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ques de ces sots de cour et d’église fut le sieur François de Clermont-Tonnerre, évêque de Noyon, au XVIIe siècle. Il eût été digne de figurer dans la galerie molièresque, à côté de la comtesse dEscarbagnas pour qui un domestique ne pouvait s’appeler que Laquais. Cet évêque a servi de modèle à La Bruyère. Il s’était fait, disait-il, « une loi de ne jamais louer de roturier ». Dans ses discours, ne pouvant se décider à appeler ses auditeurs : « mes frères », il les traitait de « canaille chrétienne ». Au moment de mourir, il dit avec la plus profonde conviction : « Dieu y regardera à deux fois avant de damner un homme de ma qualité ! » La charité et l’humilité chrétiennes n’étouffaient pas, comme on le voit, cet évêque de « qualité » ! Elles n’ont jamais étouffé la plupart des gens d’église avec ou sans « qualité ».

Bien qu’ils affectent de mépriser la vanité pour des vertus plus édifiantes, les gens d’Église s’affublent, comme des charlatans, de titres auxquels ils s’attachent avec opiniâtreté. Ils jouent ainsi les ânes qui portent des reliques. Sans rire, du moins devant leurs dupes, ils se font appeler « Sa Sainteté », « Sa Grandeur », « Son Éminence », et ils se donnent à tort et à travers du « Monseigneur ». L’histoire de l’origine de ce dernier titre dont se parent MM. les Évêques, est vaudevillesque. Saint Simon l’a contée ainsi : « Dans une assemblée du clergé, les évêques, pour tâcher de se faire dire et écrire « Monseigneur », prirent délibération pour se le dire et se l’écrire réciproquement les uns les autres. Tout le monde se moqua d’eux et on riait de ce qu’ils étaient monseigneurisés. Malgré cela, ils ont tenu bon, et il n’y a point eu de délibération parmi eux, sur aucune matière sans exception, qui ait été plus invariablement exécutée ». Depuis, la loi de 1801 qui a établi le Concordat, a dit dans un de ses articles organiques : « Il sera libre aux archevêques et évêques d’ajouter à leur nom le titre de citoyen ou de monsieur ; toutes tes autres qualifications sont interdites. » Cette prescription légale demeure toujours ; mais ces messieurs ont « tenu bon », ils ont continué à se donner à tour de bras du « monseigneur », à s’en faire donner par leurs ouailles et même par le monde officiel de la République laïque. Il est, pour les évêques, des grâces d’État, comme il en est de divines, qui les mettent au dessus de la « canaille » laïque aussi bien que chrétienne. Renan appelait cette façon de se « monseigneuriser » une faute de français. Dernièrement, un décret de la Congrégation du Cérémonial auprès du Saint-Siège a conféré officiellement le titre d’ « Excellence » à nombre des dindons de la haute volière ecclésiastique.

La vanité nobiliaire n’a pas non plus disparu, malgré l’abolition des privilèges féodaux. Au contraire, elle a multiplié avec le nombre des gens qui se disent « de qualité », depuis qu’on est en démocratie. Aussi est-elle devenue de plus en plus bouffonne et ridicule. Le ver s’était introduit dans le fruit de l’orgueil nobiliaire lorsque celui-ci s’était laissé gagner par ce qui pourrissait tout ce qu’il pouvait y avoir de noble dans la bourgeoisie : l’argent. Lorsqu’un général de Castries disait d’un d’Alembert : « Cela veut raisonner, et cela n’a pas mille écus de rente ! », il résignait définitivement toute supériorité aristocratique pour tomber dans l’incongruité bourgeoise. La vanité nobiliaire s’est complètement ravalée et discréditée par la suite dans les compromissions les plus suspectes. Les « chroniques mondaines » du Figaro et autres moniteurs du muflisme aristocratique, révèlent une singulière promiscuité entre la noblesse « Vieille France » et la progéniture de Thénardier qui fait aujourd’hui l’aristocratie des « gangsters » du gouvernement, des affaires, du théâtre, des lupanars et autres « milieux de qualité » !… Il n’est plus possible de distinguer un « baron », barbeau de basse classe, d’un ruffian, authentique descendant

des anciens preux. Les proxénètes qui gagnent la Légion d’honneur en fournissant des petites filles à des ministres de la République se trouvent en famille dans les palaces, les tripots, les bobinards, avec les petits-fils des du Barry qui étaient faits chevaliers de Saint-Louis quand ils donnaient leur nom, par un mariage saintement béni de l’Église, à des demoiselles Jeanne Bécu, catins royales. Seules des reines de concours de beauté, des dames de cinéma et leurs Alphonse peuvent être « épatés » par la vanité ostentatoire de cette aristocratie fangeuse, et seules aussi peuvent en avoir encore le respect les vieilles nouilles de l’Académie et du « noble faubourg », indécrottablement figées dans ce que E. Bergerat appelait la « costalgie du beauregard » !…

Ayons en nous l’orgueil libérateur, l’orgueil excitateur d’une « large ambition », celle de sauvegarder notre personnalité, notre Moi, dans une collaboration fraternelle avec tous ceux qui la méritent en nous la rendant. Mais combattons la vanité sordide établie sur « mille petites cupidités », celle qui veut faire de nous des inférieurs et des esclaves, qui veut entretenir son parasitisme de notre travail, cultiver son insanité aux dépens de notre intelligence, et gardons-nous de suivre ses exemples de servilité, de lâcheté et de sottise. Soyons orgueilleux, dans le bon sens du mot, et non vaniteux, ce mot n’ayant qu’un mauvais sens. Nous voulons être des hommes libres ; soyons, s’il le faut, des bêtes féroces des cavernes et des déserts, ne soyons pas des perroquets bavards, sans âne, sans rognons, sans conscience. Laissons les perroquets vider leurs ordures sur nos têtes. Comme le disait Tailhade : « La fiente des choucas ne déshonore pas les métopos du Parthenon. »

Dans Calendal, Mistral a donné ce magnifique conseil à tous ceux qui veulent être des hommes libres : « Sieguès umble emé l’umble, é mai fier que lou fier ! » (Sois humble avec l’humble et plus fier que le fier !). C’est là le conseil d’un orgueil fraternel, généreux et digne. Il méprise la vanité, insolente devant les humbles, obséquieuse et rampante devant les puissants. ― Édouard Rothen.


VAUTOUR n. m. du latin Vultur — Zool. : Genre d’oiseaux rapaces, type de la famille des vulturidés. — Arg. : Monsieur Vautour. Usurier. « Propriétaire impitoyable. » (Dictionnaire Larousse.)

C’est exactement, en deux mots, la définition la plus brève de l’oiseau malfaisant dont nous voulons parler très brièvement ici.

Inutile de nous étendre sur l’oiseau à plumes. On le connaît assez comme vilain oiseau qui se repaît de la charogne animale ou humaine, que son œil perçant sait apercevoir de très haut et que son odorat extraordinaire fait se délecter d’avance, de très loin, par cette forte odeur de putréfaction qui l’attire. Après avoir plané quelques instants dans les airs, il se précipite sur sa proie avec avidité, et, de son bec puissant et crochu, il se hâte de déchiqueter le cadavre, de s’en gaver et de s’enfuir. Car le vautour n’est pas l’aigle : il est lâche et craintif ― c’est la nature qui l’a fait ainsi ― et ne s’attaque jamais seul à un être vivant. Il aime mieux la charogne, sans risque, que la chair fraîche avec le moindre danger. Il a bien les mœurs lâches et bourgeoises, telles que nous les connaissons chez la plupart des propriétaires. Aussi, nous ne contestons rien à ce que nous trouvons parfaitement d’accord avec nous dans Larousse : « Arg. : Monsieur Vautour : Usurier. Propriétaire impitoyable… »

Et, les pires de tous, sont ceux qui vivent de la misère des pauvres ! Ceux-ci ne sont-ils pas souvent de mauvais payeurs… et pour cause ?… Mais si, individuellement, on rencontre des locataires payant difficilement l’un ou l’autre des termes dût annuellement