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choc, ingrédients chimiques, etc… produisent une impression lumineuse, quand on les applique au nerf optique, Par contre, la même excitation produit des phénomènes très différents, selon le sens qu’elle impressionne : le courant électrique qui, appliqué à l’œil, détermine une sensation de lumière, provoquera une sensation de choc s’il agit sur le bras, une sensation d’odeur s’il ébranle le nerf olfactif. Aussi, plusieurs physiologistes pensent-ils que la différence spécifique, constatée entre les impressions sensorielles, ne résulte pas de la réalité extérieure, mais du seul système nerveux. C’est une action chimique que l’énergie excitatrice détermine dans les organes des sens ; et c’est la présence des produits de désassimilation qui engendre le sentiment de fatigue, consécutif à des ébranlements trop forts ou trop souvent répétés.

L’excitation est transmise au cerveau grâce à une modification chimique qui, de proche en proche, gagne les éléments encéphaliques. Plusieurs admettent un influx nerveux, analogue au courant électrique. Mais notons qu’il est beaucoup plus lent : sa vitesse, chez l’homme, est de 60 mètres par seconde dans les nerfs centrifuges, de 130 mètres dans les nerfs centripètes. Concernant le travail qui s’accomplit dans l’intimité du cerveau, nous savons fort peu de chose ; toutefois l’on est parvenu à localiser certains centres sensoriels. Un chien devient complètement aveugle, si l’on dénude ses deux lobes occipitaux ; si l’on enlève l’écorce grise du lobe droit seulement, il est partiellement aveugle et de l’œil gauche et de l’œil droit. Pour provoquer la cécité de points limités du champ visuel, il suffit d’enlever des parties déterminées des mêmes lobes. À la suite de lésions occipitales, on a constaté, chez l’homme, des troubles analogues. Chez le chien, l’oreille droite a son centre sensoriel dans la troisième circonvolution occipitale gauche, l’oreille gauche dans la même circonvolution du côté droit. Même si les organes périphériques ne subissent aucune excitation, des sensations apparaissent quand les centres encéphaliques sont ébranlés ; on l’observe dans maints rêves et dans toutes les hallucinations.

Au point de vue psychologique, la sensation subit l’influence et des états qui l’ont précédée et de ceux qui l’accompagnent. Après un bruit étourdissant, l’on ne perçoit pas les nuances de faibles sonorités ; une couleur obtient son maximum de netteté, quand l’accompagnent ses couleurs complémentaires. Harmonie des sons, accord des nuances visuelles sont fondamentales, la première en musique, le second en peinture. De plus, les impressions des divers sens s’entravent ou se renforcent : une sensation lumineuse intense augmente habituellement la finesse de l’ouïe ; des sensations sonores très vives obscurcissent d’abord les perceptions visuelles, puis les stimulent. Un contraste plus ou moins accentué semble nécessaire pour mettre en relief les sensations. Si la température se modifie brusquement, dans la chambre où je me trouve, je le remarque aussitôt ; mais je ne m’en aperçois point, si elle varie lentement. On peut cuire ou congeler des grenouilles, sans qu’aucun mouvement trahisse une douleur quelconque, lorsqu’on élève ou diminue peu à peu la chaleur. En effet, ce que l’on perçoit surtout, c’est le changement, l’opposition. La saveur sucrée d’une solution, trop faible pour être sentie normalement, le sera, et d’une façon très nette, après une application de chlorure de sodium.

Outre sa qualité spécifique et sa nuance individuelle, chaque sensation offre une certaine intensité. Bergson s’est vainement efforcé de montrer que cette dernière se réduisait à un aspect qualitatif. « Une expérience de tous les instants, écrit-il, qui a commencé avec les premières lueurs de la conscience et qui se poursuit pendant notre existence entière, nous montre une nuance déterminée de la sensation répondant à une valeur

déterminée de l’excitation. Nous associons alors à une certaine qualité de l’effet l’idée d’une certaine quantité de la cause ; et finalement, comme il arrive pour toute perception acquise, nous mettons l’idée dans la sensation, la quantité de la cause dans la qualité de l’effet. À ce moment précis, l’intensité, qui n’était qu’une certaine nuance ou qualité de la sensation, devient une grandeur. » Mais les analyses psychologiques de Bergson ne peuvent rendre compte de l’aspect quantitatif de maints états de conscience ; et l’ingéniosité de son langage, capable de merveilleux tours de prestidigitation, ne parvient pas à escamoter ce que, dans un sentiment ou une sensation, l’on dénomme intensité. Par contre, de nombreux auteurs font remarquer, avec justesse, qu’élément affectif et élément représentatif se nuisent dans nos sensations : l’intensité de l’émotion ne favorise pas la netteté de la perception, et les sensations olfactives, gustatives, cénesthésiques, qui présentent un caractère affectif très marqué, ne nous donnent, au point de vue de la connaissance, que des notions imprécises et vagues.

La sensation ne se produit que si l’impression initiale possède une durée suffisante ; et elle persiste après l’excitation, dans une mesure qui varie avec la force de cette dernière. Pour l’œil, cette persistance va de 1/15e à 1/3e de seconde. Aussi l’impression produite est-elle continue, quand les excitations lumineuses se succèdent à des intervalles rapprochés : c’est le principe du cinématographe, et l’enfant sait qu’il peut décrire cercles ou rubans de feu en agitant assez vite un tison enflammé. Les chocs électriques cessent d’être discernables dès que leur nombre dépasse 35 à la seconde sur le corps, 60 sur le front. Des observations analogues ont été faites concernant les autres sens. Au point de vue psychologique, nous sommes conscients de la durée des sensations : durée plus ou moins longue et qui présente un aspect différent selon les sens affectés. Notre notion du temps provient, sans doute, d’une assimilation de ces diverses durées faite, ultérieurement au profit des sensations musculaires et auditives.

Certaines sensations sont manifestement extensives, c’est-à-dire étalées dans l’espace ; tel est le cas des couleurs et des impressions tactiles. Beaucoup de psychologues accordent ce caractère à toutes les données des sens : « La voluminosité, affirme James, est une qualité commune à toutes les sensations, tout comme l’intensité. Nous disons fort bien des grondements du tonnerre qu’ils ont un autre volume de sonorité que le grincement d’un crayon sur une ardoise… Une légère douleur névralgique du visage, fine comme une toile d’araignée, paraît moins profonde que la douleur pesante d’un furoncle, ou la souffrance massive d’une colique ou d’un lumbago… Les sensations musculaires ont également leur volume, ainsi que les sensations dues aux canaux semi-circulaires, voire même les odeurs et les saveurs. Les sécrétions internes surtout sont remarquables à ce point de vue ; témoin les sensations de plénitude et de vide, d’étouffement, les palpitations, les maux de tête, ou encore cette conscience très spatiale que nous donnent de notre état organique la nausée, la fièvre, la fatigue, les lourdes somnolences. »

Les anciens psychologues admettaient cinq sens : la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat ; mais les savants contemporains ont allongé la liste traditionnelle. C’est à la vue que nous devons les sensations de lumière et de couleur. Dans les sensations de lumière, la rétine est actionnée par un mélange complexe des diverses couleurs du spectre, c’est-à-dire par une association de vibrations d’amplitude et de longueur d’onde fort différentes. Dans les sensations de couleur, les rayons excitateurs sont les composants dissociés de la lumière blanche. Violet, indigo, bleu, vert, jaune,