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signalons comme une sorte de premier plan d’urbanisme moderne.

Dans le cours de ce siècle, l’Angleterre, l’Allemagne, la France, les pays du Nord se sont préoccupés quelque peu d’améliorer les agglomérations du travail sous la forme de cités ouvrières succédant aux informes et inconfortables « corons », manifestation malhonnête de spéculateurs qui, dans les pays miniers, tout particulièrement, avaient créé ces lamentables habitations. Les cités ouvrières, peu séduisantes dans leur ensemble, construites d’une façon uniforme, constituaient un léger progrès sur les taudis dont nous avons parlé ; vers la fin du XIXe siècle, paraît la Cité-jardin dont l’origine est anglaise. La Cité-jardin, comme son titre l’indique, concilie le progrès sanitaire de la ville avec le charme du jardin, le potager, les arbres, les fleurs. La Cité-jardin est une forme de l’urbanisme, puisqu’elle est une réalisation d’ensemble, suivant une étude générale réunissant toutes les données d’un problème urbain : maisons, routes, eau, lumière, évacuation des eaux usées, centre d’approvisionnement qui est souvent une coopérative. À ce propos, signalons que, à notre époque, cette idée amplifiée a été réalisée sous la forme d’importantes cités-jardins créées dans la banlieue de Paris par l’Office des Habitations à Bon Marché du département de la Seine : Plessis, Robinson, Malabry, Stains, Les Lilas, Le Pré-St-Gervais, etc., puis, en province, par d’autres groupements : Tergnier, Laon, etc….

Vers 1910, un mouvement se dessinait en France en faveur de « l’urbanisme », mouvement déjà esquissé à l’étranger. Des théories nouvelles sont émises, des programmes sont établis et un ensemble de projets dit « la Cité reconstituée » est exposé quelques années plus tard sur la terrasse des Tuileries, ces projets ayant pour but de faite connaître au public, l’idée de reconstruction des villes sur des principes nouveaux. L’exposition créa une tendance d’esprit favorable à ces idées et, après la guerre, le projet le plus important fut celui de la reconstruction de « Reims », lequel provoqua des polémiques nombreuses sur cette conception ou transformation à peu près totale de la cité sur des bases absolument modernes, disons américaines, ou, au contraire, respect du caractère traditionnel de la ville, en améliorant simplement le tracé d’ensemble et en apportant les modifications partielles nécessaires, au point de vue de l’hygiène, des transports, des écoles, etc… ; ces deux tendances situaient, dès ce moment, la position du problème qui, d’ailleurs, est toujours en discussion pour l’ensemble des études relatives aux villes en général.

Il est de toute évidence que même les réformateurs et techniciens les plus audacieux doivent tenir compte des situations capitalistes du moment. A cet effet, dès le début du XIXe siècle, alors qu’une idée timide s’affirmait dans le sens de l’amélioration des voies urbaines, des luttes s’engageaient autour du projet de loi ayant pour but l’expropriation des terrains appartenant à des propriétaires particuliers. N’oublions pas que la « Révolution Française » avait proclamé « l’inviolabilité de la propriété » et, à la faveur de cette déclaration, les législations suivantes tendaient à protéger les propriétaires anciens et nouveaux contre toute expropriation ; mais rien ne peut arrêter, à un moment donné, la création de voies nouvelles qui ont tant d’importance, nous l’avons indiqué, sur la vie et le développement des agglomérations humaines. C’est par une sorte de compromis entre propriétaires et villes que s’inscrit, dans la loi, cette clause restrictive : expropriation pour cause « d’utilité publique » ; mais, où commence et où finit « l’utilité publique » ? Quel sera le montant de l’indemnité en faveur de l’exproprié ? Les propriétaires se défendent au moment même précisément où, à Paris, une obligation impérieuse s’impose, de 1830 à la fin du Second Empire, d’améliorer les rues de la Capitale. Ce n’est qu’un exemple !

Des spéculations immobilières ont lieu dans des proportions considérables. Des richesses se constituent sans grand effort pour ceux qui sont propriétaires d’immeubles, d’industries, de masures, de terrains maraîchers ou autres, sur la ligne des nouveaux tracés urbains. Émile Zola a décrit sans exagération, dans « La Curée » cette folie de spéculations.


Nous avons vu, dans l’ensemble de cet exposé, comment se sont formées les cités : lieu géographique, influence du sol, du sous-sol, du climat, de la voie naturelle permettant les communications, les échanges ; influence économique d’abord, politique ensuite ; nous avons examiné la force d’extension des villes sous l’impulsion des éléments intérieurs ou extérieurs, malgré la volonté du « Maître de la Ville » — dirigeant du moment — et nous avons souligné l’importance de l’élément étranger au bourg et à la ville dans son développement, puis, enfin, le rôle joué à ce point de vue par les inventions du XIXe siècle, la voie ferrée et ses conséquences dans la plupart des pays du monde ; enfin, les premières idées en faveur d’un plan d’ensemble pour améliorer, aménager, transformer ou créer les cités sur des bases modernes, en donnant ainsi aux hommes des objectifs nouveaux au point de vue de la vie sociale solidaire.

L’urbanisme technicien sera animé par cet esprit : il sera « homme social » d’abord, il aura par tempérament et par goût des vues d’ensemble. En qualité de technicien, il sera au courant des données générales sur les influences et les évolutions que nous avons résumées ci-dessus, et, de ce fait, il n’étudiera pas un projet de ville sans en connaître dans ses grandes lignes, le passé, les tendances économiques et politiques, ses valeurs propres, matérielles et intellectuelles, persistantes, temporaires : il situera d’une façon aussi précise que possible le village, le bourg, la petite ville ou la grande cité dans leurs relations géographiques, géologiques, économiques, etc… avec les autres villages, bourgs et cités voisines. C’est alors que, possédant cette première documentation, il concevra le plan et, l’ayant conçu et précisé au mieux, il fera appel — car il est homme d’idées générales mais il n’est pas universel — aux collaborateurs, spécialistes — suivant l’importance du projet — architectes, décorateurs, ingénieurs de toutes catégories : mines, hydrauliques, mécaniques, transports, travaux publics, sanitaires, agriculture, etc…, voyers, hygiénistes, paysagistes, médecins, etc…, etc….

Le principal élément de documentation, c’est la statistique, puis « la situation de la ville » ; à cet effet, la photographie aérienne rend d’importants services, car elle fixe précisément cet emplacement avec sa physionomie propre, le chaos de ses rues et ruelles, ses places, ses maisons, ses faubourgs ; elle déterminera mieux les extensions à prévoir ; c’est une base d’études critiques et constructives de premier ordre. Signalons que les communes du département de la Seine et de la Seine-et-Oise ont été levées par avions, ainsi que Paris et plusieurs départements de la France.

Le plan d’aménagement ou de transformation et d’extension vient ensuite ; il comportera l’étude des banlieues avec les routes ; les ramifications avec le centre ; les servitudes, les expropriations des terrains, des usines, maisons. Certaines villes sont obligées d’envisager, pour leur extension normale, l’empiétement sur plusieurs communes, donc entente intercommunale obligatoire.

Le plan a pour base de réalisation : la voie centrale, où passeront le plus grand nombre possible d’automobiles. C’est la voie de passage, puis toutes les autres, en fonction de celle-ci, en tenant compte de l’orientation rationnelle des maisons à construire.

Le plan de la ville intérieure consiste en l’étude des