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servir une pensée différente de la leur, par stupide conviction qu’ils détenaient « l’Unique Vérité » la leur, qu’ils devaient imposer par tous les moyens, fût-ce le feu et le sang. Ce furent aussi ceux dont la méchanceté raffinée, l’ambition monstrueuse, le bas esprit de vengeance, la jalousie impuissante à manifester quelque grandeur, se plurent à souiller, à flétrir, à anéantir tout ce qui les dépassait. Or, de ce vandalisme, les Barbares furent bien innocents. Il fut le propre du monde chrétien et des temps qu’il a formés. Depuis la première statue païenne à laquelle les Polyeucte ont coupé le nez, jusqu’à la destruction de la bibliothèque de Shanghai par les Japonais, en 1932, toute l’histoire du monde appelé « civilisé » est déshonorée par ce vandalisme sauvage, pire que barbare, parce que dirigé par une volonté éclairée, consciente, persévérante, de malfaisance et de destruction.

Le vandalisme chrétien précéda celui des Barbares en Grèce, à Rome, dans les Gaules. L’évêque Saint-Martin de Tours, au IVe siècle, ne laissa « pas un temple, pas une pierre-fitte, pas un chêne consacré par le druidisme, debout dans son diocèse. » (Zeller). Lorsqu’en 410, le barbare Alaric saccagea Rome, ce furent les chrétiens qui lui ouvrirent les portes de la ville, comme ils auraient ouvert les digues d’un fleuve pour répandre la dévastation. Celle qu’Alaric sema dans Rome fut douce à leur cœur en n’atteignant que « l’œuvre des idolâtres ». Vainement ils voulurent pousser le barbare à faire la même besogne dans Athènes ; Alaric refusa et ce furent les moines qui brûlèrent le temple d’Éleusis. Edgar Quinet a dit comment l’Église catholique a détruit le paganisme, grâce à « l’avidité, l’acharnement avec lesquels les empereurs du Bas-Empire ont saisi l’unité catholique dès qu’ils l’ont entrevue… Longtemps avant d’être convertis au christianisme, ces despotes avaient vu tout ce que le despotisme aurait à tirer de l’Église catholique ». Bien avant d’être baptisé chrétien, Constantin « était déjà fanatique de ce nouvel instrument de domination ». Il inaugura la série des décrets impériaux qui ordonnèrent la destruction des monuments du paganisme, et que clôtura Théodose II en disant : « Que tous les temples, sanctuaires, s’il en reste encore d’entiers, soient détruits par l’ordre des magistrats et purifiés par la croix. » C’est ainsi que fut opérée cette « purification » du Colisée de Rome qui souleva l’indignation de Flaubert, en 1854 : « Ce qu’ils ont fait du Colisée, les misérables ! Ils ont mis une croix au milieu du cirque et tout autour de l’arène douze chapelles… Je comprends la haine que Gibbon s’est sentie pour le christianisme en voyant dans le Colisée une procession de moines ! A Cordoue, on a « purifié » la mosquée en l’enfermant dans les murs d’un immense couvent. Le sage Libanius, qui fut précepteur de l’empereur Julien, exprima les protestations les plus véhémentes contre le vandalisme stupide dont il fut le témoin au IVe siècle. Ses Lettres, qui nous sont restées, en sont le plus précieux des témoignages. Elles dénoncent les « hommes noirs » entraînant les foules ignorantes à la destruction des monuments ; « ces moines qui mangent plus que des éléphants, passent leur temps à boire et à chanter, et volent, pour les vendre, le bois, le fer et les pierres des temples. Ces voleurs, vêtus de noir, se répandent dans la campagne, saccagent les fermes, tuent ceux qui résistent, et si on leur demande en vertu de quel droit ils se livrent à ces violences, ils répondent qu’ils font la guerre aux temples !… » Voilà les gens qui se permettraient, plus tard, de juger la « barbarie » des Vandales !…

Les moines poursuivirent dans la vieille Égypte la même besogne acharnée de destruction des villes, temples, œuvres d’art. Ce sont eux qui détruisirent à Alexandrie, en 390, la bibliothèque de Ptolémée Soter déjà brûlée en partie dans le siège de la ville sous Jules César, mais reconstituée sous le règne de Cléopâtre par

l’appoint des 200.000 ouvrages grecs, à un seul exemplaire, de la bibliothèque de Pergame. Malgré les témoignages probants qui sont demeurés, entre-autres celui du prêtre Orose contemporain de l’événement, de pieux faussaires n’en continuent pas moins à imputer cette destruction aux Arabes venus plus tard. Les vandales modernes ont continué l’œuvre des moines contre les temples égyptiens pour prendre dans leur maçonnerie celle de leurs usines. L’arc de triomphe d’Antinoë a fourni la pierre à chaux nécessaire pour la construction d’une sucrerie !…

C’est le pape Grégoire 1er, appelé « le Grand », qui fit brûler la bibliothèque du Palatin, fondée par Auguste ; il fit détruire les derniers monuments païens et chasser les savants de Rome. Presque tous les livres anciens avaient alors disparu ; il ne resta, pour parvenir jusqu’à nous, que soixante-un volumes de la littérature grecque sauvés par les Arabes qui les conservèrent et deux volumes de poésie latine dont le second est presque entièrement d’auteurs chrétiens.

De tout temps les monuments et les bibliothèques eurent à souffrir de façon encore plus irréparable que les populations de la sauvagerie guerrière qui détruit pour détruire, avec la stupide imbécillité de ce qu’on appelle : la raison du plus fort ! De tout temps aussi s’est exercé le vandalisme civilisé qui prend pour une raison supérieure une rhétorique insane. Les destructeurs de livres ont toujours été aussi odieux et stupides, depuis ce Nabonassar, roi de Babylone, qui les faisait anéantir huit siècles avant J.-C, jusqu’aux hitlériens qui les brûlent dans l’Allemagne actuelle. Le type le plus caractéristique de la folie mégalomane qui préside généralement à ces destructions s’est présenté dans l’empire chinois, Chinguis, qui imagina, 200 ans avant J.-C., de faire détruire tous les livres du pays pour faire oublier aux Chinois ceux qui l’avaient précédé sur le trône !

L’Église ne cessa jamais de brûler la pensée écrite. Elle possède toujours parmi ses troupes des excités frénétiques comme cet abbé Bethléem qui met le feu à des journaux sur la voie publique. Quand elle n’a pas brûlé, elle a interdit, censuré, gratté, tripatouillé de toutes les façons. (Voir Tripatouillage). Toutes les églises, au nom de la « vérité » particulière à chacune et qu’elles affirment être la seule authentique et supportable, ont fait les mêmes besognes, ont pratiqué le même vandalisme. Les Romains précédèrent M. Hitler contre les livres juifs, et aussi le nommé Pfeffercorn (grain de poivre), dont, à quatre cents ans de distance, il réalise la criminelle insanité. Les protestants firent subir aux livres catholiques le sort que les chrétiens avaient infligé aux livres païens. Cromwell, sombre brute puritaine, fit mettre le feu à la bibliothèque d’Oxford.

Au temps des Grecs, on grattait déjà les manuscrits pour substituer un texte à un autre. Les manuscrits ainsi traités étaient appelés palimpsestes. Au moyen âge, ce grattage devint une véritable industrie et une profession monacale qu’on a cherché à justifier par la pénurie du parchemin. Elles s’exercèrent en particulier dans les monastères de Bobbio, de Wissembourg, de Fulda, de Saint-Gall, de Mayence, du Mont-Cassin. Des milliers de textes antiques furent ainsi détruits pour substituer « d’ineptes grimoires aux chefs d’œuvres sublimes que les moines ne comprenaient point. » (Michelet). A partir du VIIe siècle, il n’y eut plus un seul exemplaire d’œuvres comme les véritables poésies d’Anacréon, les comédies de Ménandre, les écrits de Varron et une foule d’autres de l’antiquité. Une autre forme du vandalisme bibliophobe fut la guerre acharnée que les iconoclastes firent aux livres enluminés à partir du VIe siècle. Léon l’Isaurien fit brûler en un jour 50.000 volumes. Les chefs d’œuvres de la peinture antique furent anéantis comme ceux de la poésie.

Le Parthénon, temple d’Athéna, qui dominait la ville d’Athènes et fut l’œuvre de Phidias au 4e siècle avant