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témoins. Aussi, quand un troubadour se présentait à la poterne du château, était-il reçu à bras ouverts. Il allait intéresser, divertir et charmer… Et en quel style, quels accents, quelle musique ! Lui aussi connaissait des histoires de chasse, de guerre et de pays voisins ou éloignés, d’où il venait, disait-il. Aussi, probablement, il amplifiait ; peut-être exagérait-il : « a beau mentir qui vient de loin ». On le croyait, car c’était toujours beau, puisque c’était toujours brave.

Le repas des châtelains terminé, le ménestrel, assis au coin de la vaste cheminée, où brûlait un chêne entier, entonnait, en s’accompagnant d’un instrument à cordes, quelque mélodie ou quelque ballade mélancolique. Les chansons gaies étaient réservées aux villageois. Les récits des troubadours plaisaient autant que leurs chansons, surtout aux guerriers, plus batailleurs et rudes que musiciens et poètes. Mais les jeunes femmes et les jeunes filles aimaient mieux la musique et les beaux vers. Elles savaient bien qu’on y parlait souvent d’amour.

Le troubadour savait plaire à tout le monde et il en était récompensé. Il ne se contentait pas de pincer de la guitare ou de la mandoline pour être seulement agréable au beau sexe. Il savait aussi se faire valoir auprès du haut seigneur et de toute sa famille. Comme les diseuses de bonne aventure, il s’enquerrait préalablement le long de la route, du nom du châtelain et de celui de la châtelaine, de leurs aïeux, de leurs exploits. Aussitôt, il improvisait des histoires ou des chansons exaltant la valeur de l’un et la beauté de l’autre. Il arrangeait quelque flatteuse ballade sur un air charmant. Le tout plaisait fort et portait juste : la bravoure du châtelain, la douceur de la châtelaine et le mérite des aïeux, composait le bouquet poétique par lequel payait son écot à ses hôtes généreux le troubadour de passage, l’enfant du gai savoir.

Les troubadours avaient surtout le mérite de répandre les nouvelles, d’exalter les exploits, de flétrir les méfaits et d’apprendre beaucoup en vagabondant, pour enseigner gaîment leur savoir mis en chansons.

Ils n’étaient pas tous des lettrés, mais ils aimaient les belles lettres. Ils savaient rire ou pleurer eux-mêmes pour égayer ou attendrir les autres. C’étaient de vrais poètes.

Leurs connaissances littéraires étaient pourtant assez étendues. Ils ne manquaient surtout ni de verve, ni d’à-propos, ni d’inspiration. Leur talent était fait de tout cela.

Il n’était pas question de syndicalisme à leur époque ; cependant, il est à noter qu’ils s’étaient groupés en une confrérie joyeuse et solidaire. D’importants personnages, ai-je lu quelque part, ne dédaignaient pas de s’y affilier. On y voyait des chevaliers, bardés de fer, rimant des virelais ou chantant des couplets, en touchant de la viole.

N’est-ce pas le puissant seigneur Guillaume IX, comte de Poitiers, qui ouvrit l’ère des troubadours ?…

Et n’est-ce pas un prince du sang, le duc d’Orléans, fait prisonnier à Azincourt, qui la ferma ?…

Et Thibaut, comte de Champagne, ne fut-il pas membre de cette confrérie des troubadours ?…

Et aussi Charles IX, écrivant à Ronsard, rend hommage au poète :

« Tous deux, également, nous portons des couronnes :
Mais roi, je la reçois ; poète, tu la donnes. »

Il y eut d’autres nobles encore qui illustrèrent la confrérie des troubadours, qui, sans doute, aidèrent les gueux à être heureux, en s’aimant entre eux.

Il ne faut pas exagérer leur influence sociale, sur leur époque déjà si loin de nous. Toutefois, il faut tenir compte qu’ils se sont souvent élevés avec éloquence et grand courage contre certains excès féodaux dont les vilains souffraient. Un poète du XIIe siècle n’a pas

craint de dire des nobles, au temps de leur toute-puissance :

« Que leur corps ne vaut une pomme
Plus que le corps d’un charretier. »

Les romanciers, les poètes et les historiens n’ont rien dit, en parlant des troubadours qui ne leur soit un hommage. L’histoire des troubadours s’imprègne d’influence plutôt heureuse sur leur époque, influence favorable aux arts, aux mœurs, au beau, au bien !

Quant à nous, qui ne croyons voir en tout chansonnier qu’un bel esprit et un bon cœur, nous ne pensons vraiment pas qu’on puisse avoir l’instinct de Liberté et d’Amour, le désir humain d’indépendance et le sentiment de solidarité, sans avoir aussi l’esprit de révolte contre toute injustice. À cause de cela, les troubadours nous ont paru intéressants et sympathiques. — Georges Yvetot.


TRUST n. m. Mot anglais qui se prononce treusst, bien que Trusteur, mot servant à désigner quiconque organise un trust, se prononce trusteur, de même que truster qui signifie : action d’accaparer par un trust.

La définition la plus courante de ce terme est la suivante : Association, syndicat de spéculateurs, formé dans le but de provoquer la hausse soit d’une valeur soit d’une marchandise quelconque mais ordinairement de première nécessité, opération qui se réalise par l’accaparement de la valeur ou de la marchandise visées. Si le vocable n’est entré que depuis peu dans notre langue, il convient de dire que la chose à laquelle il s’applique est extrêmement vieille. L’illustre philosophe Aristote dont la mort, comme on le sait, remonte à près de 23 siècles, parle déjà, dans son ouvrage : Politique, d’un Syracusain qui avait accru très rapidement sa fortune en trustant les Mines de Sicile dont il était, par suite, le seul à vendre le minerai de fer qu’on y extrayait !

Il faut toutefois examiner cette forme d’association sous l’angle du développement considérable, vertigineux, pris, depuis quelque trente à trente-cinq ans, par l’économie capitaliste dans le cours évolutif du Capitalisme contemporain. Dans l’impossibilité où nous sommes de faire tout l’historique du trust (ceci, vraiment, exigerait par trop de place), nous nous bornerons — ce qui sera peut-être préférable à l’exposé d’une longue théorie — à citer quelques exemples qui aideront mieux à saisir le processus rigoureux de la concentration industrielle et financière qui caractérise le trust et vers laquelle semble s’acheminer toute la production capitaliste.

Plaçons-nous donc à l’aurore de ce siècle et faisons choix de l’Amérique, où le trust a rencontré le terrain le plus favorable, puisqu’on peut dire que le Capitalisme cent pour cent y est à l’état, en quelque sorte, chimiquement pur.

Une lutte vive, implacable s’engage entre l’Ane, l’Éléphant et l’Elan, ces trois emblèmes ayant été adoptés par le parti démocratique, le parti républicain et le parti progressiste. Et voici que la victoire des démocrates porte au pouvoir Woodrow Wilson, l’homme d’État qui devait jouer, quelques années plus tard, dans l’effroyable tuerie de 1914-18, un rôle de premier plan et qui appelait les trusts, des « oppresseurs de la classe laborieuse ». Mieux que quiconque, le nouveau président connaissait, en raison du poste important qu’il avait occupé comme gouverneur de l’État de New-Jersey, la toute-puissance en même temps que l’avidité et la malfaisance des grands trusteurs. En de retentissants discours, prononcés d’ailleurs en pure perte, il déclare que les monopoles doivent cesser ; il engage, sans le moindre succès, des poursuites contre de puissantes coalitions : contre le trust de l’acier, contre celui de l’argent, contre d’autres encore.