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j’obtiens un total de 64 millions d’heures de travail par jour ; et si je multiplie ces 64 millions par 300 jours ouvrables, j’obtiens un total de 19 milliards, 200 millions d’heures de travail par an.

De l’examen de ce qui est à l’heure actuelle en régime capitaliste, passons à l’étude de ce qui sera ou, pour dire mieux, pourra être, dans un milieu social communiste-libertaire et établissons tout d’abord la durée moyenne de la journée du travail à effectuer, dans un tel milieu, pour obtenir une production équivalente à celle que fournissent les huit millions de producteurs utiles.

La population actuelle de la France est, en chiffres ronds, de 40 millions. Les quatre groupes que j’ai fait défiler sous les yeux du lecteur ont disparu. Il n’y en a plus que deux. Le premier comprend toutes les personnes qui, par leur âge ou leur état de santé, sont les « dispenses du travail » ; le second embrasse tout le reste de la population.

Dans le premier groupe.

Les enfants au-dessous de 15 ans 10 millions
Les vieillards au-dessus de 55 ans   5 ______
Les malades, infirmes, accidentés, etc.   3 ______
---
______Ensemble 18 millions

Le reste de la population, soit : 22 millions, forme le second groupe. Ces 22 millions de travailleurs auront à exécuter 19 milliards 200 millions d’heures de travail par an. Je divise ces 19 milliards 200 millions par le chiffre de la population adulte et valide : 22 millions. Le quotient est de 873 heures par an. Je divise ces 873 heures par 300 (nombre de jours de travail dans l’année), et je trouve, au quotient, un peu moins de trois heures par jour : 2 h 54’.

Ainsi, pour que la production fût égale à ce qu’elle est présentement, il suffirait qu’y prissent part toutes les personnes entre quinze et cinquante-cinq ans et en état de santé satisfaisant et que chacun, s’astreignît volontairement à un travail quotidien de trois heures.

Toutefois, quand je dis que la production actuelle, en France, est suffisante, il faut s’entendre. Je veux dire par ce mot « suffisante » que cette production suffit à la capacité d’achat de la masse consommatrice. Mais cette capacité d’achat, bien loin d’être déterminée par la somme des besoins à satisfaire, est strictement limitée par les ressources dont dispose la clientèle des consommateurs et ces ressources ne représentent, pour bon nombre, que la possibilité de se procurer le strict nécessaire. Il y a même une partie de la population qui manque de celui-ci.

Il faut donc envisager la nécessité dans laquelle on se trouvera, en régime libertaire, de produire beaucoup plus et, conséquemment, de travailler davantage. Je prévois sans difficulté la décision prise par les travailleurs eux-mêmes de porter la journée moyenne de travail à 4, 5 et même 6 heures dans les temps qui suivront immédiatement l’organisation de la production par les producteurs eux-mêmes.

Mais les possibilités de production augmentant sans cesse, par suite des progrès constants et merveilleux de la technique et grâce à la multiplication et au perfectionnement prodigieux de l’outillage mécanique, je prévois aussi une organisation sage, rationnelle, équitable du travail et de la répartition des produits, qui ramènera la journée de travail, assez promptement, à 5, 4, à 3 heures, tout en maintenant le niveau de la production à la hauteur des exigences d’une population abondamment pourvue du nécessaire d’abord, du confortable ensuite.


Que résulte-t-il de cette sorte d’étude comparative qui précède ? Il est permis d’en tirer cette conclusion : que, au sein d’une société qui réalisera l’idéal anarchiste, il n’y aura vraisemblablement pas de réfractaires à la loi naturelle qui exige de l’homme qu’il tra-

vaille pour produire, qu’il produise pour consommer et qu’il consomme pour vivre.

La race parasitaire et fainéante que le régime de la propriété individuelle et, plus particulièrement, celui de la propriété capitaliste a fait naître, a développée et multipliée ne durera pas toujours. Elle est appelée à disparaître et les générations contemporaines en pressentent déjà la disparition.

Quand la révolution sociale — la véritable aura passé par là, quand son souffle aura purifié et assaini l’atmosphère sociale, il n’y aura plus de paresseux, ou il y en aura si peu, ce genre de monstres ou de malades se refusant systématiquement à toute occupation sera devenu si rare, qu’il n’y aura nul inconvénient grave à les laisser croupir dans leur honteuse fainéantise.

Il n’y aura plus — ou presque — d’incorrigibles parasites, parce que l’individu, étant un être doué d’activité, dépensera volontiers la somme d’énergie intellectuelle et manuelle qu’il reçoit de la nature, lorsque, d’une part, le travail se limitera à un effort modéré et quand, d’autre part, les conditions mêmes de l’effort à accomplir s’étant transformées de fond en comble, le travail cessera d’être un châtiment. — Sébastien Faure.


TRINITÉ n. f. (du latin trinitas, de trinus, triple). Un seul Dieu en trois personnes. C’est, nous assure-t-on, le dogme fondamental de l’Église catholique et de plusieurs sectes protestantes. La certitude en est si bien établie que Calvin fit brûler Michel Servet parce que cet impie refusait de voir Dieu comme « un monstre à trois têtes ». Servet était indulgent pour le ridicule « mystère ». Un monstre à trois têtes est chose concevable. Mais non la trinité. Car, pour copier le Catéchisme du Diocèse et de la Province de Paris, « chacune des trois personnes est Dieu et possède la trinité tout entière » et cependant « les trois personnes ne sont qu’un seul et même Dieu ». Malebranche avoue (Recherche de la vérité, livre III, deuxième partie, chapitre VIII) : « On croit, par exemple, le mystère de la Trinité, quoique l’esprit humain ne le puisse concevoir. » Qu’est-ce que croire quelque chose qu’on ne conçoit pas ? Malebranche continue : « Et on ne laisse pas de croire que deux choses qui ne diffèrent point d’une troisième ne diffèrent point entre elles, quoique cette proposition semble le détruire. » Semble est indulgent. C’est qu' « on est persuadé qu’il ne faut faire usage de son esprit que sur des sujets proportionnés à sa capacité et qu’on ne doit pas regarder fixement nos mystères. » Il faut donc répéter des mots sans leur donner aucun sens et affirmer qu’on croit sans savoir ce qu’on croit. L’aveu célèbre de saint Augustin au livre VII de son traité De la Trinité, est plus court et plus net : « On parle de trois personnes, non pour dire quelque chose, mais pour ne pas se taire. » Dictum est tamem tres personœ, non ut illud diceretur sed ne taceretur.

Les trois dieux (pardon ! il n’y en a qu’un) ; les trois morceaux de Dieu (pardon ! chacun « possède la divinité tout entière » ) : les trois ce que vous voudrez ; les trois personnes, — puisqu’il est entendu, depuis Saint Augustin, que le mot n’a aucun sens, — sont également éternelles et pourtant le Fils est engendré par le Père ; le Saint-Esprit n’est pas engendré mais, pour l’Église grecque et pour les Pères de Nicée, il procède du Père, pour l’Église latine, il procède du Père et du Fils. Prière de ne donner aucun sens aux mots engendrer et procéder, si on ne veut pas tomber dans quelque hérésie.

N’essayons pas une histoire de ce dogme ou de tout autre dogme. Croyons-les et croyons qu’ils remontent tous aux apôtres. Car, affirme Bossuet (préface de l’Histoire des Variations), « le Saint-Esprit répand des lumières pures et la vérité qu’il enseigne a un langage