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Ceci nous amène naturellement à étudier ce mot en fonction du problème de la paix.


I. Historique. — Le problème de la sécurité des États s’est posé de tous temps. Les efforts de l’Église catholique au moyen âge s’essayant à créer une sorte de communauté chrétienne internationale dont elle prétendait, par son chef, assumer la direction spirituelle ; la création du Saint-Empire romain germanique, première tentative d’organisation européenne généralisée, double effort deux fois brisé par le Grand Schisme et la Réforme ; la Sainte-Alliance de 1815, franc-maçonnerie de princes dressés contre l’esprit de la Révolution, qui se garantissaient mutuellement leur pouvoir politique et leurs acquisitions territoriales ; — et nous passons, à regret, sous silence les généreuses rêveries individuelles d’un Sully, d’un Bernardin de Saint Pierre ou d’un Hugo — les multiples conférences de La Haye qui, faute de pouvoir organiser la paix, se sont contentées d’humaniser, de légaliser en quelque sorte la guerre ; ce sont là autant d’efforts convergents et divers qui tendaient à l’organisation de la sécurité permanente par la consécration d’un statu quo politique et territorial.

Après la grande guerre, il fallut reprendre cet effort. Ne l’avait-on pas promis ? C’est la raison des grands actes internationaux de 1919 : traité de Versailles et Pacte de la Société des Nations. Le traité de Versailles apparaissait surtout comme la consécration des vieilles idées politiques d’avant-guerre : démembrement territorial des vaincus, affaiblissement de l’adversaire par le désarmement, système d’alliances combinées, et le Pacte constituant, à l’inverse, sous l’impulsion du président Wilson, un incontestable effort tendant à l’organisation juridique et morale de la paix.

Il convient alors de rappeler ici, pour mémoire et pour éclairer ce qui suit, l’obligation de désarmer contenue précisément dans l’un des articles de ce Pacte.

Article 8. — Les membres de la société reconnaissent que le maintien de la paix exige la réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l’exécution des obligations internationales imposées par une action commune.

L’engagement pris à Versailles en 1919, par les nations signataires du Pacte est donc inconditionnel, absolu.

M. Henri Rollin, délégué de la Belgique à la S. D. N., commentant cet article 8, écrivait récemment pour répondre à ceux qui prétendent — c’est là l’argument des milieux officiels français — qu’avant de songer à l’application de cet article il faut d’abord réaliser la sécurité :

« Eh bien non ! la sécurité n’est pas une condition de la réduction. Comme l’a dit mon collègue italien M. Scialoja : la sécurité n’est pas la condition, c’en est la mesure. Dans ce Pacte, les membres de la S. D. N. ont pris un engagement d’honneur inconditionnel : A Versailles, à Saint-Germain, au Trianon, on a exigé au comptant la réduction des armements pour certains pays, (l’Allemagne, l’Autriche, etc.) mais on a promis à terme celle de tous les membres de la S. D. N. L’heure est venue d’acquitter cette dette. »

Cette promesse a même été aggravée.

Après le Pacte où figurent cet engagement d’honneur inconditionnel et cette promesse à terme, la partie V du Traité de Versailles imposé à l’Allemagne (clauses militaires, navales et aériennes) débute ainsi :

« En vue de rendre possible la préparation d’une limitation générale des armements de toutes les nations, l’Allemagne s’engage à observer strictement les clauses militaires, navales et aériennes ci-après stipulées… »

Que signifie ce texte encore qui figure également et

dans les mêmes termes, dans les traités de Saint-Germain, du Trianon et de Neuilly imposés aux alliés de l’Allemagne ? Il signifie, contre toute autre exégèse, que la limitation des armements de l’Allemagne et de ses alliés, avait pour but de rendre possible et immédiate dès que constatée, la limitation générale des armements dans le monde.

C’est ainsi que l’Allemagne l’entendit et M. Clémenceau lui-même, dans sa lettre aux puissances centrales, qui fait autorité en ces matières, du 16 juin 1919. Ajoutons encore : c’est toujours ainsi que l’Allemagne l’entend. Et, par ailleurs, rappelons que le désarmement de cette Allemagne a été constaté par le maréchal Foch lui-même, dans un rapport, resté célèbre, de 1927. Dans ce rapport, le maréchal Foch a reconnu, le 27 février 1927, que, au 1er janvier 1927, l’Allemagne était effectivement désarmée.

Mais, nous l’avons vu, à cette idée claire, dynamique, populaire du désarmement, succède, dès 1923, une idée obscure dont nous nous proposons de juger le contenu : l’idée de sécurité. Le désarmement, même limité, c’est un peu simple et cela trouble trop de calculs. On ne pourra désarmer qu’après avoir fondé la sécurité. Alors, derrière ce paravent, viennent s’abriter tous les adversaires résolus ou sournois du désarmement ; militaires, marchands d’obus et politiciens sans vergogne, que rassemble le même sordide intérêt, écrivains et journalistes au service du profit menacé. Aucun ne manque à l’appel.

Ni les accords de Locarno, de 1925, garantis par l’Angleterre, et par lesquels l’Allemagne renonçait à l’Alsace-Lorraine — librement cette fois ! — ni le pacte Briand-Kellogg de renonciation à la guerre, rien ne peut les satisfaire. Il leur manquera toujours un engagement supplémentaire qu’on jugera dérisoire et insuffisant dès qu’obtenu.

Nous résumerons notre pensée en disant qu’on a ainsi dressé la sécurité contre le désarmement.

II. La sécurité par les armements. — Il nous faut donc suivre nos adversaires sur ce terrain où ils s’engagent. Est-il besoin de démontrer que la guerre classique, la guerre telle qu’elle a été faite jusqu’à ce jour, c’est-à-dire avec des armées en campagne s’étendant et se stabilisant sur des fronts interminables jusqu’à ce qu’intervienne, par lassitude ou par usure, la décision militaire finale ; la guerre avec un avant et un arrière, des combattants menacés et des non-combattants protégés par les premiers ; la guerre avec ses innombrables légions de sacrifiés et ses quelques cohortes de profiteurs, cette guerre-là a vécu.

Méthodes d’hier !

Aujourd’hui, demain, la science et la technique industrielle aidant, la guerre aéro-chimique menacera toute l’humanité. Cités populeuses, fortes agglomérations industrielles seront plus particulièrement menacées, sévissant sur tout et partout à la fois, elle emportera dans une sorte de rage folle ce qui peut subsister encore de civilisation !

En présence de telles perspectives, que valent ces mots : sécurité, défense nationale ? Il est indéniable que ces notions acquièrent un nouvel aspect, qu’elles ne sont plus ce qu’elles étaient au temps où les moyens des hommes s’avéraient plus restreints ou différents.

D’autant que nos moyens de défense contre cette guerre monstrueuse sont tragiquement limités. La guerre aéro-chimique et bactériologique ne peut pas plus être exactement prévue qu’empêchée, soit par des moyens de défense appropriés, soit par des réglementations internationales.

Méditez les citations suivantes (extraites du rapport final de la Conférence de Genève, 1925) :

« La mise en exécution d’une interdiction ou d’une