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font, d’englober, dans l’orbite de leurs pauvres spéculations néo-étatistes, le mouvement anarchiste mondial et la philosophie anarchiste elle-même ; c’est protester contre leur essai de solidariser avec leur geste, aux yeux du public non éclairé, l’ensemble des anarchistes restée fidèles à un passé qu’ils n’ont aucune raison de renier, et qui croient, plus que jamais, à la vérité de leurs idées.

Les anarchistes n’ont pas de leaders, c’est-à-dire pas de meneurs. Au surplus, ce que nous venons affirmer ici, ce n’est pas seulement que ces seize signataires sont l’exception, et que nous sommes le nombre, ce qui n’a qu’une importance relative, mais bien que leur geste et leurs affirmations ne peuvent en rien se rattacher à notre doctrine dont ils sont, au contraire, la négation absolue.

Ce n’est pas ici le lieu de détailler, phrase par-phrase, cette Déclaration, pour analyser et critiquer chacune de ses affirmations. D’ailleurs elle est connue.

Qu’y trouve-t-on ? Toutes les niaiseries nationalistes que noue lisons, depuis près de deux années, dans une presse prostituée, toutes les naïvetés patriotiques dont ils se gaussaient jadis, tous les clichés de politique extérieure avec lesquels les gouvernements endorment les peuples. Les voilà dénonçant un impérialisme qu’ils ne découvrent maintenant que chez leurs adversaires. Comme s’ils étaient dans le secret des ministères, des chancelleries et, des états-majors, ils jonglent avec les chiffres d’indemnité, évaluent les forces militaires et refont, eux aussi, ces ex-contempteurs de l’idée de patrie, la carte du monde sur la base du « droit des peuples », et du « principe des nationalités »… Puis, ayant jugé dangereux de parler de paix, tant qu’on n’a pas, pour employer la formule d’usage, écrasé le seul militarisme prussien, ils préfèrent regarder le danger en face, loin des balles. Si nous considérons synthétiquement, plutôt, les idées qu’exprime leur Déclaration, nous constatons qu’il n’y a aucune différence entre la thèse qui y est soutenue, et le thème habituel des partis d’autorité groupés, dans chaque nation belligérante, en « Union Sacrée ». Eux aussi, ces anarchistes repentis, sont entrés dans 1’ « Union Sacrée », pour la défense des fameuses « libertés acquises », et ils ne trouvent rien de mieux, pour sauvegarder cette prétendue liberté des peuples, dont ils se font les champions, que d’obliger l’individu à se faire assassin et à se faire assassiner pour le compte et au bénéfice de l’État. En réalité, cette Déclaration n’est pas l’œuvre d’anarchistes. Elle fut écrite, par des étatistes qui l’ignorent, mais par des étatistes. Et rien, par cette œuvre inutilement opportuniste, ne différencie plus ces ex-camarades des politiciens, des moralistes et des philosophes de gouvernement, à la lutte contre lesquels ils avaient voué leur vie.

Collaborer avec un État, avec un gouvernement, dans sa lutte, fût-elle même dépourvue de violence sanguinaire, contre un autre État, contre un autre gouvernement, choisir entre deux modes d’esclavage, qui ne sont que superficiellement différents, cette différence superficielle étant le résultat de l’adaptation des moyens de gouvernement à l’état d’Évolution auquel est parvenu le peuple qui y est soumis, voilà, certes, qui n’est pas anarchiste. À plus forte raison, lorsque cette lutte revêt l’aspect particulièrement ignoble de la guerre. Ce qui a toujours différencié l’anarchiste des autres éléments sociaux dispersés dans les divers partis politiques, dans les diverses écoles philosophiques ou sociologiques, c’est la répudiation de l’État, faisceau de tous les instruments de domination, centre de toute tyrannie ; l’État qui est, par sa destination, l’ennemi de l’individu,, pour le triomphe de qui l’anarchisme a toujours combattu, et dont il est fait si bon marché dans la période actuelle, par les défenseurs du « Droit » également situés, ne l’oublions pas, de chaque côté de

la frontière. En s’incorporant à lui, volontairement, les signataires de la Déclaration ont, en même temps, renié l’anarchisme.

Nous autres, qui avons conscience d’être demeurés dans la ligne droite d’un anarchisme dont la vérité ne peut avoir changé du fait de cette guerre, guerre prévue depuis longtemps, et qui n’est que la manifestation suprême de ces maux que sont l’État et le Capitalisme, nous tenons à nous désolidariser d’avec ces ex-camarades, qui ont abandonné leurs idées, nos idées, dans une circonstance où, plus que jamais, il était nécessaire de les proclamer haut et ferme.

Producteurs de la richesse sociale, prolétaires manuels et intellectuels, hommes de mentalité affranchie, nous sommes, de fait et de volonté, des « sans patrie ». D’ailleurs, patrie, n’est que le nom poétique de l’État. N’ayant rien à défendre, pas même des « libertés acquises » que ne saurait nous donner l’État, nous répudions l’hypocrite distinguo des guerres offensives et des guerres défensives. Nous ne connaissons que des guerres faites entre gouvernants, entre capitalistes, au prix de la vie, de la douleur et de la misère de leurs sujets. La guerre actuelle en est l’exemple frappant. Tant que les peuples ne voudront pas procéder à l’instauration d’une société libertaire et communiste, la paix ne sera que la trêve employée a préparer la guerre suivante, la guerre entre peuples étant en puissance dans les principes d’autorité et de propriété. Le seul moyen de mettre fin à la guerre, de prévenir toute guerre, c’est la révolution expropriatrice, la guerre sociale, la seule à laquelle nous puissions, anarchistes, donner notre vie. Et ce que n’ont pu dire les seize à la fin de leur Déclaration, nous le crions : Vive l’Anarchie !… — Le Groupe Anarchiste International de Londres. (Avril 1916.) »


D’autre part, dans un numéro de Freedom (avril 1916), Malatesta protesta personnellement contre les affirmations des Seize. Voici son article, intitulé « Anarchistes partisans du Gouvernement » :

« Un manifeste vient de paraître, signé par Kropotkine, Grave, Malato et une douzaine d’autres vieux camarades, dans lequel, se faisant l’écho des gouvernements de l’Entente, qui demandent la lutte à outrance et jusqu’à l’écrasement de l’Allemagne, ils ont pris position contre l’idée d’une « paix prématurée ». La presse capitaliste publie, avec une naturelle satisfaction, des extraits du manifeste, et annonce que c’est le travail des « dirigeants du mouvement anarchiste international ». Les anarchistes, presque tous restés fidèles à leurs convictions, se doivent de protester contre l’essai d’impliquer l’anarchisme dans la continuation d’une féroce boucherie, qui n’a jamais promis de bénéfice à la cause de la Justice et de la Liberté et qui, maintenant, se montre absolument stérile et sans résultat, même du point de vue des gouvernants, quel que soit le côté de la barricade qu’ils occupent.

La bonne foi et les bonnes intentions de ceux qui ont signé le Manifeste sont en dehors de toute question. Mais, si pénible qu’il soit d’incommoder de vieux amis qui ont rendu tant de services à la cause qui, dans le passé, nous fut commune, on ne peut, — au point de vue de la sincérité, et dans l’intérêt de notre mouvement d’émancipation — omettre de se séparer de camarades qui se considèrent capables de réconcilier les idées anarchistes et la collaboration avec les gouvernements et la classe capitaliste de certains pays, dans leur lutte contre les capitalistes et les gouvernants de certains autres pays.

Durant la guerre actuelle, nous avons vu des républicains se plaçant au service des rois, des socialistes faisant cause commune avec la classe dirigeante, des travaillistes servant les intérêts des capitalistes ; mais, en réalité, tous ces gens sont, a des degrés variables, des conservateurs, croyant en la mission de l’État, et