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biles, et plus l’accident fait du travailleur sa victime. Les tableaux horaires de fréquence établis par les compagnies d’assurances démontrent éloquemment que les accidents sont d’autant plus nombreux que la journée s’avance…

L’entraînement est, pour le travail, un facteur d’allègement. Il aboutit à une adaptation à l’effort primitivement abusif en renforçant les automatismes, en les situant à la hauteur de leur nouvelle tâche. Mais si l’entraînement recule les limites du surmenage, il ne le supprime pas cependant. Et quand elles sont franchies, l’équilibre entre les recettes et les dépenses, entre l’encombrement résiduel et les facultés de déblaiement se trouve rompu et c’est l’intoxication massive, le surmenage.

A un autre point de vue, si l’habitude, née de la récidive, réduit la difficulté et atténue la fatigue, on aurait tort de conclure qu’elle est forcément favorable à l’individu qui travaille. A un certain degré d’effort, elle ne soulage plus et ne libère l’attention qu’en apparence. Surtout à un rythme accéléré, le même travail toujours répété conduit, nous l’avons vu, à la passivité et à la réduction intellectuelle. L’altération nerveuse est ici d’un autre ordre, tout simplement. Plus est poussée la spécialisation, plus la continuité est requise pour une tâche toujours identique, plus l’homme est astreint au labeur parcellaire, enfermé dans quelques mouvements, et davantage il se dégrade. C’est à cet abaissement, animal d’abord et demain « machinal » (car l’homme ainsi diminué perd jusqu’aux qualités de l’esclave), qu’aboutit le taylorisme, méthode à haut rendement de l’industrie du jour…


On a vu, par ailleurs, dans cet ouvrage même (voir Culture physique) les bienfaits de l’exercice, de l’effort musculaire. Autant le labeur, privé des relâches nécessaires, est préjudiciable à la santé, autant le jeu, le mouvement, le travail et le sport modérés favorisent la croissance et la formation de l’enfant, le bon équilibre et l’entretien de l’adulte. Ni paresse, ni surmenage, mais une judicieuse et salutaire activité. Activité variée, multiple, agréable (ou du moins dégagée, par essence ou par raison, par condition aussi, de la répulsion). Activité empruntant le plus possible son cadre au plein air et faisant intervenir, avec méthode, l’entraînement, ponctuée par des temps de repos bien dosés, soutenue par une alimentation rationnelle… « L’activité musculaire et intellectuelle est un besoin pour les hommes, et ce besoin est un plaisir lorsqu’il est satisfait dans des conditions normales, si l’on évite la fatigue et la satiété, si l’on varie les occupations, si par exemple les besognes utilitaires sont assez réduites pour laisser aux hommes des loisirs nécessaires à d’autres activités, à des satisfactions personnelles (jouissances artistiques, etc.) au libre développement des individualités… L’équilibre de l’organisme exige l’exercice de toutes les fonctions. C’est pourquoi il est bon de varier nos occupations. Considérées à ce point de vue, les jeux, les distractions deviennent des exercices utiles, en assurant la diversité des activités organiques aussi bien musculaires que cérébrales. Repos actif en quelque sorte, mais à déconseiller aux surmenés pour lesquels ne vaut, primordialement, que le repos passif. » (M. Pierrot). Changement d’occupation manuelle, s’il s’agit de l’atelier ou des champs. Alternance du travail cérébral et du labeur physique, s’il s’agit de l’écolier, du professionnel intellectuel, diversion chez l’ouvrier d’usine et pour les métiers insalubres ; pour tous, repos en temps opportun. S’il faut au citadin des détentes périodiques au sein de la nature, dans un air pur et un milieu tranquille, une suspension de travail complète, à certains moments, est nécessaire quiconque, fût-ce par agrément, côtoie de trop près les som-

mets de l’effort. Enfin, même dans un système social ou le travail se trouverait équitablement réparti, le machinisme, facteur possible de loisir, de confort et de libération ne peut s’accommoder de poses décousues, de dérangements et d’à-coups. Mais la continuité favorable à son rendement collectif n’est nullement incompatible avec un abaissement sérieux du temps de présence pour chacun, une réduction des heures de travail dont bénéficierait l’ensemble des producteurs. Journées brèves, garanties sanitaires, ambiance affranchies, conscience d’une besogne dont les participants goûtent enfin les fruits : sous de tels auspices la machine, aujourd’hui tueuse de vie, peut devenir un instrument du bonheur général.

Mais ce sont là perspectives futures, sinon utopiques. Et de dures réalités nous enserrent. Il y a le présent, avec ses chaînes et ses obstacles et l’impossibilité, pour le grand nombre, d’ordonner sagement l’existence. En deçà du seul remède efficace, qui est la refonte économique du système de travail, la normalisation des mobiles de l’effort et son épuration individuelle et sociale, que peut-on faire, au sein du capitalisme, pour lutter, dans une certaine mesure, contre le surmenage, pour en atténuer les effets morbides, se défendre contre ses conséquences lointaines, pour réduire les risques d’accidents ?

D’abord se rappeler que « le repos, la réparation des forces a souvent plus d’importance que la nourriture même. Il faut que l’organisme ait eu le temps de se débarrasser des poisons accumulés pour que l’assimilation puisse se faire et que la réparation des tissus commence… La règle d’hygiène à suivre serait d’éviter toute fatigue. Valable pour l’homme normal, à plus forte raison l’est-elle pour les tarés et les débilités (tuberculeux, albuminuriques, cardiaques, etc.). Dans la pratique, nous reconnaissons la fatigue par la lassitude, soit musculaire, soit intellectuelle. Par un entraînement rationnel et progressif, nous pouvons reculer la limite de cette fatigue ; on arrive moins vite à l’essoufflement, aux défaillances du muscle et de l’attention. Mais il y a toujours un moment, variable suivant la valeur individuelle, les conditions de vie et le genre de travail, où la fatigue survient. C’est avant ce moment qu’il faudrait s’arrêter, surtout si le même travail doit être recommencé tous les jours. » (M. P.) Lorsque les ouvriers s’unissent pour améliorer leur sort, leurs campagnes ont le plus souvent pour objectif un relèvement des salaires. Si légitime qu’il soit d’amener les ressources au niveau du coût des choses, nous savons dans quel cercle vicieux s’agite ce problème de la rétribution. Et que, seule, une production socialisée et rythmée sur la consommation peut la résoudre. Mais, d’ordinaire, le bien-être apparaît aux travailleurs, dans leurs luttes préparatoires, sous l’angle étroit de l’abondance. Et les facilités matérielles qu’ils aperçoivent chez les privilégiés de la fortune et qui sont liées à la possession de l’argent, altèrent pour eux le sens des avantages poursuivis. On se désintéresse (sauf secondairement et parce qu’on cède à l’entraînement des plus avertis, des meneurs cultivés et clairvoyants) de ces biens qui touchent au fond même de la libération véritable de l’individu et qui sont le repos, le loisir, la libre disposition de soi. Ces garanties n’ont pas le caractère de « conquêtes positives ». On les tient pour un simple appoint. Les masses en comprennent si mal l’utilité qu’elles apportent peu de chaleur au maintien du repos hebdomadaire et de la journée de huit heures par exemple. Alors que la réduction des heures de travail, la multiplication et l’étendue du repos sont des étapes, modestes certes, mais précieuses, dans cet arrachement de l’existence à l’étau du travail… Sans doute, les maux premiers sont de misère, de privations, d’insuffisance ; mais ceux qu’engendrent le travail sans