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orangé, rouge constituent les notes principales de la gamme colorée ; mais trois d’entre elles, le vert, le jaune et le rouge, sont dites couleurs fondamentales, parce qu’elles permettent, quand on les associe en proportions variables, de reproduire toutes les autres. On pourrait distinguer six à sept cents qualités d’impressions lumineuses, au dire de certains ; et l’on a parlé d’un million de nuances colorées, en tenant compte du ton, de l’intensité et de la saturation. D’autres évaluent le nombre des sensations visuelles possibles à 35.000 ; dans chacune des couleurs du prisme, un ouvrier tapissier des gobelins ou d’Aubusson arrive, assure-t-on, à distinguer 1.500 nuances en moyenne, parfois plus, parfois moins.

A l’ouïe nous devons de connaître les bruits, résultats d’ébranlements irréguliers, instables et confus, ainsi que les sons, dus à des vibrations périodiques et régulières. Ces derniers diffèrent entre eux par la hauteur, l’intensité, le timbre ; et une oreille exercée arrive à distinguer un nombre prodigieux de sons. « Des notes les plus basses jusqu’aux plus hautes, écrit Ebbinghaus, nous pouvons percevoir, dans des conditions favorables, plusieurs milliers de notes et dans les hauteurs moyennes, à l’intérieur d’une seule octave, plus de mille. Si, dans l’emploi pratique des sons dans la musique, nous nous contentons d’un nombre plus faible (dans les instruments à notes fixes 12 à l’octave), cela tient en partie à des raisons techniques comme le maniement incommode d’instruments à notes trop nombreuses. Mais cela vient surtout de ce que relativement peu de notes s’accordent bien avec une note prise au hasard. »

On distingue, aujourd’hui, les sensations kinesthésiques et thermiques des sensations tactiles ; aussi n’accordons-nous plus au toucher l’importance exceptionnelle que les anciens psychologues lui attribuaient. Nous devons à ce sens les impressions de contact, de poli ou de rugueux, de chatouillement. Expansions nerveuses peu différenciées, ses organes récepteurs sont répandus sur toute la surface du corps. Néanmoins la sensibilité tactile n’est pas égale dans les diverses régions de la peau ; l’écartement minimum, requis pour que l’on sente séparément les deux pointes d’un compas, permet d’apprécier son degré d’acuité. Pour la langue, les lèvres et le bout des doigts, cet écartement va de 1 à 5 millimètres ; il dépasse 3 centimètres sur le dos de la main et 5 centimètres sur la région dorsale du corps. Quant à la persistance des impressions tactiles, elle est très faible, et si l’on touche une roue dentée, animée d’un mouvement rotatoire, la sensation n’apparaît continue qu’au delà de 40 impressions par seconde.

Le goût, qui a son siège dans la bouche, nous renseigne sur les saveurs ; mais les sensations qu’il nous donne sont habituellement mélangées à des sensations de contact, de chaleur, d’odeur, de mouvement. Parfois même les secondes sont prédominantes : les saveurs astringentes sont d’origine tactile, celles de la menthe poivrée ou de la moutarde s’avèrent surtout calorifiques, et l’on arrive difficilement à distinguer un oignon d’une pomme, lorsque le sens olfactif est détruit. C’est d’ailleurs à des terminaisons nerveuses spéciales que répondent les sensations gustatives fondamentales : sucré, acide, amer, salé. Plusieurs sels métalliques paraissent acides, en effet, quand on les pose à la pointe de la langue, et amers quand on les place dans la région postérieure ; c’est le cas de l’acétate de plomb.

Localisé dans la partie supérieure des fosses nasales, l’odorat joue un rôle prépondérant chez certains animaux. Bien que très réduit chez l’homme, par défaut d’exercice, il demeure capable, en certains cas, de déceler la présence de substances chimiques qui n’existent qu’à dose infînitésimale : on peut sentir un deux millionième de milligramme de musc et un vingt-cinq millionième de milligramme de mercaptan. Le chien, dont

les lobes et les organes récepteurs olfactifs sont beaucoup plus développés que dans l’espèce humaine, retrouve, après plusieurs heures, l’odeur laissée par le passage d’un lièvre ou de son maître. Souvent les sensations olfactives s’associent à des saveurs ou à des sensations thermiques. On arrive même à confondre odeurs et saveurs : lorsqu’il agit sur la muqueuse nasale, le chloroforme semble avoir un goût sucré. Et, quoi qu’on pense, l’ammoniaque n’excite pas les fibres olfactives mais uniquement les organes tactiles du nez. Dans les conditions normales, les effluves odorants sont recueillis à l’état gazeux seulement.

A côté des cinq sens classiques, il convient de faire une place à des sens nouvellement découverts : la cénesthésie, le sens kinesthésique, le sens thermique, celui de l’orientation. Et, sans parler des sens particuliers que l’on rencontre chez certaines espèces animales, nul ne saurait affirmer que l’on n’en découvrira pas d’autres, encore insoupçonnés, même chez l’homme. La cénesthésie ou sensibilité de l’ensemble des organes est liée au fonctionnement des appareils de la respiration, de la digestion, etc…, à celui des glandes, des nerfs, peut-être du cerveau. Habituellement vague et peu claire, lorsque les organes sont en bon état, elle devient très vive dans certaines maladies. Nous lui devons les sensations générales de bien-être, de lassitude, de surexcitation, d’abattement, etc…, ainsi que des sensations de caractère périodique comme celle de la faim. Dans la cénesthésie, l’élément affectif est tout à fait prédominant ; l’élément représentatif ne comporte que des indications vagues et facilement illusoires. Une concentration excessive de l’attention sur les sensations organiques engendre la neurasthénie et la nosophobie ou crainte d’être atteint de toutes les maladies dont on entend parler ; parfois elle aboutit aux phénomènes si curieux de l’autoscopie interne. Le malade parvient à décrire l’état d’organes tels que le coeœur, le foie, les poumons. Des personnes, ignorantes des notions même élémentaires de l’anatomie, ont pu donner des indications sur le jeu de leurs valvules cardiaques ou préciser la place, dans l’intestin, d’une épingle avalée par mégarde.

Le sens kinesthésique, nettement distingué du toucher par les psychologues contemporains, nous renseigne sur l’état de nos muscles, sur les mouvements et la situation de nos membres. Que je remue mon bras ou qu’on le déplace sans aucun effort de ma part, j’en suis averti, dans les deux cas, même si je n’éprouve aucune sensation tactile et si j’ai les yeux fermés. En effet, les sensations kinesthésiques ne viennent pas seulement des muscles, mais aussi des articulations et des tendons. Quant au sentiment de l’effort, auquel Maine de Biran fait jouer un rôle primordial dans sa philosophie, il ne précède pas la contraction musculaire et n’accompagne pas l’innervation centrale. Comme toutes les autres sensations, celle de l’effort résulte d’une impression centripète. Lorsqu’ils cherchent à soulever leurs membres paralysés, certains hémiplégiques ont conscience de l’effort déployé, mais l’on constate qu’ils contractent alors soit les membres correspondants, soit d’autres muscles. Fréquemment, les sensations kinesthésiques se mêlent à d’autres sensations, en particulier à celles du toucher ; toutefois il faut ranger la sensation de pression dans la seconde catégorie et celle de poids dans la première.

Longtemps confondu avec le sens tactile, le sens thermique possède pourtant des organes spéciaux, de qui dépendent nos impressions de froid et de chaud. Les points de notre épiderme qui sentent le froid ne sont, d’ailleurs, pas les mêmes que ceux qui sentent le chaud. Si l’on promène lentement et légèrement une plume d’acier ou une tige pointue sur le dos de la main, l’on perçoit, par intervalles, une sensation de froid liée à certains points. Pour découvrir les points sensibles à