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V


VACANCES. Paul Lafargue a exposé avec beaucoup de clarté, dans Le Droit à la paresse, cette idée que la classe ouvrière est possédée par une « étrange folie » : l’amour du travail, la passion furibonde du travail. Et c’est bien, en effet, une des étranges maladies sociales qu’a engendrées le régime capitaliste. Paul Lafargue a montré, dans le cours de son exposé, que ça n’a pas été les peuples qui se sont exténués à des besognes serviles qui ont été grands dans l’histoire, mais au contraire ceux qui ont eu de nombreux moments de loisir et qui ont su les occuper en artistes et en rêveurs. La mercantile Carthage n’a rien créé d’original dans le domaine de l’art, le négoce ne laissant aucune place au rêve. La Grèce, qui a su apprécier les bienfaits de la paresse a légué à la postérité les trésors artistiques et les hautes spéculations philosophiques qui ont, au cours des siècles, fait l’émerveillement des hommes. Ce sont les peuples bergers qui ont découvert les lois de l’astronomie, parce qu’ils ont eu le loisir de contempler le ciel étoilé. Encore aujourd’hui, les créations géniales, les œuvres d’art, les inventions multiples, ne sortent-elles pas, en général, de l’esprit de rêveurs, souvent considérés comme d’inoffensifs maniaques, parce que, aux yeux du vulgaire, ils sont plus préoccupés de leurs chimères que du souci de leur fortune ou de leur pain quotidien ? Il est certain qu’un des droits les plus légitimes de l’homme est le droit au repos. Convenons que le travail est une malédiction (Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front !), du moins le travail tel que la société actuelle l’impose à l’individu. Le travail, vu les progrès du machinisme, ne serait presque plus une nécessité. N’étaient les profiteurs du désordre mondial, le travail, organisé rationnellement, abolirait la plus-value, par suite le chômage et la misère. Alors, le temps de repos pour chaque individu pourrait être très grand ; d’amples vacances viendraient embellir la vie, et l’esprit libéré des soucis matériels pourrait se hasarder plus facilement vers des problèmes plus hauts. Actuellement, la nécessité des vacances s’impose d’autant plus que la production est rationalisée. (La diminution constante de la durée de la journée de travail le démontre). Il est certain qu’après une période d’activité, les muscles ou le cerveau ont besoin de se reposer. Détente et distraction sont des facteurs de régénération. Les machines – organismes d’acier – sont soumises à des révisions périodiques. Avec la machine humaine ne devrait-on pas, à plus forte raison, prendre toutes sortes de précautions ? Jamais le proverbe n’a été aussi juste : « Qui veut voyager loin ménage sa monture. » Quel est l’être humain qui ne voudrait pas « voyager » aussi longtemps que possible, c’est-à-dire retarder à l’extrême limite le moment de la déchéance et de la mort ? Cette nécessité du repos est apparue dès qu’on a voulu faire travailler les enfants. Mais peu à peu s’est imposée aussi la nécessité des vacances pour les adultes ; et c’est sous ces deux aspects que nous allons envisager la question.

L’enfant éprouve un besoin impérieux de se reposer régulièrement, car il n’est susceptible d’exercer une attention soutenue que pendant un temps très court, d’autant plus court que son cerveau est moins mûr. (Voir Éducation). Un emploi du temps rationnel comprend des récréations journalières, des repos hebdomadaires, mensuels, annuels. Les vacances scolaires, sauf les vacances d’été, sont réglées selon les fêtes religieuses. Il est à regretter qu’elles ne soient pas déterminées d’une façon rigoureusement mathématique et que, dans ce domaine encore, la raison soit à la remorque de la foi. Dans le cadre du calendrier actuel nous verrions très bien quelques jours de repos à chaque fin de mois, à chaque fin de trimestre et à chaque fin d’année. Ce qui peut encore être passable pour la Noël devient par trop élastique pour Pâques qui oscille avec la pleine lune de Mars. Dans les pays du nord de l’Europe, il y a un mois de repos vers la Noël, ce qui coupe l’hiver long et rigoureux, et les classes vaquent de juin à fin septembre, afin que l’on puisse profiter de la belle saison. Par contre, les vacances s’allongent en été dans les pays chauds (de mai à novembre en divers endroits d’Afrique).

Des vacances réparties judicieusement dans l’année évitent à l’esprit la monotonie des occupations, la lassitude qu’occasionne un effort t trop prolongé, et même l’ennui ou le dégoût pour les natures qui répugnent à un trop long asservissement. Se reposer ainsi n’est pas perdre du temps, c’est laisser à l’esprit le loisir d’assimiler des acquisitions hâtives et de rejeter aussi tout le fatras livresque que des programmes parfois irrationnels – et surtout des maîtres trop imbus de la méthode de remplissage – voudraient empiler dans les crânes jusqu’à éclatement. Elles sont alors comme une sorte de lac régulateur où le fleuve des connaissances vient se clarifier. Malheureusement le déplorable système d’instruction – avec ses compositions, ses examens et concours qui empoisonnent toute la jeunesse studieuse – oblige les élèves à sacrifier jeudis, dimanches et jours de fêtes (et souvent toutes les vacances d’été pour les sessions d’octobre). Cela, au détriment de la santé morale et physique. Il n’y aura de remède que lorsqu’on éduquera la jeunesse selon des conceptions saines, lorsqu’on cherchera à avoir, selon le mot célèbre, non des têtes bien pleines mais des têtes bien faites. Il faut signaler cependant le mouvement sans cesse grandissant des « colonies de vacances ». La question est d’importance pour la population scolaire des grandes villes où, pendant la canicule, l’enfant s’étiole et souffre. L’idée de ces colonies est du pasteur W. Bion, de Zurich, et remonte à 1876. Ce pasteur emmena dans l’Appenzell un groupe d’écoliers de Zurich choisis parmi les plus pauvres et les plus débiles. L’effet sur la santé de ces écoliers fut merveilleux. L’idée suivit son chemin et le mouvement gagna successivement le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche, la Russie, la Suède, l’Italie, la Belgique, la France, les États-Unis. Partout, on cons-