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XÉNOPHOBE, XÉNOPHOBIE. De par son étymologie (du grec zénos, étranger, et phobos, effroi), la définition qu’il convient de donner de ce mot, définition qui, d’ailleurs, est la plus généralement admise, est la suivante : le xénophobe est celui qui déteste l’étranger. La xénophobie est donc l’état d’esprit, la passion de quiconque a en haine l’étranger.

L’ « étranger », c’est-à-dire celui qui n’est pas du même lieu, celui que les hasards de la vie ont fait naître dans un autre pays, dans une autre nation, dans une autre « Patrie », laquelle est située de l’autre côté de la frontière, bien que cet « étranger » soit pétri du limon dont sont faits tous les hommes, bien que ses besoins, ses misères, ses souffrances, ses joies, ses grandeurs et ses petitesses autant que ses aspirations et ses rêves, soient ceux de tous les pauvres mortels !

Relater tous les méfaits, toutes les horreurs, tous les crimes, toutes les abominations dont cette passion fut et est encore l’instigatrice, serait faire toute l’histoire de l’Humanité, depuis les âges les plus obscurs où l’homme, désarmé et privé de tout, ne pouvait être qu’ « un loup pour l’homme », jusqu’à la formation de nos sociétés modernes, merveilleusement outillées, en possession d’un prodigieux acquis, et où l’individu, se sentant de plus en plus solidaire de ses semblables, s’achemine lentement mais résolument vers l’unification et la pacification de la planète qu’il habite !

On conçoit, sans effort, qu’aux époques les plus reculées, lorsque l’homme à peine sorti de l’animalité la plus grossière, se trouvait, en quelque sorte, sous la dépendance de la nature ; que, contraint, par l’indigence du sol, par l’ignorance de toutes les richesses que ce sol recélait en son sein ; que, réduit, en somme, par l’insuffisance d’une nourriture extrêmement précaire, à une lutte de tous les instants en vue de conquérir ce qui était indispensable à l’entretien de son existence, on conçoit que l’homme fut tout naturellement enclin à considérer comme ennemis des créatures en tous points semblables à lui, mais qui, par le jeu du hasard autant que par l’impérieuse loi des affinités ou les nécessités de la vie, constituaient le clan voisin que les mêmes besoins, le même instinct de la conservation poussaient à rechercher une subsistance déjà convoitée et qu’on ne parvenait, le plus souvent, à se procurer qu’au prix d’une pêche ou d’une chasse comportant les plus graves dangers !

Il fallait manger et les produits étaient rares ! Quoi d’étonnant que les hommes se dressassent farouches, impitoyables, en concurrents, et que dans le cerveau du primitif naquit la haine de celui, « l’étranger », l’homme de l’autre clan, qui venait lui disputer la maigre pitance qu’une nature hostile, avare de ses biens, ne lui accordait que contre la rançon de pénibles efforts ?

Mais aujourd’hui ! Alors que l’homme s’est soustrait à la tyrannie de la nature grâce à une compréhension de plus en plus nette des phénomènes qui l’entourent ; alors qu’il cultive le sol, extrait des entrailles de la terre les immenses richesses qu’elle renferme, qu’il accroît sans cesse et qu’il perfectionne les instruments de travail, multiplie les produits les plus variés, qu’en un mot, par l’utilisation des moyens prodigieux que son esprit inventif et de plus en plus averti a mis au jour, il pourrait faire naître l’abondance qui satisferait aux besoins de tous, on comprend mal, tout d’abord, qu’il puisse encore nourrir des sentiments de méfiance, de malveillance, à l’égard des autres hommes qui, le plus souvent, ne diffèrent guère de lui que par le langage ou certains détails de l’aspect extérieur.

Dans son intellect, lentement, au cours d’innombrables siècles, se formèrent des habitudes, des instincts moraux qui l’incitaient à rechercher des formes de société toujours plus favorables à la réalisation de son bien-être et de sa sécurité. Mais, en même temps, alors que, de plus en plus soumis à cette grande loi de la nature qu’est l’entraide, il s’unissait à ses pairs dans le but d’accroître le bien de tous et de chacun, en même temps un second courant représentant un autre aspect des rapports humains, se dessinait. L’affirmation du « moi », de l’individu se manifestait. Dès lors, lutte pour atteindre une supériorité personnelle, lutte pour une supériorité de caste et également pour une supériorité de clan, de tribu, de province, de pays, de nation, de patrie !…

A bien envisager les choses, la xénophobie résulterait de ce sentiment qu’a l’individu de sa prétendue supériorité. La très haute opinion qu’il a, bien souvent, de lui-même, de sa personnalité, fait qu’il tient en mépris la personnalité d’autrui. En vertu de cette doctrine qu’est l’anthropocentrisme qui voit dans l’homme, en général, le centre des choses, la fin suprême de la nature, chaque individu tend, à son tour, à se considérer, comme un modèle, comme un parangon de beauté, d’intelligence, qui peut, par conséquent, témoigner à l’égard des autres – nécessairement ses inférieurs, – à l’égard de tout ce qui n’est pas lui, d’une indifférence allant très souvent jusqu’au dédain, sinon jusqu’à la haine !

Et ce sentiment peut se généraliser, devenir collectif.

Si l’on étudie, par exemple, le peuple juif, avant que le plus cruel et le plus ironique des destins ne l’ait contraint à se disperser, à se dissoudre dans toutes les nations, à devenir cet infortuné « peuple errant emportant sa patrie à la semelle de ses souliers » ; si l’on étudie l’histoire de ce peuple, on apprend que celui-ci était à ce point imbu de sa « supériorité » qu’il ne pouvait admettre qu’il y eût d’autres lois, d’autres codes que ceux qui lui avaient été dictés par son Dieu