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menage gros, lui aussi, de conséquences. Aussi les risques et les dangers du surmenage d’ordre alimentaire se trouvent-ils accrus lorsque l’homme fait appel, parfois avec une aveugle insistance, à des aliments qui, tels les albuminoïdes, imposent à tous nos émonctoires une tâche plus ardue en raison des difficultés de métamorphose et d’élimination dont s’accompagne leur incorporation. Par conséquent, non seulement il est sage d’éviter toute surcharge alimentaire, mais il importe qu’au dosage quantitatif général s’ajoute la sélectivité et qu’on retienne, en même temps que les plus saines, les plus naturelles et les plus vitalisantes, les substances qui laissent le moins de résidus toxiques et dont l’assimilation est relativement aisée et complète (Voir Jeûne, Nourriture et Santé, et aussi Végétalisme et Végétarisme).

Il est un niveau moyen du travail, au delà duquel il nous apparaît non seulement abusif mais indésirable et dangereux. Et nous ne sommes pas d’accord sur ce niveau avec les moralistes officiels, protagonistes souvent intéressés de ce travail « tout honneur, vertu et santé », dont les profiteurs de l’effort social ont, dans tous les temps, tiré habilement parti. En opposition sur le niveau organique, rationnel et humain du travail, nous n’avons pas non plus le même regard pour les maux que le labeur tient en germe. Pour ceux-là, le surmenage trouve avec peine sa ligne de départ (existe-t-elle vraiment pour eux ?) et ils ne l’aperçoivent guère que dans des cas isolés, exceptionnels, avant tout individuels. Alors qu’il existe pour nous un surmenage multiple et quotidien, endémique et social.

D’autre part, notre conception du travail fait intervenir un élément — ailleurs méconnu ou tenu pour accessoire — c’est le plaisir. Les émotions réjouissantes, agréables sont à la fois réparatrices et amplificatrices. La satisfaction, l’agrément, la joie facilitent nos acquisitions. Ils activent nos sécrétions, secondent nos digestions. Ils favorisent nos assimilations, servent nos accroissements physiques comme nos progrès intellectuels. Nos dons naturels en sont secourus ; à leur contact s’affirment des qualités anciennes, naissent ou se développent des possibilités inconnues, et s’anime l’initiative créatrice… Par delà le travail courant, l’enthousiasme avive l’imagination de l’artiste, délivre l’œuvre encore endormie aux limbes du cerveau… Atmosphère heureuse, excitation bienfaisante dont bénéficient le fonctionnement de l’organisme, l’activité des organes, l’amélioration et le relèvement dans la maladie, la force et la santé mêmes. Et aussi les dispositions altruistes, l’optimisme, la sociabilité…

Travail qui plaît est à demi-fait, dit-on. Le goût qu’on apporte à une tâche la rend légère et en modifie avec bonheur l’accomplissement. Il recule aussi les bornes du surmenage… Outre ses circonstances hostiles et appauvrissantes, le travail moderne (le travail imposé du prolétaire, le travail du grand nombre pour le gagne-pain) est en opposition avec nos aspirations libertaires et les exigences de notre nature. Et nous l’accusons de dépouiller l’homme, qu’il doit enrichir… Une société qui, après l’avoir rendu libre, ferait appel — sollicitation chère à Fourier — au travail dans le plaisir, multiplierait, par surcroît, les plaisirs du travail. Et elle y trouverait de précieux éléments de stabilité, de richesse et d’harmonie.

Le travail d’autrefois comportait, en général, des occupations diversifiées. Il faisait appel, tour à tour, à tous les groupes musculaires et chacun d’eux, successivement, prenait aussi sa part de repos. Normale et proportionnée, leur mise à contribution ne détruisait pas l’équilibre et un développement harmonieux, en même temps qu’une saine conservation, demeuraient possibles… Mais, « aujourd’hui, la plupart des ouvriers

ne font qu’une infime partie d’un objet manufacturé ; ils sont astreints à faire toute la journée les mêmes mouvements. Cette continuité dans les efforts aboutit à la fatigue des groupes intéressés et à la fatigue générale du corps (par intoxication) sans que cette activité partielle puisse avoir à aucun moment une heureuse influence sur l’organisme… L’immobilité qu’exige souvent le service de la machine est une cause de fatigue rapide. La station verticale n’est pas une position de repos ; elle n’est possible qu’avec la contraction de certains muscles. À la monotonie de la division du travail et à l’immobilité vient s’ajouter l’ennui, facteur de fatigue lui aussi… Enfin le machinisme a entraîné la rapidité des mouvements tout en demandant une exactitude dans l’exécution, à mesure plus difficile. Il a bien supprimé les grands efforts ; mais la violence des efforts s’opposait à leur répétition prolongée et surtout à la rapidité du travail, sous peine de surmenage aigu avec repos forcé pendant plusieurs jours. Les mouvements modérés, au contraire, peuvent être renouvelés d’une façon exagérée et permettre soit la prolongation, soit la vitesse (ou intensité) du travail. L’aboutissement est ainsi le surmenage chronique dont nous avons parlé. C’est la rapidité dans le travail que le machinisme a imposée. Or tout le monde sait que la précipitation des mouvements aboutit très vite à la fatigue : on connaît par exemple la différence entre une course de vitesse et une course de fond ; la première ne peut pas se prolonger très longtemps sous peine d’amener l’épuisement. C’est un principe bien connu en mécanique que ce qu’on gagne en vitesse on le perd en force et réciproquement. D’une façon générale, on peut dire que la machine (voir ce mot) qui aurait dû, suivant le rêve d’Aristote, soulager les hommes — et le pourrait dans une organisation sociale mieux comprise — a servi à utiliser la force humaine jusqu’à la limite extrême. Au fur et à mesure des améliorations techniques, l’industriel ne diminue pas le labeur de ses ouvriers : c’est ainsi que les perfectionnements dans les métiers à tisser, les tours, etc…, ont permis aux patrons de faire conduire non plus un métier, une machine-outil, mais deux, trois et davantage par un seul individu. » (M. Pierrot). À la tyrannie physique (disons le mot) abrutissante d’insensibles rouages s’ajoute la sensation permanente — pénible et démoralisante — de l’asservissement à la mécanique indifférente, avide, inexorable… Dirons-nous en passant (car ses répercussions sont innombrables et vicient jusqu’au sens de la vie) que du machinisme vient d’ailleurs cette hâte fébrile dont est secouée toute l’existence moderne et qui, des cités trépidantes gagne peu à peu les campagnes et en poursuit le calme séculaire. Départs fiévreux à l’ouvrage, transports accélérés, puis, entre deux périodes de labeur intensif, le repas écourté, bousculé. Hors du champ du travail, dans le temps même d’un illusoire apaisement, parmi les plaisirs, les réjouissances du foyer ou de l’extérieur, jusqu’au fond de la vie quotidienne règnent des passions de vitesse, des besoins de bruit, d’insolites exubérances, une soif d’agitation, de coudoiements tapageurs et comme une peur du silence que les ondes « propices » d’une radio envahissante viennent « à point » refouler. Tension épuisante, épreuves sans relais, incessant frémissement auxquels la délicate horlogerie humaine tente une adaptation désespérée. Mais — angoissant symptôme — est-il une époque qui ait connu autant d’énervés, de désaxés, de débiles mentaux, d’hystériques, de demi-fous ?

Pour revenir au vif de notre sujet, signalons que la lassitude, le dégoût du travail serf et monotone contribuent à accroître le nombre des accidents du travail que la machine, par elle-même, quotidiennement multiplie. Plus la fatigue pèse et s’accentue, plus l’attention se relâche et les mouvements deviennent malha-