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et qu’elles ne peuvent en rien légitimer la plus minime idée d’adaptation.

Il nous faut cependant encore, avant de pénétrer dans le vif du sujet, répondre à l’inéluctable objection que ne manquent jamais de soulever les détracteurs du végétarisme et tendant à accréditer, aux yeux des non-prévenus, cette version de l’adaptation : à savoir les Esquimaux. Il semble, en effet, a priori, que l’argument possède un dynamisme singulier. On oublie trop que ce peuple constitue un cas exceptionnel et qu’aucune exception n’a jamais infirmé une règle.

Il apparaît, en effet, que ces pygmées de l’Arctique ont, du moins d’une façon toute relative, réalisé ce tour de force de vivre uniquement d’un régime pour lequel, pas plus que nous d’ailleurs, ils n’étaient primitivement physiologiquement constitués. Comment interpréterons-nous, du point de vue adopté, cette curieuse anomalie ?

Notons d’abord que toutes les informations qui les concernent n’ont rien de bien précis ni d’étendu. Nous ne possédons aucun document touchant leur degré de longévité. Quant aux maladies qui les accablent, nous savons déjà, malgré le peu de renseignements en notre possession, qu’ils sont fréquemment atteints de rhumatisme, affection spécifique du régime carné puisqu’elle résulte d’un empoisonnement par l’acide urique, ce qui tendrait à prouver que leur prétendue adaptation laisse à désirer.

Nous savons également qu’ils consomment viandes et poissons crus, faute de quoi, d’ailleurs, ils ne pourraient subsister ; qu’ils dévorent parfois le contenu prédigéré de l’estomac de leurs victimes, riches en principes vitalisants et qu’ils absorbent de fortes masses graisseuses, sources d’énergie thermique, substance dédaignée par les civilisés parce que particulièrement indigeste. Depuis combien de millénaires ces malheureux sont-ils astreints à ce répugnant régime ? Dix ?… Vingt ?… Cinquante ?… plus peut-être. L’origine remonte certainement à une époque extrêmement reculée…

Mais si nous nous avisons de comparer ce peuple rabougri, ratatiné, dégénéré, aux splendides races végétariennes peuplant le monde, en particulier celles du Pacifique, que n’ont point encore exterminées leurs cyniques conquérants, nous sommes contraints de constater qu’il est le triste aboutissant d’une évolution rétrograde qui fait de lui un véritable déchet de l’humanité.

On pourrait objecter que maints facteurs sont intervenus pour accentuer cette pitoyable régression physique, le froid infernal, entre autres, sévissant parfois avec une redoutable intensité, dans les régions particulièrement désolées où ils gîtent. Ces considérations ne peuvent jouer, attendu que d’autres spécimens zoologiques, hôtes accoutumés de la banquise : l’ours blanc, l’éléphant marin, le phoque, etc…, jouissent d’une stature, d’une corpulence, d’une vigueur qui ne le cèdent en rien aux espèces similaires vivant sous des cieux plus cléments. Le grand caribou lui-même, qui hante les plaines glacées de l’Alaska, où le thermomètre enregistre parfois des fléchissements insoupçonnables, est nanti d’une puissance et d’une résistance vraiment exceptionnelles.

Sans vouloir cultiver le paradoxe, on peut affirmer que, loin de nuire au développement et à la vitalité des êtres ayant adopté, par la force des choses, l’incommensurable habitat circum-polaire éternellement congelé, ses implacables rigueurs contribuent, au contraire, à les doter de virtualités souvent inconnues des autres espèces évoluant dans les régions chaudes ou tempérées. Dans ce pays affligé d’une température inexorable, les rejetons malingres, chétifs, ne peuvent subsister. Seuls, les êtres favorablement doués triomphent des traîtrises de l’ambiance. Mais, seuls aussi, ils se reproduisent et une sélection automatique, merveilleuse, im-

pitoyable, se réalise, préjudiciable à quelques-uns, souverainement favorable à l’espèce. On conviendra donc que si les Esquimaux sont handicapés au regard des autres races humaines, c’est surtout le régime qui est intervenu, opérant sur eux une décadence qu’une autre espèce spécifiquement carnivore n’eût point subie.

Nous conclurons donc que, si relative que puisse être l’adaptation de ces pygmées de la banquise à l’alimentation carnée, on ne saurait invoquer leur cas spécial comme la preuve d’une immunité contre les méfaits du carnivorisme chez l’homme.


Mais, objectera-t-on, pourquoi frapper d’ostracisme les produits de boucherie, jusqu’alors réputés, dont se repaissent cependant, sans risques de dommages et pour leur plus grand profit, tous les représentants de la faune carnassière et omnivore ? Que peuvent-ils recéler d’aussi dangereux pour justifier semblable sentence ?

C’est que, contrairement au préjugé courant, la chair des animaux, en raison des principes dangereux qu’elle contient et de ceux qu’elle engendre au cours de son élaboration, ne possède pas, pour l’être humain, le caractère d’interchangeabilité particulier aux comestibles végétaux. Par surcroît, il faut se pénétrer que la Nature n’a pas conféré, en raison des lois de l’adaptation, à tous les êtres vivants organisés, avec une égalité de répartition équitable, le privilège d’immunisation que certains d’entre eux possèdent à l’égard de maintes substances, inoffensives pour eux, dangereusement toxiques pour d’autres. C’est ainsi que le datura et la jusquiame, meurtriers pour l’homme n’offrent aucun danger pour le colimaçon qui s’en repaît. L’amanite phalloïde, dont un seul spécimen suffit pour envoyer ad patres toute une famille humaine, peut être impunément consommé par le lapin. Ce rongeur n’a rien à redouter du seigle ergoté qui tue, à dose modérée, le chien ; la cigüe, susceptible de nous faire emprunter la barque fatidique, n’incommode même pas la souris, la brebis, la chèvre, le cheval. Le crapaud absorbe de l’acide prussique dont les effets, même à quantité infinitésimale, sont foudroyants pour nous. Morphine et opium qui, à certaines doses, nous dépêcheraient chez Pluton, n’indisposent ni l’oie, ni la poule, ni le pigeon. L’alcool, indispensable aliment du ferment acétique, est un universel poison pour les autres êtres vivants.

Or la viande est farcie de purines, de ptomaïnes, de leucomaïnes, etc., poisons plus violents que l’aconit, décelés par l’analyse. Les premières proviennent de phénomène de la désassimilation qui a pour siège les tissus vivants, et toute viande, même de qualité irréprochable, en est saturée. Ce sont elles qui lui communiquent son goût acide que l’on reconnaît facilement lorsqu’elle est mangée crue ; les ptomaïnes, découvertes par Armand Gautier, résultent d’un phénomène spontané de décomposition cellulaire survenant après la mort de l’animal. Si nous ajoutons que la viande de boucherie n’est livrée au commerce que plusieurs jours suivant l’abattage, après l’extinction de toute rigidité cadavérique ; que cet « attendrissement », si apprécié des « gourmets », est l’œuvre des agents de la putréfaction, nous aurons suffisamment précisé que d’autres éléments toxiques sont intervenus, aggravant, par leur pernicieuse présence, celle de leurs sinistres devanciers.

Certes, ces indésirables toxines, pour si dangereuses qu’elles soient, n’ont pas des conséquences immédiatement mortelles pour l’homme parce que présentes en quantités restreintes. Elles n’en sont que plus redoutables en raison de ce que leurs effets désagrégateurs sont insidieux et lents. Tant que foie et reins n’ont pas subi une trop grave altération sous leur action caustique au point de défaillir et de se soustraire à leur mission neutralisante et éliminatrice, l’existence se déroule, apparemment normale. Ce n’est qu’après être amputés de leurs moyens d’action partiels par la destruction de