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VAN
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Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ! (Vanité des vanités, et tout est vanité), répète volontiers l’Église, pour montrer la fragilité des choses humaines et opposer, à tout ce qui est sujet à l’erreur et ne dure pas, ce qu’elle appelle l’infaillibilité et l’éternité du divin qu’elle prétend représenter. Elle s’appuie sur cette formule catégorique pour condamner l’orgueil comme le premier des péchés capitaux, parce qu’il pousse l’homme à rechercher et à trouver la vérité en dehors d’elle et d’un divin aussi chimérique que malfaisant. Tous les hommes qui ont été vraiment grands, utiles à l’humanité et l’ont fait progresser dans les voies de la connaissance et d’un perfectionnement de ses conditions de vie et de bonheur, ont été stimulés par un légitime, un admirable orgueil. Tous ceux qui n’ont été que des fous, des malfaiteurs, n’ont occupé le monde que par un exhibitionnisme sanglant ou grotesque, n’ont obéi qu’à leur vanité. C’est l’orgueil qui a construit, sur le roc inébranlable de la science, le monument de l’humanité. La vanité n’a fait qu’édifier, sur le sable mouvant de la sottise, une gloire dérisoire que le vent et la vague emportent dans une nuit. « Votre humanité n’est pas plus solide sur le roc que sur le sable. Omnia vanitas ! », ricanent, en grinçant des dents, les coryphées de l’éternité divine. Ces imposteurs, qui détiennent la vanité la plus monstrueuse, oublient que leur divin n’est pas plus éternel que l’humain puisque c’est l’humain qui l’a fabriqué. Or, le fini, l’imparfait, le temporaire ne peuvent produire l’infini, le parfait, l’éternel, pas plus que ceux-ci ne peuvent produire sans se démentir eux mêmes le fini, l’imparfait, le temporaire, sauf dans les divagations théologiques qui font l’arithmétique trinitaire et réparent les virginités éculées. L’Église condamne l’orgueil, mais elle exploite la vanité. Dans son Histoire des oracles, qui a fourni à la critique philosophique du XVIIIe siècle presque tous ses arguments contre la religion, Fontenelle a montré comment l’ignorance des hommes les a poussés à adopter un merveilleux que la fourberie des prêtres n’était que trop disposée à leur servir. Mais il a fallu leur vanité pour leur faire imaginer qu’ils étaient l’objet de l’attention spéciale d’un Être Suprême. Sans elle, les prêtres n’auraient pu les faire croire à des oracles, des miracles et des mystères « impénétrables aux sens et à la raison humains », comme disait Bossuet en déclarant adorer le Seigneur qui les avait faits. La vanité a fait ainsi adorer aux hommes un insane capitulation de leur intelligence.

Il n’est de vanité que chez ceux qui recherchent des satisfactions illusoires. Pour ceux qui savent conserver dans toutes les circonstances la sérénité de l’esprit et la joie du cœur, rien n’est vain ; leur sérénité et leur joie demeurent autant qu’eux. Oscar Wilde disait : « C’est curieux comme la vanité soutient l’homme qui réussit et comme elle abat celui qui échoue. » C’est parce qu’il n’y a rien de noble et de réconfortant dans la vanité, et qu’elle n’est que vent et pétarades.

Balzac disait que la vanité était « l’art de s’endimancher tous les jours ». Le vaniteux, en effet, se voit toujours devant le photographe ou le peintre qui feront de lui le portrait le plus avantageux. Il ne cesse pas de poser pour sa statue partout où il est, quitte à se voir sifflé comme un cabotin ridicule.

« La vanité nous rend aussi dupe que sot. »

a dit Florian :

La vanité est tellement dans le caractère de la foule des hommes qu’on ne peut rien réussir sans elle, dans quelque situation publique que ce soit. Chez tous ceux qui sont arrivés, comme l’a constaté Flaubert, « la vanité a chassé l’orgueil et établi mille petites cupidités là où régnait une large ambition ». C’est elle qui fait des hommes politiques des politiciens, des écrivains

des « gendelettres », des artistes des cabotins. Un marquis de la Pailleterie disait d’eux :

« Amoureux de la particule,
Ils oublient que le talent
Succombe sous le ridicule. »

Il y a toujours des Thomas Corneille que Molière pourrait railler en disant :

« Je sais un paysan qu’on appelait Gros-Pierre,
Qui, n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,

Y fit, tout à l’entour, faire un fossé bourbeux,
Et de Monsieur de l’Ile en prit le nom pompeux. »

Flaubert disait encore:« L’orgueil est une bête féroce qui vit dans les cavernes et dans les déserts; la vanité, au contraire, comme un perroquet, saute de branche en branche et bavarde en pleine lumière. » Le vaniteux est obligé de faire le beau, de plaire, de séduire, d’avaler sans rien dire toutes les couleuvres, d’encaisser avec un sourire tous les coups de pied dans le derrière et d’en redemander. C’est à lui que La Fontaine a donné, bien inutilement, de si sages conseils dans maintes fables. Il lui a dit :

« Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce. »

Le vaniteux n’en a pas moins continué a jouer la mouche du coche, à se parer des plumes du paon, à s’enfler jusqu’à en crever.

Mlle Clairon, tragédienne du Théâtre Français, disait avec cette superbe des grands seigneurs qui la protégeaient : « Quand un auteur a fait une pièce il n’a fait que le plus facile. » et elle donnait en ces termes congé à Sauvigny, que ses insolences avait obligé à retirer une de ses pièces : « Allez, Monsieur, si vous avez du talent, vous nous reviendrez ! » De son côté, Vestris, le « diou de la danse », déclarait avec conviction, en donnant sa jambe à baiser à ses admirateurs : « Il n’y a que trois grands hommes en Europe, le roi de Prusse, M. de Voltaire et moi ! » Le mot a servi depuis, arrangé par les flagorneurs qui guignaient les millions de l’imbécile Chauchard, propriétaire des magasins du Louvre. Ils lui disaient : « Il y a eu trois grands hommes au XIXe siècle : Napoléon, Pasteur et Chauchard ! » De vieux cabotins, qui ne savent pas prendre une sage retraite et présentent un Cid fourbu, rugissent indignés quand ils sont conspués par le public : « Les misérables ! Ils sifflent Corneille !… » La dame Sorel de Ségur, la plus prétentieuse cabotine de notre époque, interpelle en les traitant d’ « idiots » les spectateurs qui ne sont pas assez sensibles aux séductions douteuses de son « sex-appeal » !

La vanité des cabotins de théâtre n’est que comique et inoffensive. Celle des cabotins de la politique est autrement dangereuse, surtout chez les mégalomanes furieux et sanglants que la stupidité publique accepte pour chefs, les Mussolini, les Hitler et autres Soulouque moins bruyants mais aussi redoutables. Celle des généraux-maréchaux et autres guerriers supérieurs qui, par principe, devraient être « muets », les fait s’engueuler entre eux à la façon des héros d’Homère, et ce sont toujours, comme dans l’antiquité, les guerriers inférieurs qui paient la casse à leur place.

Dans les divers compartiments de la mégalomanie, la vanité ecclésiastique n’est pas la moins curieuse pour l’observateur ironique. Elle se continue, avec la vanité nobiliaire, en souvenir des temps où il était aussi noble d’être sorti des cuisses d’un archevêque que de celles de Jupiter. En ces temps-là, un évêque de Bonnecouille n’avait pas encore éprouvé le besoin de troquer son nom contre Bonnechose ou Bonnecorse. Les Rohan, généraux ou cardinaux, disaient, avec une vanité dont ils firent souvent un bien vilain usage : « Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan je suis ». Un des plus grotes-