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VÉRITÉ n. f. (du latin : véritas, même signification). Qualité de ce qui est. La vérité avait une place importante dans l’idéologie du XVIIIe siècle, « Vitam impendere vero » ; consacrer sa vie à la vérité, était la devise de Rousseau. Depuis quelques dizaines d’armées, surtout depuis la guerre, la vérité, dans l’universelle révision des valeurs, est sortie très diminuée.

Il y a à cela plusieurs causes. D’abord le système d’Einstein qui a remis en question les vérités les plus inattaquables, les vérités mathématiques. Si le système d’Euclide est contestable, tout l’est à plus forte raison ; la science n’est pas plus solide que les constructions de l’imagination. Il faut voir une autre cause dans les théories nouvelles de la physique. Avant elle, la matière apparaissait comme ce qu’il y a de solide par excellence, ce qui est. Le matérialisme était la philosophie de la réalité, par opposition au spiritualisme : philosophie du rêve. La théorie des quanta qui a fait de l’atome une unité d’énergie, les ion et électron, a, en quelque sorte, spiritualisé la matière, faisant de la suprême réalité quelque chose de compliqué, accessible seulement à une petite minorité de savants.

Naturellement, les hommes de la religion, de toutes les religions, se sont précipités avec joie sur ces nouvelles conceptions qui donnaient un renouveau à leurs doctrines. La religion cessait d’être une absurdité indigne d’un esprit cultivé et bonne tout au plus pour l’enfant et le sauvage. Si la science ne représentait plus la vérité, si tout devenait relatif, changeant, contestable, la religion n’était pas plus fausse que le reste.

Les classes dirigeantes sentant le monde capitaliste crouler, abandonnèrent leur voltairianisme, et leur libre pensée. Elles comprirent que l’idée était, avant toute chose, un outil et que la religion était un outil qui pouvait les servir en maintenant le peuple dans la résignation.

Les esprits qui trouvaient décevante la philosophie matérialiste parce qu’elle fait de l’homme un animal qui, après une vie plus ou moins longue, disparaît complètement, furent heureux des nouvelles doctrines. Ils pouvaient, sans honte, se remettre à espérer.

Ce fut une belle floraison pour toutes les superstitions : spiritisme, théosophie, christianscientisme, adventisme, sectes religieuses de tout genre. Les voyants et voyantes, les fakirs de l’Inde et d’ailleurs, les guérisseurs font fortune. On fait la queue à la porte de leur cabinet et on donne avec joie une forte somme d’argent pour se faire faire l’imposition des mains qui enlèvera la maladie que les médecins n’ont pu guérir.

Quant au clergé, il a repris sa place dans les cérémonies officielles. Les gouvernements, même de gauche, l’admettent comme n’étant pas seulement le représentant d’une doctrine qui, comme les autres, a droit à la liberté, mais comme une autorité. Le sorcier officiel, dont, seuls, les siècles d’existence ont pu faire oublier l’origine de tromperie, est traité comme le représentant d’une force sociale respectable,

Mais si le relativisme a fait beaucoup de mal, en accordant droit de cité aux pires superstitions, il a, d’autre part, fait quelque bien en ébranlant les morales. Il y a une huitaine d’années, on passait facilement pour un monstre lorsqu’on doutait du caractère absolu du devoir et du bien. Maintenant, on peut dire, sans se faire honnir, que la morale est une convention, que le bien de chez nous est le mal d’ailleurs et que, du moment qu’il n’y a que des conventions, la révision en est possible.

Certes, le relativisme est, en quelque manière, un progrès. Dans les questions complexes, la vérité est bien individuelle. Chacun est l’aboutissant de sa formation propre, de tout un système d’idées si nombreuses qu’il est bien difficile de retrouver leur origine.

Néanmoins, il n’y a guère de vie sociale possible s’il n’y a pas, entre les esprits humains, des points communs ; si chacun ne peut espérer convaincre autrui par la force de ses arguments, par la logique de leur ordonnance. Universalisé, le relativisme aboutit au confusionnisme et aussi au découragement moral de l’individu qui se persuade que toute œuvre est inutile et que, seule, la vie animale, sans pensée, peut avoir un sens. Il faut croire à une vérité, au moins temporaire, pour trouver dans l’action un sens à la vie. — Doctoresse Pelletier.


VÉRITÉ (La) et l’Église catholique}}. Ce qui me plonge dans une stupeur indicible, ce qui est, à mes yeux, la marque par excellence de l’étonnante autorité dont jouit encore l’Église catholique et le trait décisif de l’empire qu’elle exerce sur l’esprit de ses adeptes, c’est l’aisance invraisemblable avec laquelle elle est parvenue à s’imposer comme étant la dépositaire de la Vérité éternelle et totale.

La Vérité !… Est-il possible que, de nos jours, une doctrine, une école, une philosophie, une religion ait l’outrecuidance de penser et l’impudence d’affirmer qu’elle est en possession de la Vérité ! Est-ce possible ? Voyons : depuis des milliers d’années, les hommes les mieux doués et les plus studieux ont consacré le constant et fécond effort de leur activité intellectuelle à arracher à la nature quelques-uns des secrets qu’elle garde jalousement enfermés dans ses entrailles ; ils sont parvenus, dans la lenteur des siècles, en groupant méthodiquement les résultats graduellement obtenus, en se les transmettant, comme le dépôt le plus précieux, à déchiffrer péniblement les premières lettres de cet énigmatique alphabet.

A force de recherches, auxquelles ils ont appliqué le meilleur de leurs facultés et le plus pur de leurs connaissances, quelques-uns de ces penseurs, de ces savants — rares, très rares — sont parvenus à la découverte de quelques notions rudimentaires, de quelques connaissances primaires, sur lesquelles ils ont fait reposer quelques présomptions basées sur la répétition constante des mêmes faits, sur l’observation mille fois réitérée d’un enchaînement rigoureusement et incessamment le même dans la succession et la dépendance des phénomènes constatés ; ces quelques présomptions, imperturbablement confirmées dans le temps et l’espace, ont acquis peu à peu le caractère et la force d’une notation sérieuse. Les probabilités ainsi enregistrées se sont, à la longue, progressivement solidifiées ; en l’absence de tout fait nouveau ruinant les hypothèses et explications antérieures et faisant échec aux affirmations du monde scientifique, ces probabilités se sont transformées en certitudes.

Ces quelques certitudes sont les tout premières lettres de cet alphabet que le savoir humain a pour mission de déchiffrer jusqu’au bout.

Avec quelle ferveur ceux qui, sur les cinq parties du globe, sont épris de Vérité et de Science, épèlent, balbutient et répètent ces premières lettres ! Avec quelle foi ils espèrent ajouter à ces premières conquêtes ! De quelle confiance en l’avenir de la Science, ils sont imprégnés, quand ils contemplent les résultats acquis, si parcellaires et faibles qu’ils soient ! Ils savent bien que ces vérités fragmentaires ne sont que des lambeaux arrachés au voile sous lequel la Vérité, la Vérité complète, totale, universelle se dérobe à notre anxieuse curiosité.

Réunissez ces princes de la Science ; qu’ils s’assemblent, ces représentants illustres de toutes les civilisations, de tous les pays et de toutes les branches de l’arbre scientifique. Demandez à chacun d’eux ce qu’il sait, ce dont il est certain, ce qu’il peut affirmer. Chaque membre de cet incomparable aréopage, dont l’ensemble est pourtant la quintessence de l’esprit humain,