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excessives. Très vive chez le bambin, chez l’adolescent, l’affectivité s’émousse en général quand la maturité arrive. A beaucoup les enthousiasmes de nos pères sont devenus incompréhensibles ; une exaltation pareille ne convient, croient-ils, qu’à de tout jeunes gens ; et notons que ceux d’aujourd’hui sont plus positifs que leurs devanciers. Qu’on s’en réjouisse ou s’en afflige, il appert que les civilisés avancent vers une sorte d’ataraxie ; avec assez de lenteur toutefois pour que se rassurent les amateurs d’émotions fortes.

Insérée dans la trame de nos représentations et de nos désirs, la volonté les oriente dans un sens que d’eux-mêmes ils n’auraient pas. Comme toute cause relative, seule l’espèce que nous connaissions, elle est dénuée de puissance créatrice et suppose des antécédents ; à la règle suprême : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », elle est soumise à coup sûr. Comme toute cause aussi, elle a des conséquents et se prolonge en effets qui sans elle ne seraient pas : effets d’ordinaire imprévisibles, tant sont multiples et variables les éléments impondérables qui entrent dans une volition. Sur l’efficacité pratique de notre activité réfléchie, aucun doute n’est possible si, délaissant le vain domaine des abstractions métaphysiques, nous situons le problème dans le plan des données positives. La volonté s’avère facteur primordial dans le déterminisme de la vie ; voilà qui suffit pour proclamer sa valeur essentielle, sans recourir à un libre-arbitre inintelligible même pour ses partisans. Et c’est la condamnation d’un épiphénoménisme qui creuse un abîme entre la matière et la pensée, qui, de plus, oublie qu’aucune force ne disparaît si toutes se transforment. Moyen d’action du vouloir sur notre vie mentale, l’attention maintient, au foyer de la conscience claire, les seuls états qui lui agréent. Images, sensations, idées font alors l’objet d’un examen minutieux ; d’où les arts, les sciences, les techniques multiples engendrées par la réflexion. Puis au monde extérieur, tant matériel qu’organique, nous apportons, grâce au mouvement, des modifications conformes à nos désirs. Sur l’univers nous avons prise ; dans les séries causales, il nous est loisible d’introduire des facteurs nouveaux.

Quant à l’impression de libre choix qui accompagne les décisions volontaires, ce n’est point de l’ignorance des causes génératrices qu’elle résulte, comme le croyait Spinoza. Cette impression s’affirme d’autant plus forte, en effet, que nous connaissons mieux le pourquoi de nos décisions, les motifs et les mobiles auxquels notre vouloir obéit ; elle naît du sentiment qu’a l’individu d’être l’auteur conscient d’actes soit mauvais, soit bons. Notre moi dans ce qu’il a de profond, idées, tendances, besoins, non dans ses éléments superficiels ou peu durables, désirs subits, brusques émotions, s’affirme cause et raison d’être de faits déterminés. S’ils résultent d’une impression isolée ou morbide : accès de fièvre ou de colère, aucunement de la personnalité essentielle, gestes et paroles ne comportent qu’une responsabilité minime, nulle même. Mais nous estimons libres, réfléchies, préméditées, les actions qui découlent de la synthèse hiérarchisée d’éléments psychiques que l’on dénomme volonté. Déjà, le pouvoir personnel existe chez l’animal et chez l’enfant, d’où une attente joyeuse ou triste que l’éducation et l’habitude développent singulièrement ; néanmoins il ne s’épanouit que chez l’homme adulte. La liberté, dont témoigne la conscience, apparaît signe et conséquence de l’activité efficiente du moi, de sa causalité psychologique. Elle est l’équivalent, pour l’énergie mentale, des données sensibles à l’égard du monde extérieur. Toujours la causalité intellectuelle provoque le sentiment de liberté, comme, dans le monde physique, les ondes sonores engendrent des sensations auditives, les vibrations lumineuses des impressions colorées. Pas plus que ne sont mensongères les perceptions provoquées par les objets qui nous environnent, ce sentiment

n’est illusoire ; il a, comme elles, une valeur symbolique et relative. Quant à l’imprévisibilité des réactions volontaires, c’est une résultante soit de l’infinie complexité des antécédents, soit de la diversité incroyable des conditions de temps et de milieu.

Les volontés fortes, réfléchies, persévérantes, sont rares, même parmi les individus normaux et sainement équilibrés. Beaucoup sombrent par manque de courage. Ne maudissons pas trop la peur de souffrir, elle est à la base de mille inventions utiles et de l’ensemble du progrès ; aux époques favorables, elle incite à prévoir les jours mauvais pour en atténuer les rigueurs. Mais il arrive, et maintes fois, hélas ! que la perspective de douleurs, d’avance et faussement jugées insupportables, fasse déserter l’arène sans avoir engagé le combat. Beaucoup s’avèrent les artisans de leur propre défaite ; pareils aux naufragés que l’espoir abandonne, d’eux-mêmes, ils desserrent l’étreinte qui les retient à la bouée de sauvetage. Que de belles actions ne furent point faites, que d’œuvres remarquables ne virent jamais le jour, parce qu’une crainte excessive paralysa les muscles, engourdit les cerveaux. Le vrai, le seul vaincu, c’est l’homme qui croit l’être, même dans les fers il ne l’est pas, celui qui ignore le découragement. Au courage, joignons la patience, une patience active qui n’est pas la résignation chère aux théologiens. Loin de s’engourdir dans un sommeil fataliste, que l’esprit reste vigilant, prêt à saisir toute occasion d’agir qui s’offre. Répondre par la douceur aux violences de tyrans bien organisés n’excite point mon admiration ; se laisser insulter par quiconque, jouer les rôles de souffre-douleur et de bon chien, c’est le fait d’un pleutre ou d’un sot. Qui attend tout du hasard, de ses chefs ou d’un bon dieu qu’il flagorne, s’avère dupe incorrigible. Mais, pour que les semences confiées au sol donnent une moisson superbe, il faut de longs mois ; de nos impatiences ou de nos prières la nature se moque ; c’est en fonction de règles implacables que se déroulent ses processus. Les travaux à longue échéance, les luttes gigantesques de notre espèce contre la nature ou des précurseurs contre l’injustice humaine exigent aussi la persévérance. Aux volontés tenaces sont dues, en général les œuvres qui durent. Rénovations de la pensée, de l’art, du savoir, réformes des directives morales exigent une rare constance chez leurs promoteurs, qu’environne l’indifférence ou l’hostilité. Malgré la répugnance qu’inspirent maintes de leurs idées, un saint Paul, un Mahomet, un Luther étonnent, aujourd’hui encore, par l’opiniâtreté infatigable de leur apostolat. Même remarque touchant l’effort d’un Christophe Colomb, d’un Bernard Palissy, d’artistes, de savants innombrables qui peinèrent de longues années, une vie entière parfois, avant d’atteindre le but qu’ils s’étaient proposé. A l’inverse, chez beaucoup, les plus belles qualités restent infécondes, parce que leur vouloir instable ne parvient à se fixer nulle part. Ils essayent tout, mais s’éloignent sans avoir rien approfondi ; la première difficulté les rebute. Au lieu de prendre la voie droite, ils n’avancent un peu que pour revenir en arrière, s’égarent dans des sentiers tortueux, obliquent souvent à la croisée des chemins. Sans doute, les volontés les plus fermes défaillent à de certains moments ; joie et douleur, espoir et crainte, enthousiasme et découragement se succèdent, chez tous, selon un rythme variable mais fatal. Du moins l’homme persévérant se ressaisit avant qu’il soit trop tard. — L. Barbedette.


VOLUPTÉ n. f. (du latin voluptas, dérivé fort probablement de volupe, chose agréable, plaisir, et de velle, vouloir ardemment. Volupie est, dans la Mythologie, la déesse du plaisir, du bien-être et de la santé ; fille de l’Amour et Psyché).

Vif sentiment de plaisir soit physique, soit moral. Interprété dans son double sens, volupté a une très