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militants également mais différemment révolutionnaires, en excluant ceux-ci, en tentant de déshonorer ceux-là et, bientôt l’inévitable se produisit : le Parti communiste et la C.G.T.U. devinrent deux immenses « paniers de crabes », dont le contenu se dévorait pour le plus grand plaisir de la bourgeoisie capitaliste et le plus grand désarroi du prolétariat.

Les années 1922 à 1924 virent, enfin, le triomphe des hommes de Moscou sur les ruines du mouvement ouvrier français. Les principes du communisme léniniste étaient saufs, mais les organisations françaises étaient mortes en même temps que la révolution s’éloignait pour la deuxième fois, par la faute de gens dont la politique sinueuse n’a jamais cessé d’être une énigme indéchiffrable jusqu’à ce jour.

En même temps que se développe cette action dévastatrice, qui permet au Parti socialiste et à la C.G.T. de remonter peu à peu le courant, la politique intérieure et extérieure russe se modifie sensiblement.

La Conférence de Gênes (1922) ouvre les voies à la Nouvelle Économie Politique, la fameuse N.E.P., qui marque le commencement des tractations politiques et économiques des dirigeants russes avec les gouvernants capitalistes, les financiers, les grands capitaines d’industrie, si honnis à l’extérieur, pour la galerie, et si bien reçus à Moscou, pour les concours « précieux et désintéressés » qu’ils offrirent, concours qui furent agréés, le plus souvent, au détriment des travailleurs russes.

Cette coquetterie avec le Capitalisme, les réceptions offertes au prince Henri de Prusse, les relations très amicales entretenues avec Mussolini et le Pape, les conversations d’affaires avec les magnats allemands et américains vont conduire le gouvernement soviétique à adopter une politique absolument machiavélique.

Comment concilier, en effet, les thèses de l’Internationale Communiste qui préconisent toujours, pour les purs — aussi naïfs que purs —, le déclenchement de la révolution mondiale et la construction du socialisme dans un seul pays : la Russie ? Comment faire admettre que le gouvernement russe poursuit encore la destruction du système capitaliste, lorsqu’il négocie avec ses représentants les plus qualifiés ?

Comment faire disparaître ces forces extérieures dont Moscou n’a plus besoin, qui le gênent au contraire dans ses négociations ?

Comment préparer l’entrée de la Russie Soviétique dans le concert des nations, à Genève, à la S.D.N. et au B.I.T., sans avoir, auparavant, abjuré toute foi révolutionnaire ?

C’est à toutes ces tâches qu’ont travaillé, sans relâche, les dirigeants russes depuis dix ans. Comment ont-ils pratiqué pour atteindre leurs objectifs ?

Sur le plan politique : En excluant à tour de bras, en provoquant sans cesse la constitution de nouveaux partis, en sapant du dedans, par l’action de leurs agents et des personnages louches à leur solde, tout le travail établi et exécuté par des hommes restés sincères ; en faisant régulièrement élire au parlement les pires adversaires des travailleurs ; en pratiquant la fameuse tactique « classe contre classe », qui réduisit les députés communistes à l’effectif d’une escouade, alors que, si Moscou l’avait voulu, ils eussent pu être 50 à 60. Enfin, en prenant tournant sur tournant, virage sur virage, au bout desquels les exécutants, ahuris, se retrouvaient régulièrement « projetés dans le décor » ; en pratiquant la fameuse tactique « de la volaille à plumer », si chère au capitaine Treint, dont la Pologne blanche refusa les services contre les Soviets, en 1920–1921, les dirigeants de l’Internationale Communiste achevèrent de désorienter les militants et les adhérents de leur section française, dont le nombre descendit rapidement de 100.000 à 25.000 membres.

Sur le plan syndical : Sur ce terrain, la résistance fut particulièrement vigoureuse. Il fallut deux années et demie d’efforts au Parti communiste français pour se rendre maître réellement de la C.G.T.U. et encore n’y parvint-il qu’en utilisant les grands moyens : attentats répétés contre les militants anarcho-syndicalistes, complots fomentés avec le concours de la Tchéka internationale à l’étranger, et en particulier celui de 1923, à l’occasion de l’occupation de la Rhur, qui donna naissance au fameux faux de Hambourg, préparé par Radek à Berlin et qu’avala, comme un serin, Poincaré ; assassinat prémédité des militants syndicalistes à la salle de l’Union des Syndicats, rue de la Grange-aux-Belles, à Paris, où Poncet et Clos trouvèrent la mort, assassinat que devaient dénoncer des « dizainiers » communistes écœurés : le tout, bien entendu, en offrant le « front unique » à la C.G.T. et en proposant l’unité syndicale.

Enfin, la scission dans la C.G.T.U., réduite en peu de temps, de 390.000 membres à 150.000 adhérents, groupés dans des fédérations endettées et ne vivant que par le soutien de Moscou, avec l’unique but de détruire ce qui restait encore du mouvement dit « unitaire ».

Et là, les Staliniens se surpassèrent. Ne pouvant renvoyer chez eux les « fidèles » qui persistaient, contre toute évidence, à rester convaincus de la valeur des doctrines moscovites, ils les décimèrent à coups de grèves « malheureuses », perdues d’avance, cependant qu’ils ne manquaient pas, par la mystique de l’unité syndicale, de faire pénétrer l’idée, chez les récalcitrants à la débâcle, du caractère tout provisoire de la C.G.T.U., déjà habilement scissionnée en 1924–1925.

A travers les méandres d’une telle politique qui permit à la C.G.T. de reprendre du poil de la bête à un point tel qu’elle est aujourd’hui l’arbitre de la situation, une idée, toujours poursuivie, apparaît nettement : la disparition d’un mouvement syndical, fabriqué de toutes pièces, dont on n’a plus besoin à Moscou et qu’on liquide par l’unité dans un réformisme parfaitement conforme à la tactique du gouvernement bolchevique qui ne peut reculer son adhésion à la Société des Nations, qui pratique la politique traditionnelle de la Russie à l’extérieur et conclut alliances et pactes avec les gouvernements capitalistes, avec une persistance et un « succès » que rien ne dément ni n’arrête.

Aujourd’hui, la révolution soviétique est définitivement close. Les politiciens russes se retrouvent sur le plan de la collaboration des classes avec tous les autres marxistes assagis et rien ne s’oppose à ce que, politiquement et syndicalement, tous ces fils d’un même père spirituel se retrouvent dans une seule et même famille, pour conquérir, électoralement, le pouvoir.

L’unité ? Elle n’a pour but que d’assurer, en France, en 1936, avant si possible, le triomphe des politiciens socialistes et communistes, flanqués de tous leurs succédanés et réconciliés sur le dos d’une classe ouvrière trompée et bafouée pendant quinze ans, qu’on tentera d’asservir définitivement en l’enchaînant au char de la bourgeoisie, à Genève et ici.

A la C.G.T.S.R., nous sommes pour l’Unité ; mais, une unité maquignonnée comme celle qui est en cours n’a, à nos yeux, aucun intérêt réel pour la classe ouvrière.

Les syndicats qui adhéraient au Comité de Défense Syndicaliste, au lendemain du Congrès de Saint-Étienne en 1922, ont défini notre position ; la Fédération des Syndicats Autonomes de France l’a confirmée, aux Congrès des deux C.G.T., en 1925. La. C.G.T.S.R. n’a cessé, depuis sa fondation, d’exposer et de définir la même attitude et, dans sa délibération, au lendemain de la grève générale du 12 février 1934, la C.A. l’a, une fois de plus, affirmée dans les termes suivants :


« Résolution sur l’Unité. — Appelée à examiner les