Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VEG
2853

le sens vertical, tandis que celui des carnivores et des omnivores ne peut manœuvrer qu’à la façon d’une cisaille.

Ces différences fondamentales, faciles à vérifier en raison de l’abondance de sujets de comparaison que nous avons journellement sous la main (homme, chien, chat) ne se limitent pas à la cavité buccale, L’estomac des nécrophages est beaucoup plus volumineux, sa paroi est plus puissamment musclée que ne l’est l’outre gastrique des mangeurs de fruits, de racines et autres végétaux. Ces particularités sont amplement justifiées. La trituration stomacale des viandes hâtivement dégluties, sommairement mastiquées, nécessite un péristaltisme particulièrement énergique. Par surcroît, il sécrète, en bien plus grande abondance, de l’acide chlorhydrique destinée à favoriser, non seulement l’élaboration plus rapide des chairs ingérées, mais aussi des os que l’homme ne peut digérer. Cela est important, car la digestion des masses osseuses permet aux carnassiers un copieux ravitaillement en sels minéraux dont le muscle est en partie dépourvu.

Si nous portons notre examen sur la portion intestinale du tube digestif. nous trouvons même dissemblance comparative, Très brève chez les « mangeurs de cadavres », puisqu’elle n’équivaut qu’à cinq ou six fois la longueur de leur corps, mesurée de l’extrémité du museau à la naissance de la queue, permettant ainsi une prompte expulsion du bol fécal de constitution éminemment fermentescible, elle égale dix à douze fois cette proportion chez l’homme et ses consanguins sylvestres (mesure prise du sommet de la tête à la naissance du coccyx) pour atteindre vingt à vingt-cinq fois ce développement parmi les représentants de la faune herbivore en respectant les mêmes procédés de mensuration.

Enfin, fait particulièrement suggestif et d’importance insoupçonnée de la plupart des profanes, le foie des carnophages possède, malgré une apparente similitude morphologique, le privilège, non seulement de neutraliser les toxines recélées par la viande ou celles engendrées au cours de son élaboration, mais aussi et surtout de métamorphoser les résidus albumineux, issus de la digestion, en ammoniaque, substance d’élimination facile, tandis que la glande hépatique des frugivores et des herbivores ne peut élaborer, au détriment de ces reliquats, que de l’urée et de l’acide urique, dont le taux sanguin est d’autant plus élevé que la ration carnée est en prépondérance.

Voici donc établi, du point de vue rigoureusement anatomique et physiologique, que l’homme est loin d’être, par destination, ou carnivore, ou omnivore, puisque sa structure dentaire, hépato-gastro-intestinale l’apparente, au contraire, d’une façon indiscutable, aux seules espèces s’accommodant exclusivement de la plus extrême frugalité.

Certains ne manqueront pas d’objecter, malgré l’évidence de cette démonstration, qu’en raison de pratiques culinaires hétérodoxes, usitées par une incommensurable lignée d’ancêtres, l’homme contemporain a acquis une adaptation l’autorisant à déroger au régime s’harmonisant a sa constitution primitive. Qu’en conséquence, sa « nature » actuelle la dispense des astreintes alimentaires ancestrales.

Ce raisonnement ne tient pas compte, malheureusement, du fait que son organisation digestive n’a même pas amorcé une révolution anatomico-physiologique démontrant le bien-fondé de cette thèse. Ce n’est pas sans raison que le tube digestif et ses annexes glandulaires diffèrent selon les différents modes alimentaires auxquels sont soumises les différentes espèces, Que, par conséquent, une véritable adaptation de l’homme au carnivorisme, partielle ou totale, ne peut logiquement résulter que de leur modification morphologique et histologique. Cette métamorphose organique n’eût d’ailleurs été possible que par l’addition d’un nombre colos-

sal d’années de pratique exclusivement nécrophagiques, condition loin d’être réalisée, ainsi qu’il est facile de vérifier.

Il nous faut, pour cela, remonter le cours des temps géologiques, jusqu’à l’aurore de l’âge tertiaire, À ce moment, le groupe anthropomorphe est constitué. Vers le miocène, puis au cours du pliocène, évoluait parmi la faune anthropoïde, le Dryopithèque, géniteur présumé de l’espèce humaine. Les mœurs de ce simien, analogues à celles de ses autres congénères, étaient rigoureusement fruito-végétaliennes. L’aube du quaternaire voit apparaître les premiers êtres humains, grossières caricatures de leurs descendants actuels, dont le type est l’homme de Néanderthal, homo-simien plutôt qu’homme, et qui évolue vraisemblablement au cours des deux étapes chelléenne et moustérienne. Son anatomie de grimpeur, aux membres inférieurs écourtés, atteste encore ses irréductibles habitudes fruitariennes.

Il nous faut atteindre les portions solutréenne et magdalénienne pour constater une révolution culinaire chez nos ascendants, se traduisant par une dérogation à la frugalité traditionnelle.

Quelle importance revêtit-elle ? C’est ce qu’il importerait de préciser. Affecta-t-elle toute l’humanité existante ou quelques fragments seulement ? Ne fut-elle qu’un pis aller momentané, émaillée de récidives, rares ou fréquentes, commandées par d’impérieuses nécessités (famines, etc…) ou imposée par un rituel dont le caractère nous échappe ? Persista-t-elle au cours d’interminables périodes, ou ne fut-elle que furtive ? Autant de questions vouées au silence, attendu qu’aucun témoin oculaire et avisé, contemporain de ces lointaines époques, n’a pu consigner les faits et gestes de cette naissante humanité.

Ce qu’il y a de certain c’est que, même au cours des longues périodes de revêtements glaciaires embrassant une vaste portion de l’hémisphère boréal, une végétation suffisante tapissait de nombreuses vallées profondes permettant aux pachydermes, aux bovins, aux solipèdes, etc…, de subsister, nous autorisant à admettre que les hommes préhistoriques pouvaient trouver tout ou partie de leur subsistance sans être contraints à répudier d’antiques et frugales habitudes.

Ce qui témoigne de leur souci d’échapper à l’incertitude d’une végétation stérile ou capricieuse, c’est qu’avec l’âge néolithique, apparaissent de rudimentaires instruments aratoires qui se perfectionnent, s’amplifient, se multiplient avec l’âge du bronze, De nombreux indices historiques attestent également que les fils de la Gaule, véritables pionniers de l’agriculture, ne vivaient, eux aussi, « de chasses et de pêches » que d’une façon exceptionnelle, contrairement à ce qu’affirment nos manuels scolaires.

Par conséquent, le dogme du pseudo-carnivorisme outrancier de nos ancêtres préhistoriques est loin d’être fondé.

Si nous descendons le cours de l’histoire en brûlant les étapes, nous constatons qu’au cours de périodes prodigieusement longues, l’incroyable insuffisance des salaires dévolus aux masses laborieuses, citadines et rurales, qui oscillaient encore, il y a une centaine d’années, entre 0 fr. 50 et 2 francs par unité quotidienne, frappait d’interdit tous aliments coûteux, considérés comme luxe, la viande y compris. Le pain lui-même, cet aliment devenu démocratique, ne figurait pas sur toutes les tables en raison du faible pouvoir d’achat des foules besogneuses, Seule, l’infime minorité des classes aisées pouvait s’offrir les plaisirs de la bonne chère, ce dont elle ne se privait pas.

Ce rapide exposé démontre surabondamment que les récentes pratiques d’un carnivorisme généralisé et intensif remontent à peine à quelques générations, grâce aux hauts salaires pratiqués depuis quelques lustres,