Les cheveux et les poils de Jean Baptiste, de la Vierge, de Joseph qui se vendirent alors auraient fait une crinière à toute la chaîne des Alpes. L’exemple de ce fétichisme venait de haut. Tous les rois le favorisaient. Après Louis IX qui acheta la couronne d’épines pour laquelle il fit construire la Sainte Chapelle, son frère le duc d’Anjou se rendit acquéreur du prépuce de Jésus que les foules vinrent adorer. Un morceau de la Croix fut vendu au roi d’Angleterre, Alfred le Grand, par le pape Martin II. Depuis, cette industrie de charognards n’a pas cessé malgré les protestations de nombreux personnages autorisés, tels Guibert de Nogent au XIIIe siècle, Mariana et Mabillon au XVIII- siècle, de Buck au XIX- siècle. Peut-on s’étonner de cette persistance quand on voit tant d’imbéciles attendre leur fortune d’un morceau de corde de pendu !… Que ne doit-on pas espérer d’un osselet de saint Labre ou de sa crasse mise en pilules ?… Ce ne fut que vers 1860 que le vicariat de Rome cessa de vendre des corpi santi provenant des catacombes ; mais après 1870, le trafic recommença. Depuis que Thérèse de Lisieux, la nouvelle idole, a été érigée à la sainteté, on a commencé à débiter sa dépouille. Le pape Pie XI y préside en personne. Il a fait cadeau à l’ex-roi d’Espagne, Alphonse XIII, sans doute pour l’aider à recouvrer son royaume, d’une touffe de cheveux, d’un fragment d’os et d’un morceau de la robe de cette sainte. Le pape a aussi envoyé au Mexique un « fragment du corps » de Thérèse, on n’a pas dit lequel, pour être l’objet de pélerinages perpétuels. On vient de canoniser Bernadette de Lourdes. Attendons-nous au débitage prochain de ses hauts et bas morceaux.

Au commerce des reliques se rattache celui non moins simoniaque des images, eaux miraculeuses, chapelets, scapulaires, médailles, plâtreries et ferblanteries de toutes sortes, tous objets bénis, dont le bazar est installé autour des églises et sur les lieux de pélerinage. Les plus spéciaux de ces objets sont les agnus-dei, « sortes de fétiches faits en principe avec de la cire bénite du cierge pascal mélangée au saint-chrême et consacrés par le pape ». L’agnus-dei fut de tout temps un objet de la boutique particulière des papes ; il est fabriqué par les Cisterciens de Sainte-Croix de Jérusalem. Ces conditions supérieures de fabrication et de vente lui confèrent des vertus aussi nombreuses que spéciales. C’est le « porte-bonheur » type contre les démons, la tentation, l’enfer, la mort subite, les terreurs. Il protège contre l’adversité, le malheur. Il donne la victoire et la prospérité. Il est un préservatif contre le poison, l’épilepsie, la peste et autres maladies contagieuses — les rois de France qui pincèrent la vérole ignorèrent sans doute ses vertus —. Il apaise les tempêtes, sauve des naufrages, éteint les incendies, arrête les inondations et, enfin, mène à bon terme les grossesses en calmant les douleurs de l’enfantement. On