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transports en commun : gare, métropolitain, autobus, des espaces libres, de l’hygiène sociale intéressant toute l’agglomération, des parcs, squares, jamais assez vastes, des piscines, des terrains de jeux et de sports, en tenant compte de leur utilisation par les enfants, les adolescents, les adultes ; puis, évidemment, de tous les éléments primordiaux de la vie matérielle : eau potable, lumière, évacuation des eaux usées, incinération des ordures ménagères. Enfin, le cadre étant tracé, l’Urbaniste et ses collaborateurs auront à se préoccuper des centres collectifs : entrepôts, marchés, écoles, théâtre, etc…, puis les lignes générales des futures habitations : confort, matériaux, esthétique. Ce ne sont là, bien entendu, que des lignes schématiques d’un vaste travail qui demande de la conscience et de l’intelligence.

Les spécialistes dégageront, au fur et à mesure des réalisations, des théories et programmes précis, mais il y aura toujours dans ces projets à venir des cas d’espèces nombreux.

L’urbanisme est devenu rapidement une préoccupation de premier ordre pour tous les esprits clairvoyants ; on peut dire qu’il n’y a rien de social sans l’urbanisme, et, malgré les difficultés générales, il est peu de pays dans le monde, qui, obligatoirement, ne tentent de réaliser, partiellement tout au moins, ce problème.

L’U.R.S.S., avec de grandes audaces dans ses travaux publics et ses constructions de villes, ses centrales électriques, ses nouvelles habitations, ses voies ferrées, va contribuer à créer une unité économique. Le Japon, par l’extension de ses voies ferrées, a pu reconstruire un nombre important de villes. En Europe, avec un rythme plus ou moins accéléré, en Amérique du Sud, au Brésil, la ville de Rio-de-Janeiro complètement transformée sur un plan nouveau. Partout, on assiste à des réalisations plus ou moins importantes et rapides.

Dans l’ensemble des pays capitalistes, malgré ce qui s’y accomplit à cet effet, les créations ne correspondent pas aux nécessités de la vie sociale.

L’urbanisme rationnel, intégral n’existera que lorsque les intérêts particuliers, capitalistes, propriétaires, feront place à l’intérêt collectif. L’urbaniste, en société capitaliste, ne peut avoir les mêmes vues qu’en société socialiste, ce mot pris dans son sens général ; les horizons ne sont pas les mêmes. Une ville ne comportera plus ses quartiers bourgeois et ses quartiers ouvriers, les maisons auront le même confort. Examinons les plans actuels les plus modernes : ils indiquent bien la maison ouvrière, les bains populaires, les jardins ouvriers, etc., qui marquent nettement la différence persistante entre les classes sociales et l’urbaniste n’y peut rien !

Nous ne manquons ni de richesses matérielles (matériaux de toutes sortes) ni de techniciens remarquables, spécialistes de premier ordre, ni de machines.

Le tout est une question d’organisation, de répartition, de mise en commun de toutes ces richesses et de toutes ces valeurs, pour la mise en œuvre d’un plan immense mais réalisable.

Cependant, sous ces réserves absolues, nous pensons qu’il faut réaliser l’Urbanisme au maximum, au mieux, dès maintenant, afin de donner immédiatement plus de bien-être aux individus ; nous pensons qu’il faut créer une tendance, une opinion publique en faveur des améliorations réelles des villes et communes — mais dans le sens d’un urbanisme rationnel — et cette opinion doit provoquer cette action. — L. Clement-Camus.


UTILITARISME n. m. En un sens large, toutes les morales de l’intérêt sont des morales utilitaires ; néanmoins, c’est avec Bentham et Stuart Mill que l’utilitarisme atteint sa forme la plus parfaite. Aussi étudierons-nous seulement les idées de ces deux philosophes, renvoyant pour les autres systèmes à l’article Intérêt.

Pour Bentham, c’est un axiome incontestable que le plaisir constitue « le pôle de toute l’activité humaine ». Le problème moral ne peut donc être que celui de la « maximisation du bonheur » ; l’éthique se borne à nous éclairer dans la recherche de la plus grande somme de félicité. D’où l’obligation de créer une science positive de la vie pratique : science politique, économique, sociale, autant que philosophique. Et Bentham appelle utilité cette propriété d’un objet ou d’une action qui permet d’accroître la somme de bonheur ou de diminuer la somme de misère, soit des individus, soit des collectivités. Si les mots justice, bonté, moralité n’avaient pas un sens utilitaire, il faudrait les déclarer vides de toute signification. En raison de l’étroite solidarité qui unit les hommes entre eux, le philosophe anglais substitue d’ailleurs l’intérêt général à l’intérêt personnel. Ce qu’il veut c’est « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre ». Ni l’ascétisme, ni la morale de la sympathie ne sont capables de légitimer le principe qui leur sert de base. L’ascétisme appelle bonnes les actions qui produisent de la peine et mauvaises celles qui engendrent du plaisir ; pour juger d’un acte, la morale de la sympathie fait abstraction des conséquences qu’il entraîne. Bentham s’élève avec énergie contre ces deux manières de voir. Pour évaluer la bonté et la méchanceté d’une action, c’est-à-dire la quantité de plaisir et de peine qui en résulte, il propose une arithmétique morale, le « calcul déontologique ». Chaque plaisir doit être considéré au point de vue de l’intensité, de la proximité, de la certitude, de la durée, de la pureté, de la fécondité, de l’étendue ; ces sept caractères se retrouvent aussi dans chaque peine. Si l’on évalue numériquement ces divers points de vue, une addition permettra ensuite de connaître l’exacte quantité de joie ou de douleur qu’un acte nous procurera. Bentham, qui était avant tout un économiste, attache une importance spéciale à la question d’étendue, c’est-à-dire de fécondité en bien ou en mal par rapport aux autres hommes. Il importe de calculer les répercussions d’un acte, par delà l’individu, sur ceux qui l’environnent et même sur l’ensemble de la collectivité. Contre ceux qui mettent leur propre bonheur au-dessus du bonheur de leurs semblables, notre moraliste réclame des peines légales ; peines dont la sévérité sera proportionnée à la grandeur de la faute. Et des considérations purement égoïstes suffisent, pense Bentham, à légitimer cette façon d’agir, car l’homme vertueux est « un bon calculateur qui amasse pour l’avenir un trésor de bonheur ; l’homme vicieux est un prodigue qui dépense sans compter son revenu ».

Stuart Mill qui fut l’ami de Bentham, mais qui subit de plus l’influence de Saint-Simon et d’Auguste Comte, a exposé ses idées morales dans son livre « de l’Utilitarisme ». Ce dernier terme, dont Galt s’est servi le premier, prend un sens nettement défini chez Stuart Mill et résume admirablement sa philosophie sociale. S’il admet que les actions sont bonnes dans la mesure du bonheur qu’elles engendrent, que le plaisir et l’absence de souffrance sont, en définitive, les seuls biens désirables, il soutient que les plaisirs ne sont pas des quantités fixes et qu’ils ne sauraient faire l’objet d’une science objective, à tout point comparable à une comptabilité commerciale. Variable avec les individus et les circonstances, le plaisir reste affaire d’expérience personnelle. Mais il existe des jouissances qualitativement supérieures à d’autres, et c’est elles qu’il faut préférer en raison de leur dignité intrinsèque, de leur valeur morale et intellectuelle. « Me demande-t-on, écrit Stuart Mill, ce que j’entends par différence qualitative des plaisirs, en d’autres termes, ce qui fait un plaisir plus estimable qu’un autre, autrement qu’à un point de vue quantitatif, je ne vois à cela qu’une réponse possible. Si ceux qui ont expérimenté deux plaisirs choisissent tous ou presque tous l’un des deux, sans y être portés par quelque sentiment d’obligation morale, on peut dire que