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SEX
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L’œuvre de chair désireras
En mariage seulement.

Et ce n’est pas une des moindres anomalies du temps présent que le pied conservé par la morale sexuelle religieuse dans des groupements qui se targuent de rejeter toute morale qui n’est pas fondée sur la biologie.

La question sexuelle se solutionne chez la plupart des humains qui se prétendent à l’avant-garde du mouvement social par la cohabitation entre un homme et une femme impulsés sexuellement l’un vers l’autre, cohabitation dont le résultat est que chaque partenaire considère l’autre comme sa propriété. En général, l’élément masculin dominant, c’est lui qui se considère comme le possesseur du corps de sa cohabitante, le propriétaire de ses sentiments et de ses désirs, le contrôleur de ses besoins de changement, tout cela en exigeant qu’elle se plie aux conséquences de la vie qu’il lui a faite, souvent en lui imposant la charge de la maternité. Nous maintenons que cette attitude de l’homme à l’égard de la femme n’a rien d’anarchiste et qu’aucun argument ne peut la justifier.

Nos idées en matière de sexualisme ont été fort peu comprises. Trop souvent on les a présentées — quand on a consenti à les examiner — avec une mauvaise foi insigne. Nous pouvons nous tromper, mais il faut nous démontrer que nous avons tort et ne pas nous attribuer des idées que nous n’avons pas. D’ailleurs nous proposons nos solutions, nous ne les imposons pas et nous nous réservons de les vivre à nos risques et périls sans obliger à participer à nos expériences qui que ce soit qui n’est pas disposé à le faire de son plein gré.

Nous disons par exemple :

— Il n’y a pas de domaine où règne une hypocrisie plus grande qu’en matière sexuelle. — La morale laïque, en matière sexuelle, est la servante ou le reflet de la morale religieuse sexuelle, qui considère comme un péché de retirer de la volupté des rapports sexuels. — L’institution de la famille, avec l’obéissance obligatoire au père ou à la mère, est une image en petit de la société archiste. Le père y représente le législateur et la mère l’éducateur officiel. — Le désir de la satisfaction sexuelle est la manifestation d’un besoin naturel, d’une demande plus ou moins impérieuse de l’organisme, l’effet d’un stimulant imaginatif. Il n’a rien à voir avec le désir d’avoir des enfants, qui dépend de la réflexion et n’est donc ni un besoin ni un instinct. — Si on ne donne pas d’importance au fait sexuel dans l’histoire officielle, la vérité est qu’il occupe une place de premier plan dans l’histoire de chaque individu, du plus humble au plus puissant, et qu’il a déterminé maints événements politiques. — Aucune considération tirée de la biologie ou de la physiologie n’explique qu’on ne parle ou n’écrive pas aussi librement de ce qui a trait au sexualisme que de ce qui a trait aux autres fonctions de relation. — Le sentiment est un des produits physico-chimiques de l’organisme humain, comme la mémoire, le raisonnement, le jugement, l’aperception, etc… : il est éducable et amplifiable comme les autres produits de l’organisme humain. — La première éducation sexuelle à donner à la femme est de lui enseigner à n’être mère qu’à son gré. — La chasteté est un expédient contre nature. L’abstinence sexuelle n’est justifiée ni biologiquement, ni physiologiquement. — Le couple est destructeur d’autonomie individuelle et implique toujours, et dans les meilleures conditions, sacrifice d’un des éléments à l’autre. Le couple comporte toujours abstention, restriction, refoulement, résignation : il est donc opposé au développement de l’individu. — La jalousie est une monopolisation maladive des organes sexuels, tactiles, de la peau et du sentiment d’un être humain au profit d’un autre. Elle contient en germe l’étatisme, le patriotisme, le capita-

lisme. — La femme n’est ni plus ni moins polyandre ou monoandre que l’homme n’est monogame ou polygame. La femme et l’homme sont déterminés artificiellement par la morale conventionnelle à paraître ce qu’ils ne sont pas. — Il n’y a pas, actuellement, de différence essentielle entre le mariage bourgeois et la prostitution. Le mariage est de la prostitution de très longue durée et la prostitution est un mariage de courte durée. — L’obscénité n’existe pas dans l’objet, mais dans le sujet. — Les anomalies sexuelles ne peuvent donner lieu à aucun dégoût ou répugnance. La science reconnaît aujourd’hui l’existence de ces anomalies congénitales, et on ne peut pas dire que chez les anormaux connus on ait remarqué déchéance de la production cérébrale ou altération des fonctions organiques. Je rappelle en passant cet aphorisme de l’anarchiste Mécislas Goldberg : « Les perversités sexuelles sont à l’amour ce que l’anarchie est au conformisme bourgeois. »

Au lieu de nous attribuer des pensées qui n’ont jamais été nôtres, la plus élémentaire loyauté prescrivait d’examiner et de débattre courtoisement les propositions énoncées ci-dessus.

Nous avons dit : nous ne concevons la cohabitation à 2, 3, 4, ou un plus grand nombre d’individus d’un ou des deux sexes que si elle a pour base des affinités idéologiques. Ou encore, dans la société actuelle, pour raisons économiques. Nous ne la concevons pas au point de vue sexuel, ou sentimental, l’expérience montrant que la cohabitation basée sur le sexuel ou le sentimental entraîne, sauf rares exceptions, exclusivisme et jalousie. Nous avons ajouté : la logique anarchiste veut que le corps personnel appartienne à l’ego, au moi, à l’unique. Il n’est ni à la loi, ni à Dieu, ni à l’Église, ni à l’État, ni au milieu social, ni à l’ambiance sociétaire. Mon corps est à moi, pour en disposer, m’en servir, l’utiliser, en tirer le plus de plaisir ou de volupté possible, tout entier ou en partie. Et nous avons conclu en souhaitant, en revendiquant que le geste sexuel sentimental ou érotique demeure un geste de camaraderie : un geste susceptible de servir de base à des associations composées d’individus des deux sexes parfaitement éduqués au point de vue sexuel et organisées pour parer aux incidents ou accidents possibles (maternités, maladies, etc…).

Nous maintenons que le fait de se procurer mutuellement du plaisir favorise les rapports fraternels et amicaux et que « la camaraderie amoureuse » développée sur une grande échelle non seulement tendrait à supprimer la jalousie, le propriétarisme sexuel, l’exclusivisme amoureux, mais réduirait au minimum les chances de désaccords internationaux pour aboutir à l’abolition des frontières. On n’a pas plus le droit de taxer d’utopie cette aspiration que la possibilité pour les hommes de vivre sans autorité gouvernementale.

Properce, au siècle d’Auguste, avait déjà dit dans une ode (II, 15) : « Ah ! si nous avions tous désir de vivre, étendus, à mener l’amour… on ne verrait aucun acte cruel ; ni glaives égorgeurs, ni navires de guerre : les flots d’Actium ne rouleraient pas nos os et Rome garderait ses chevaux en repos, lasse du deuil des victoires amères. » (traduction Marcel Coulon).

En attendant, nous affirmons que là où elle est pratiquée consciemment et efficacement, la camaraderie amoureuse constitue un facteur de camaraderie plus ample et plus complète entre les individus des deux sexes qui la pratiquent.

C’est cet ensemble de propositions et de considérations que nous avons dénommé sexualisme révolutionnaire, et non autre chose. Par l’hostilité qu’elles ont soulevée, nous pensons que ce terme « révolutionnaire » leur convient à merveille.