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laquelle repose la thèse que je soutiens, ici, en faveur du travail facultatif contre celle du travail obligatoire. A vrai dire, dans un milieu social libertaire, le travail sera obligatoire : tous ayant le droit de participer à la répartition des produits, tous auront, c’est évident, le devoir de collaborer à l’obtention de ces produits. Mais cette obligation ne sera que morale ; car elle ne découlera que de la notion du devoir qui sera indissolublement liée à la formation, au développement d’un état de conscience que feront naître les rapports d’égalité effective, de réelle réciprocité et de solidarité positive qui uniront tous les individus.

Il y a cependant un point sur lequel je crois utile de revenir et d’insister. C’est celui de la durée approximative de la journée de travail à accomplir afin que la production obtenue corresponde plus que suffisamment aux besoins de la population. J’ai dit — et j’espère que cette affirmation n’est pas contestée — que la durée du travail étant réduite aux proportions de la dépense d’énergie musculaire et cérébrale dont l’être normal dispose, le travail n’est pas une obligation pénible, mais une satisfaction, voire un plaisir et qu’il ne devient une nécessité désagréable, une corvée, que lorsqu’il exige un effort excédant cette limite tracée par la nature elle-même.

Il est donc fort important d’évaluer, sur les données précises que nous possédons actuellement, la durée moyenne du travail journalier que comportera, au lendemain de la Révolution, la nécessité de pourvoir, par une production plus que suffisante, aux exigences de la consommation afin que la vie soit assurée largement, pleinement, à la totalité de la population.

Ces données, les voici : a) en 1912 et 1913, les statistiques sur le mouvement commercial de France établissaient que le montant des exportations dépassait légèrement celui des importations. Il y avait entre celui-ci et celui-là un écart si insignifiant, qu’il est permis de dire que la balance commerciale était en équilibre. La production nationale pouvait donc être considérée comme suffisante, puisque les produits achetés à l’extérieur équivalaient, à très peu de chose près, les produits vendus à l’étranger ;

b) En 1928, l’administration des Douanes a communiqué les précisions suivantes relatives à l’exercice 1927 : Exportations : 55 milliards, 225 millions de francs ; Importations : 52 milliards, 853 millions de francs, soit un excédent de produits exportés de 2 milliards, 372 millions de francs ;

c) L’annuaire statistique publié par la Société des Nations (Annuaire 1931–1932) me fournit pour les deux exercices 1928 et 1929 les chiffres que voici :

Moyenne des Importations : Fr. 54.700.000.000

Moyenne des Exportations : 51.300.000 000

____Exportations en moins : 3.400.000.000

Comme on le voit, la différence entre les importations et les exportations s’est, au cours des années 1928 et 1929, assez sensiblement accrue. Mais il faut tenir compte que : d’une part, dans certains pays où les produits obtenus en France trouvaient, en temps normal, des débouchés appréciables, la crise économique battait déjà son plein, en sorte que certaines nations qui, en période ordinaire, étaient les clientes de la France : l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis, etc. avaient fermé leurs frontières à l’importation des produits étrangers sur leur territoire ; et que, d’autre part, la crise et le chômage ne s’étant pas encore étendus jusqu’à la France, celle-ci, en 1928 et 1929 n’a pas été dans la nécessité d’élever ses tarifs douaniers. La balance commerciale, en 1928–29, se trouve, ainsi, faussée et cette circonstance, attribuable à une situation mondiale exceptionnelle, ne doit pas m’empêcher de dire que notre pays est un de ceux dont la production est

suffisante à répondre aux demandes de la consommation.

Ce point acquis, il s’agit, maintenant, de savoir : d’abord quel est le nombre de travailleurs collaborant à cette production et, ensuite, quel est le nombre d’heures de travail effectuées par ces producteurs.

Je soumets au lecteur le résultat des recherches auxquelles je me suis livré, dans le but de parvenir, à défaut de chiffres rigoureusement exacts, à des chiffres très approximatifs.

En premier lieu, me plaçant sur le terrain de la production, j’ai cherché à établir le nombre des producteurs utiles (et j’entends par là ceux qui, adultes des deux sexes, travailleurs de l’agriculture et de l’industrie, travailleurs attachés à un service public indispensable : transports, P. T. T., enseignement, santé, etc., etc., sont aujourd’hui et resteront toujours indispensables au bon fonctionnement de la vie économique.

En France, comme dans tous les pays parvenus au même degré de développement, la population forme dans le domaine de la production, quatre groupes :

Premier groupe. — Il comprend : ceux et celles qui, du berceau à la tombe, ne se livrent à aucun travail et vivent dans l’oisiveté totale. Ces gens consomment, mais ils se croiraient déshonorés si, sous une forme quelconque, ils prenaient part à un travail productif. Ils vivent de leurs rentes, des revenus de leurs propriétés, du produit des coupons attachés à leurs titres, de tous les profits que le Capital vole au Travail. Tout ce joli monde de fainéants est celui qui mène la vie la plus large ; il ne se refuse rien, il se plaît à gaspiller… Il est juste de faire entrer dans ce premier groupe les parasites de toutes sortes : escrocs, flibustiers, rastaquouères, prostitués et prostituées du monde dit « sélect », constamment à l’affût de toutes les circonstances qui leur permettront, sans faire œuvre de leurs dix doigts, de s’introduire dans ce milieu où il est de bon ton et même de règle de n’exercer aucune profession.

Deuxième groupe. — Il se compose de toutes les personnes qui ont une occupation, un emploi, qui, par conséquent travaillent, mais ne produisent rien. Extrêmement nombreux, ce groupe comprend : le clergé séculier et régulier ; la magistrature debout, assise et à plat ventre ; l’armée, la gendarmerie, la police (y compris les indicateurs et mouchards), toute cette vermine qui grouille sur le corps social.

Ensuite : la multitude des fonctionnaires et assimilés que nécessite l’agencement politique et financier de l’État. Je mets à part certaines catégories de fonctionnaires ou assimilés attachés à la bonne marche d’un Service public qui, quelle que soit l’organisation sociale, devra être maintenu : corps enseignant, employés des P.T.T., cheminots, travailleurs municipaux, etc…

Tous ces travailleurs auront, dans la société de demain, leur incontestable utilité.

Il y a encore, dans ce deuxième groupe, toutes les personnes qui exercent des professions dites libérales : avocats, hommes d’affaires, médecins, notaires, avoués, tous les gens de la basoche, de la procédure et de la chicane : huissiers, greffiers, gratte-papier de toutes espèces, barbouilleurs de grimoires, etc. Ensuite, les journalistes, hommes de lettres, poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, gens de théâtre, de music-hall, de cinéma, de cirque, de sport, depuis les vedettes jusqu’aux ouvreuses et figurants. Ici encore, je fais deux exceptions : la première, en faveur des médecins ; la seconde, en faveur des artistes véritables, c’est-à-dire de talent.

Toujours dans ce deuxième groupe, nous rencontrons la foule presque incalculable des personnes qui doivent leurs moyens d’existence à ce vol organisé, toléré, encouragé, respecté, décoré qu’on désigne sous le nom de « commerce ». Armée innombrable qui va du notable