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J.-C., avait résisté à toutes les attaques du temps, à l’iconoclastie chrétienne, à l’invasion des Turcs, à l’imbécillité militaire qui faillit le faire sauter dans l’explosion d’une poudrière établie dans ses flancs. En 1816, un Anglais, lord Elgin, entreprit de le dépouiller de ses merveilles décoratives. Statues, bas-reliefs, frises, furent enlevés, arrachés, mis en débris pour être transportés en Angleterre, où, depuis, ils croupissent au British Museum ! Ce fut le commencement d’une industrie que, pour la honte de lord Elgin, on appelle l’elgénisme. Son fils la continua avec une sauvagerie encore plus grande en présidant, avec le général français Cousin-Montauban, au pillage et à l’incendie du Palais d’Été de Pékin, lors de la Guerre de Chine, en 1860. L’elgénisme s’est exercé depuis cent ans avec le plus déconcertant cynisme et la plus scandaleuse impunité. Il a donné à la guerre un caractère de banditisme jamais atteint jusque là, à la guerre coloniale surtout, les « civilisés » ayant, dans la transcendance de leurs turpitudes, tous les droits sur les « peuples inférieurs ». Il ne fut plus de monument qui fut respecté partout ce fut la destruction, et surtout le « chapardage ». Dans les cinq parties du monde, des individus, vrais « antiquaires de grands chemins », trouvèrent toutes les complicités excitées par l’esprit de lucre, et l’imbécillité de fonctionnaires, comme cet abbé Barthélémy qui aurait voulu faire transporter à Paris la Maison Carrée de Nimes !…

Aux colonies, le soldat chapardeur se livra à une dévastation inouïe. La Guerre de Chine, en 1901, fut la plus inimaginable expédition de brigandage international civilisé, sous la pieuse direction de l’évêque Favier. On envoya même en Europe des têtes coupées de Chinois ! (Voir U. Gohier : La Guerre de Chine.) Au Cambodge, aux Indes, en Syrie, en Égypte, on pilla et on dévasta les palais, les temples, les vieilles nécropoles royales, objets des cultes indigènes. Souvent, les archéologues furent complices de ces exactions. Les malfaiteurs qui se livrent à ces exploits hurlent d’horreur lorsque, chez eux, une sépulture quelconque est profanée !

En 1832, V. Hugo ajoutait une note à l’édition définitive de Notre-Dame de Paris pour protester contre le vandalisme acharné sur la cathédrale, vandalisme aussi redoutable dans ses inintelligentes restaurations que dans ses stupides démolitions. « C’est, disait-il, une chose affligeante de voir en qu’elles mains l’architecture du moyen âge est tombée, et de quelle façon les gâcheurs de plâtre d’à-présent traitent la ruine de ce grand art. » À Paris, l’ignorance de ces goujats qui « se prétendent architectes, sont payés par la préfecture ou les menus, et ont des habits verts », (V. Hugo), s’acharnait alors, sans aucune nécessité véritable, sur de vieilles églises qui étaient des joyaux, sur l’évêché du XIVe siècle, la chapelle de Vincennes, les vitraux de la Sainte-Chapelle, la tour Saint-Jacques, etc. Le mal s’est étendu en province. On est stupéfait de voir chez les marchands d’antiquailles, dans les ventes publiques, tant de trésors artistiques volés dans les églises, les musées, les bibliothèques. Le public, indifférent au vandalisme qui a dispersé ces trésors, ne s’émeut, parfois, que si un parti l’excite. Cléricaux et anti-cléricaux ne s’affrontent alors que pour des intérêts où l’art n’a rien à voir. Les dévastations que M. Barrès, parmi tant d’autres, a dénoncées dans sa Grande pitié des églises de France, ont eu pour auteurs autant des uns que des autres. Des curés, des fabriciens, toute la faune des rongeurs de sacristies, en ont tiré bénéfice quand ils se sont faits les pieux brocanteurs de ce qu’ils appelaient de « vieux bois », de « vieilles ferrailles », et qui étaient des stalles sculptées, des fers forgés, des tableaux, des statues, des objets précieux enlevés des vieilles églises dont ils avaient la garde. Les journaux donnent du « généreux mécène » à ceux qui restituent les œuvres d’art volées, comme cet Américain qui a fait don au

Musée du Louvre de l’Ange de Reims, mais ils n’ont pas dit comment cet ange avait été enlevé à sa cathédrale, et comment le « mécène » était entré en sa possession.

Les « dynamiteurs de clochers » sont, paraît-il, des Homais, quand ils ne sont pas des Allemands, mais est-ce M. Homais ou un Allemand qui fit abattre, sur la façade de la cathédrale de Reims, les têtes des statues des saints, à l’occasion du sacre de Charles X, en 1824, parce qu’on craignait que « le canon et les cris de fête ébranlant l’atmosphère, ces têtes ne vinssent à tomber sur celle du monarque au moment où il entrerait dans l’Église » ? Vitet, qui a raconté cela en 1831, dans son rapport au Ministre de l’Intérieur sur les monuments historiques, a signalé nombre d’autres faits qui montrent un vandalisme aussi hypocritement clérical que stupidement administratif, civil et militaire. Ils sont constants. Aujourd’hui, les Vitet constatent la disparition d’un tableau de Philippe de Champaigne qui était au Palais de Justice de Rouen, les dégâts subis par de nombreuses toiles du Louvre dans le voyage qu’on leur fit faire à Toulouse en 1914, les mutilations du pavillon de la Reine au Château de Vincennes pendant l’occupation militaire de la Grande Guerre, et mille autres semblables.

Les « accroupis de Vendôme » qui ont établi des latrines publiques dans la tour d’une vieille église, et les « francs-maçons d’Avignon » qui font déposer et distiller les vidanges de leur ville dans l’église de Saint-Ruf, monument roman du XIIe siècle, sont évidemment d’affreux scatologues puisqu’ils ne sont pas des hommes d’église. Toute la France pieuse frémira d’indignation, des siècles durant, contre les « bandits de 1789 » qui saccagèrent tant de monuments, représentations d’un passé odieux à leurs yeux, et brûlèrent entre-autres la vierge noire de Notre-Dame de Liesse. Mais elle veut ignorer qu’en 1690, Louis XIV, le roi si solairement pieux, avait fait enlever et fondre à la Monnaie les objets précieux de cette église pour payer les dernières faveurs qu’il dispensa à Mme de Montespan tombée en disgrâce.

Une forme de vandalisme pieux, qui témoigne d’un esprit particulièrement dépravé, consiste à « cacher ces seins que l’on ne saurait voir », à dissimuler la nudité, habiller les peintures et sculptures, les affubler d’un cache-sexe. On a mis des feuilles de vigne à la statuaire antique que l’on n’a pas détruite. Dès la Renaissance, les « honnêtes gens » à la façon de l’Arétin protestaient contre les « nus » de Michel-Ange. Le gouvernement de M. Mussolini a fait vêtir les personnages des fresques de Pisano à la cathédrale de Pise !

Le Palais des Papes, à Avignon, servit longtemps de caserne. Ses sculptures furent brisées, ses fresques badigeonnées à la chaux, ce qui n’empêcha nullement le pullulement des punaises, attributs spécifiques de toutes les casernes. Combien d’autres monuments historiques subirent un sort semblable sous les règnes de princes « éclairés » comme sous le régime républicain, sous les curés comme sous les francs-maçons !

Le vandalisme édilitaire actuel n’est pas moins calamiteux que celui du passé, quand il s’attaque à de vieilles choses, parures des cités qui pourraient être conservées pour leur charme et leur beauté. Dans la plupart des villes anciennes, on n’ose pas raser complètement de vieilles constructions pour faire de la place et apporter de l’air. Il y a les intérêts des propriétaires vautours, plus respectables aux yeux des politiciens que la santé et la vie des pauvres gens logés dans ces taudis foyers de crasse et de tuberculose, qui s’y opposent. On se rattrape sur le domaine public qui ne gêne personne et fait l’agrément de tous. Sournoisement, on déchiquète les remparts d’Avignon ; on agrippe à ceux d’Aigues-Mortes des excroissances parasites qui détruisent leur magnifique ensemble. De vieux châteaux et hôtels qui ne gênent personne et feraient d’admirables mu-