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éprouvées par ce fléau. De puissantes actions internes se font sentir aussi bien sur les hauts plateaux des Alpes et des Andes, dans les prairies du Mississipi ou les steppes de la Sibérie, que dans les sables de la Syrie, dans les vallées des Alpes où les collines bordant le cours du Rhin.

On admet que le voisinage de la mer joue un grand rôle dans la production des séismes. Mais ceux-ci se produisent de préférence le long de deux zones nettement limitées, qui correspondent à des plissements brusques de l’écorce terrestre.

L’une part du Portugal méridional, passe par l’Andalousie, l’Algérie, les Pyrénées, les Alpes, l’Italie, l’Asie-Mineure, l’Himalaya et les îles de la Sonde. L’autre comprend les rives du Pacifique, le Kamtchatka, le Japon, les Philippines, la Nouvelle Guinée, la côte occidentale des deux Amériques, depuis le cap Horn jusqu’aux îles Aléoutiennes.

Malgré que la violence des séismes soit superficielle, l’effort interne ne rencontrant pas à la surface du sol la résistance qu’il éprouve plus bas de la part des formations géologiques, on a malheureusement enregistré de véritables catastrophes ayant produit un nombre important de dégâts et fait de nombreuses victimes. Citons, parmi ces séismes désastreux : 1693, en Sicile : 93.000 victimes. En 1755, Lisbonne : 30.000 victimes ; en 1783, Calabre : 90.000 victimes ; en 1906, San-Francisco ; en 1908, Messine : 100.000 victimes et récemment, en 1930, au Japon : près de 300.000 victimes. Et pourtant les tremblements de terre sont des phénomènes excessivement fréquents, la terre est en état de mobilité perpétuelle. Seulement la majorité des séismes passent inaperçus, car ils se produisent soit en mer soit dans des régions inhabitées. Seuls ceux ayant ébranlé des régions habitées et ayant eu des résultats désastreux se gravent dans l’éphémère mémoire des hommes. — Charles Alexandre.


SEIZE (Le Manifeste des). Sous cette appellation, on a désigné, dans le mouvement anarchiste, une déclaration datée du 28 février 1916, qui fut publiée pour la première fois dans le quotidien syndicaliste La Bataille, le 14 avril 1916. Le n°16 des publications de La Révolte et des Temps Nouveaux, du 15 octobre 1922, a reproduit in-extenso la dite déclaration, signée de quinze noms seulement ; cela provient de ce que Husseindey, le seizième signataire supposé, n’était, en réalité, que la localité (Algérie) habitée par l’un des signataires : Orfila. Ainsi, le trop fameux Manifeste des Seize aurait du se dénommer, à plus juste titre, le Manifeste des Quinze. Mais ce serait commettre une nouvelle erreur de ne voir, en cette déclaration, qu’une adhésion de quinze anarchistes. Les événements de l’époque firent que, lorsque cette déclaration fut communiquée à la presse française et étrangère, quinze camarades seulement approuvèrent le texte, pressé que l’on était de le publier ; dans le numéro du 14 avril 1916 de La Libre Fédération, périodique communiste-anarchiste, paraissant à Lausanne, une bonne centaine d’adhésions nouvelles venaient s’ajouter aux précédentes ; elles émanaient de camarades français, italiens (les plus nombreux), quelques-uns de Suisse, d’Angleterre, de Belgique et du Portugal. Certaines étaient suivies de ces deux mots curieux : « Aux Armées » ; une même, dont l’adresse était : 7, rue de la Halle, au Havre, était illisible.

Telle est l’histoire de cette déclaration appelée à soulever des polémiques violentes et à faire surgir des antagonismes qui, en 1933, persistent. Pour mieux situer ce Manifeste dans le cadre de l’évolution sociale du début du XXe siècle, on peut s’autoriser à le comparer, sur des plans différents, au Manifeste des 93 intellectuels allemands, qui, lui aussi, donna naissance à de nombreux commentaires, et dire que le premier fut

au mouvement anarchiste ce que le second fut au monde « intellectuel ».

Le Manifeste des Seize — nous continuerons à le désigner ainsi — eut une répercussion considérable, qui se manifesta d’une façon véhémente dans toute l’action du mouvement anarchiste d’après-guerre. L’oubli est loin de s’en être emparé, pour l’envelopper d’indifférence, ou le remiser au musée des erreurs de doctrine ou de tactique envers un idéal. J’ignore si les générations de demain lui attribueront encore la même importance ; quoi qu’il en soit, et on le contestera difficilement, ce fut pour le mouvement anarchiste, une manifestation fort regrettable. Elle fut cause de divisions et de fractionnements dont le mouvement tout entier dut subir les contre-coups.

Le mouvement anarchiste, avant 1914, était loin de rallier des masses organisées et disciplinées comme celles des partis politiques et des organisations ouvrières. Si des défections se produisirent parmi les adeptes de l’idéal anarchiste, on doit reconnaître en toute bonne foi que, proportionnellement, elles furent cependant minimes. Et l’on peut affirmer, sans prétention aucune, que l’idéal anarchiste reste ce qu’il n’a cessé d’être, sans être affaibli par des compétitions dont la variabilité est incompatible, et pour le moins contestable, avec la défense de son idéologie et de ses principes.

Dès le début de la guerre, quelques militants anarchistes, réfugiés en Angleterre, poursuivaient leur propagande dans Freedom, le journal anarchiste-communiste de Londres, fondé en 1886 par Kropotkine et Charlotte M. Wilson. Les trente-neuf années d’existence de ce journal en faisaient le doyen de la presse anarchiste du monde entier. Dans les numéros d’octobre, de novembre et de décembre 1914, une controverse animée s’engagea au sujet de la guerre. On y trouva une contribution pro-guerriste de Kropotkine, Tcherkesoff et Jean Grave d’une part, et celle des anti-guerristes : Malatesta et une grande partie des anarchistes anglais d’autre part. Kropotkine n’admettait guère que l’on pût avoir une idée opposée à celle défendue par les pro-guerristes et, logique avec lui-même, il mettait en exécution un point de vue jadis exprimé : qu’en cas de conflit entre la France et l’Allemagne, il prendrait position pour la France, qu’il trouvait plus évoluée et dont il craignait que la défaite n’entraînât une réaction internationale.

A quelques amis, lors d’un passage à Paris, en 1913, je pense, Kropotkine avait déclaré : « Et la guerre ? J’ai dit, lors d’un précédent passage à Paris, à un moment où il était, question de guerre aussi, que je regrettais d’avoir 62 ans et de ne pouvoir prendre un fusil pour défendre la France dans le cas où elle serait envahie ou menacée d’invasion par l’Allemagne. Je n’ai pas changé d’opinion sur ce point. Je n’admets pas qu’un pays soit violenté par un autre, et je défendrai la France contre n’importe quel pays d’ailleurs : Russie, Angleterre, Japon, aussi bien que contre l’Allemagne. » C’était là une profession de foi francophile doublée d’un romantisme révolutionnaire qui, si elle cadrait peu avec les écrits de l’auteur de « La Conquête du Pain » et des « Paroles d’un Révolté », pouvait s’harmoniser avec celui de « La Grande Révolution ». Mais, en ce cas, que devenait la fameuse « insurrection en cas de guerre », prônée par le mouvement anarchiste révolutionnaire ? Cette polémique entre les interventionnistes et les anti-guerristes provoqua bientôt une rupture dans le groupe de Freedom. Et, dépassant la mesure que se doit de garder une controverse courtoise, Tcherkesoff… : « …alla même jusqu’à injurier grossièrement Keell en personne, parce que ce militant refusait de céder aux injonctions de la demi-douzaine (tout au plus) de Kropotkiniens qui voulaient mettre le journal au service de la guerre. » Pour dissiper la mauvaise impression produite par cette rupture vio-