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ayant contracté la tuberculose, ou cette dernière s’étant aggravée, dans les grandes usines du roi du caoutchouc.

Les Allemands nous fournissent des statistiques d’après lesquelles 67 pour 100 des ouvriers tuberculeux sortent guéris de leurs sanatoria après trois mois de séjour et ces guérisons permettent à l’ouvrier un travail équivalent au tiers du travail d’un ouvrier bien portant ; ces guérisons se maintiendraient encore après un an chez 41 pour 100 ; après deux ou trois ans, chez 30 pour 100 ; après quatre ans, chez 27 pour 100 des malades ainsi soignés. Ces chiffres seraient à contrôler, car ils ont été fortement discutés par les médecins et les hygiénistes. On a cependant remarqué que l’amélioration d’un indigent ou même d’un ouvrier tuberculeux placé dans un sanatorium se fait sentir plus rapidement que celle d’un tuberculeux riche, parce que la différence favorable entre son régime habituel et son régime nouveau est beaucoup plus sensible. Cette même différence se retrouve en sens inverse quand, après quelques mois de cure, l’ouvrier reprend chez lui ses anciennes habitudes, ses mauvaises conditions d’habitat, de nourriture ou de vie de travail.

En dehors des établissements signalés plus haut, il existe encore des hôpitaux et sanatoria pour enfants tuberculeux et pulmonaires pauvres : Villepinte, Ormesson, Villiers et leurs annexes de Champrosay, asile Feignez, les colonies agricoles de l’œuvre des enfants tuberculeux qui ont le désir de dresser un rempart entre les enfants frappés de ce mal et la mort.

Le sanatorium doit être disposé de préférence en montagne et même à une haute altitude à cause de la pureté de l’air et de l’absence de microbes dans les stations élevées, loin des villes importantes ; il doit être préservé du vent par des montagnes ou des arbres, notamment des pins ou des sapins. Regnard écrit que « le feuillage de ce genre d’arbres persiste l’hiver et disperse le vent aussi bien qu’en été ; son ombre est épaisse sans être froide, il n’est pas tellement serré qu’il ne laisse circuler l’air et la lumière ; enfin, le tapis d’aiguilles sèches qu’il forme sur le sol est dur et assez lourd pour n’être pas soulevé par le vent ; il préserve donc admirablement l’air contre l’immixtion des poussières. »

L’exposition d’un sanatorium doit être au sud ou au moins au sud-ouest ; l’ameublement doit être sommaire : aucun tapis, aucun rideau, aucune tenture ; parquet couvert de linoléum, facile à laver ; suppression des angles des murs remplacés par des surfaces arrondies. Les fenêtres doivent être ouvertes continuellement, par n’importe quel temps. Les malades s’accoutument très rapidement à cette pratique. La chambre est chauffée et éclairée.

Les malades qui ne peuvent se promener s’allongent le matin sur une chaise longue, soit dans leur chambre, soit dans la galerie de cure. Regnard décrit ainsi la dite galerie : « On appelle ainsi un long couloir placé en plein midi, où on accède sans passer dehors et qui est séparé par des planches mobiles à mi-hauteur et une série de chambrettes qui ouvrent toutes sur l’extérieur par une grande baie, devant lequel on peut lever ou abaisser un store. »

Dans un sanatorium, il est interdit, sous peine d’expulsion, de cracher par terre ; le malade porte continuellement sur lui un crachoir contenant une solution antiseptique ; le soir, il est vidé et son contenu brûlé, le linge est désinfecté comme la chambre du malade.

J’ai constaté qu’à Durtol par exemple, le personnel, presque sans exception, est choisi parmi les tuberculeux améliorés ou guéris. J’estime qu’il y a là un excès de prudence car les personnes saines qui séjournent dans les sanatoria pour tenir compagnie aux malades ne sont jamais atteintes de leur maladie.

Nous avons lu, plus haut, les résultats indiqués par

une statistique allemande. Knopf a dressé une autre statistique qui porte sur 60.000 malades. Sur ce nombre, il trouve 8.400 guérisons absolues, 8.400 guérisons relatives, 25.200 améliorations.

Dans son numéro du 20 juillet 1901, la « Revue Universelle » a donné un article publiant les impressions d’un malade sur la vie dans un sanatorium. M. Félix Le Dantec écrit :

« Que faire sur une chaise longue pendant six heures ? Quelques-uns lisent, d’autres jouent aux dames ou aux échecs ; mais le repos absolu vaut mieux et l’on s’y fait très vite ; on arrive à ne plus s’ennuyer, à jouir de ce farniente obligatoire comme d’une chose agréable…

En dehors des heures de repos forcé, chacun peut se promener à sa guise. C’est que les tuberculeux ne sont pas des malades ordinaires : sauf quand des poussées aiguës les forcent à garder le lit, ils ont tout à fait l’allure de gens bien portants ; plusieurs même ne toussent pas…

Souvent ils s’amusent comme de grands enfants ; ils se lancent des boules de neige, ils jouent à la main chaude et les francs éclats de rire accompagnent les bons coups, étonnent le visiteur qui croyait entrer dans le temple de la douleur et de la mort…..

Pour qu’un malade que l’on met à l’engrais profite de son traitement, il faut qu’il soit gai, et l’administration s’occupe d’égayer les malades. Pas une occasion n’est manquée : chaque fête est marquée d’une réjouissance, d’une distraction ayant un caractère familial…

Je n’aurais jamais cru qu’il fût si facile d’apprendre l’hygiène à des gens dépourvus pour la plupart d’éducation bourgeoise. Il est naturellement défendu de cracher par terre, à cause des bacilles des crachats, et chacun a intérêt à ce que les autres se conforment au règlement ; c’est peut-être pour cela que tous s’y soumettent si facilement. »

Il y a, généralement, trois variétés de sanatoria :

Celui d’altitude élevée, au-dessus de 1.000 mètres ; celui de moyenne altitude, de 500 à 800 mètres ; celui de basse altitude ou sanatorium de plaine.

Enfin, existent encore les sanatoria des colonies. Ces derniers doivent toujours être placés sur des hauteurs. Les principaux sont, pour Madagascar et l’île de la Réunion même, Salazie (872 mètres), dans cette dernière île ; pour l’Indo-Chine, le cap Saint-Jacques ; le camp Jacob à la Guadeloupe ; les camps de Balara, de Chazeau et des Prêcheurs à la Martinique.


Examinons, pour finir, à quoi servent les sanatoria. À peu de chose, attendu qu’ils sont impuissants à assurer la guérison des tuberculeux ; la minorité de ces derniers arrive à avoir la vie prolongée dans une existence de misère morale et de dépression physique, mais les établissements payants ou gratuits sont absolument inopérants pour combattre la tuberculose.

Il faudra trouver d’autres remèdes et, seule, la transformation de la société actuelle, en donnant à chacun la faculté et la possibilité de consommer, d’améliorer l’existence des individus par tous les moyens de confort et d’hygiène, parviendra à vaincre le fléau social de la tuberculose.

Déjà, à côté des sanatoria, s’instituent des préventoria qui ont pour but de prévenir la maladie.

Peu à peu, lorsque, dans la société, s’élaboreront les lois inéluctables attribuant à chacun le travail librement consenti au lieu des travaux forcés des usines capitalistes actuelles, lorsque les individus cesseront de vivre dans les taudis des vieilles maisons empuanties d’odeurs nauséabondes et remplies des microbes les plus malsains, lorsque le soleil de l’aisance aura remplacé les ténèbres de la misère ; alors, peu à peu, les sanatoria qui coûtent des prix fabuleux de construction, d’installation et d’exploitation pour ne rendre