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bles, sans que les longs et douloureux préludes que nous connaissons ne précèdent sa funèbre intervention, ce raisonnement et ce choix pourraient à la rigueur, se soutenir. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Dans la réalité, combien de malheureux, au contraire, sont accablés par une vieillesse précoce et tourmentés de cruelles souffrances, interminables souvent avant que ne sonne l’heure de la délivrance. Tous ces tuberculeux, tous ces cancéreux, ces hépatiques, ces uréïques, véritables moribonds ambulants ; tous ces asthéniques, ces névrosés, valétudinaires, vains fantômes dont le regard exhale épouvante et souffrance et dont l’épiderme suinte une mort lente et hideuse : de quels prix ne soldent-ils pas leur ignorance et leurs imprudences, aussi leurs inconscientes bravades ?

Ah ! s’ils avaient la claire vision de ce qui les attend ; s’ils étaient à même de dénombrer par anticipation, les avantages et inconvénients que comporte cette monstrueuse boutade qu’est « la vie courte et bonne », chaque jour proférée par un « perroquétisme » de mauvais aloi, il est certain que bien des fronts se plisseraient devant ce problème et que nombreux seraient ceux qui refuseraient de souscrire à ce marché de dupes. Ce n’est là cependant qu’un aspect de la terrible échéance qu’il leur faut acquitter. Il en est d’autres dont les exigences peuvent être aussi décevantes. Non content de s’abuser soi-même on est porté à induire en erreur son entourage, à égarer les êtres qui nous sont chers. Qu’une amante adorée, qu’un enfant chéri, qu’un aïeul vénéré, qu’un ami, enfin, chaudement affectionné, succombent inopinément sous les coups d’un sort imprudemment défié, n’êtes-vous pas cruellement frappé, plongé dans l’affliction ? Combien de ruines, de désastres, sont chaque jour consommés, accumulés, qui eussent pu être évités si vous aviez tenté de cultiver dans votre esprit et dans celui de ceux que vous aimez une saine et sage conception du bonheur ? Car nous recueillons tous les fruits de l’arbre que nous avons planté…


Mais est-il aussi formellement établi, ainsi qu’on le prétend, que, intrinsèquement, la formule d’existence prônée par nos contemporains hyper-civilisés atteint les cimes interdites à des mœurs plus simples ? Ne sommes-nous pas dominés par une colossale suggestion, maîtresse de nos pensées, de notre sensibilité, faussant ainsi nos jugements, nos sensations, nos sentiments ?

Il est évident que celui qui est, dès sa prime enfance, accoutumé à une discipline alimentaire, éprouve des sensations gustatives inconnues du quidam n’ayant pas le même étalon. Nous évoluons, ici, en plein dans le relatif. Celui dont le palais est familiarisé, de longue date, avec les saveurs fortes des viandes, des rôtissures, des sauces savantes, ne peut évidemment trouver près de mets simples, faiblement mais finement aromatisés, les impressions nuancées, les délicates sensations papillaires qu’il eut éprouvées avec un sens gustatif autrement éduqué.

L’ouvrage d’Hector France : Les préjugés de Cuisine est, à ce point de vue, pleinement édifiant. Il met d’emblée en évidence, que tel mets dont raffole telle peuplade n’a d’autre résultat que de provoquer la nausée et le dégoût chez d’autres individus. Vous délecteriez-vous de pâtes confectionnées avec la partie charnue des cafards hantant vos appartements ? Ils constituaient cependant, autrefois, le plat de prédilection des habitants de certains Comtés d’Angleterre.

Savoureriez-vous certains mets où auraient préalablement macéré un grand nombre de fourmis ? Ils faisaient jadis les délices des indigènes de maints de nos villages du Midi. En Sibérie, certaines peuplades n’apprécient le poisson que lorsqu’il est convenablement putréfié. Et en France même, bien des « gourmets » ne consomment-ils pas le gibier que lorsqu’il est à point

« faisandé », c’est-à-dire en proie à une odorante putréfaction ?

Si l’Esquimau se repaît avec délectation de son lard de phoque cru et des entrailles fumantes de ses victimes ; si l’Arabe savoure ses dattes, le Chinois son riz cuit à l’eau, l’Italien sa polenta et son macaroni, ne pouvons-nous logiquement affirmer que chacun enregistre un total de « vibrations » gustatives inconnues des autres ? Et qu’il est bien difficile d’en fixer l’équivalence ou la supériorité ? En matière alimentaire, comme dans n’importe quel autre domaine s’y rattachant, seule l’habitude compte… Dès lors, lorsque nous avons la notion très nette de nous être fourvoyés, pourquoi ne point réagir ? Pourquoi ne point tenter, au bénéfice de notre état général, la rééducation de notre goût oblitéré ? Ce ne peut être, ce n’est assurément qu’une question de temps.

Nous ne contestons pas, certes, que l’entreprise soit hérissée de difficultés. L’habitude est tenace et sait se défendre. Il ne faut pas moins de toute la somme de volonté, de sa puissance suggestive, mobilisées contre ses forces d’inertie pour obtenir le triomphe final. Mais pénétrons-nous bien de cette idée que l’humanité ne diffère véritablement de l’animalisme que dans la claire et vigoureuse association des forces intellectuelles et volitives et que l’Individu ne doit avoir d’ambitions que dans le sens de cette réalisation synthétique…

Outre l’assurance d’un meilleur équilibre, d’une propension à la vie simple dont les régimes nouveaux goûteront l’harmonie, le végétarisme est encore, dans le milieu présent et pour le combat quotidien une arme insoupçonnée. Mettons en balance les faibles dépenses qu’il impose et les sacrifices résultant du régime alcoolo-carné et nous apercevrons sans peine qu’il jouit de la suprématie. De quels généreux espoirs de libération économique ne s’avère-t-il pas le générateur présumé ? Quelles sommes de possibilités ne recèle-t-il pas dans ses flancs ? Collectivement, il se révèle aussi un auxiliaire précieux. En permettant. à maintes virtualités sociales de s’épanouir ; en réduisant les charges innombrables incombant à la communauté ; en restituant aux incalculables « poids morts » remorqués par la société, une vitalité gravement compromise… Et combien de violences et de brutalités qui font cortège au carnivorisme que sa pratique éloignerait ? Combien, avec lui, les mœurs se débarrasseraient de spectacles cruels, de scènes sanglantes dont l’humanité ne sent encore toute la honte et l’indignité !


Quelles peuvent être les destinées du Végétarisme ? L’essor dont il est le bénéficiaire actuel permet-il d’augurer favorablement de son avenir ? Certes ! son ascension fut laborieuse et lente. Il eut cependant d’illustres adeptes et précurseurs. Pythagore, Sénèque, Lamartine, Michelet, Tolstoï, Élisée Reclus, Bernard, Shaw, pour n’en citer que quelques-uns, plaidèrent âprement et éloquemment sa cause. Mais c’est surtout l’expansion du carnivorisme avec ses conséquences catastrophiques pour l’organisme humain qui fut son meilleur agent de diffusion. Il réunit aujourd’hui sous son égide de nombreux disciples répandus sur tous les points du globe. De nombreux journaux, revues, livres et brochures, inspirés de sa forte et persévérante philosophie, contribuent à percer dans l’immense forêt des préjugés la sage voie que l’humanité ne pourra indéfiniment mépriser, si, toutefois, elle désire se prolonger et se survivre. — Jules Méline.

Index Bibliographique : L’Examen Scientifique du Végétarisme, par le Pr Jules Lefèvre ; Faut-il être végétarien, par le Dr Collière ; La base de toute réforme, par Otto Carqué, traduction de Nyssens ; La Table du Végétarien, La Cuisine Simple du Dr Carton, etc… et les revues Hygie, Régénération, Naturisme, Le Natu-