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— Tous les souvenirs sont dans l’espace, donc présents, mais inutilisés et inconscients.

— Le fait actuel se différencie du fait passé par la qualité et la quantité des éléments sensoriels associés soit au fait passé, soit au fait présent et surtout par la plus grande intensité des perceptions présentes.

— Le savoir ne nous fait pas connaître l’essence des choses, mais le rapport de notre sensibilité avec le milieu.

— Le savoir véritable est donc une adaptation de notre être aux influences du milieu. Savoir, c’est agir en s’adaptant aux réalités.

— L’erreur est une mauvaise association de réflexes conditionnels créant des concepts différents de la réalité. Elle est toujours démontrable dans le domaine expérimental.

— La vérité est l’ensemble des réalités dont est formé un concept. Ne peuvent prendre le nom de vérité que les concepts soumis au contrôle de l’expérience.

— Il n’y a pas de vérité a priori. Toute connaissance est essentiellement acquise sensoriellement.

— Il y a trois degrés dans la connaissance : les réalités strictement personnelles ; les réalités générales ; les concepts généraux.

— L’accord des humains ne peut s’effectuer que sur les réalités générales ou sur les concepts généraux appuyés par des démonstrations expérimentales. La connaissance réelle est impersonnelle. Elle tend à l’universel. C’est-à-dire à l’élaboration de vérités spécifiques et non individuelles.

— La principale cause de division entre les hommes consiste dans le fait de donner comme vérité, ou comme un fait général et impersonnel, ce qui n’est qu’un fait particulier ou indémontrable expérimentalement.

— La méthode scientifique est la seule méthode pour former la connaissance réelle et le savoir. Elle utilise les réalités générales et crée des concepts généraux susceptibles de s’adapter aux variations du milieu. Mais toute utilisation de ces concepts ne peut s’effectuer sans un coefficient personnel d’appréciation qui ôte précisément à cette adaptation tout le caractère rigoureux de causalité ou de convenance infaillible de cause à effet.

— Il y a donc la méthode scientifique et il y a les hommes l’utilisant. Il est nécessaire de se servir de la méthode. Il est prudent de se méfier des hommes et de leurs affirmations.

— Le savoir peut être considéré comme un moyen ou comme un but. Les techniciens en font un moyen. Les savants et les philosophes en font un but. L’homme de raison doit être harmonieux ; c’est-à-dire : technicien, savant et philosophe. — Ixigrec.


SCANDALE n. m. L’étymologie du mot scandale est un terme grec qui signifie piège. Les théologiens désignent par ce nom les discours, les actes, les mauvais exemples qui sont pour l’homme une occasion de tomber dans l’erreur, une incitation à commettre des fautes. Plus communément on considère comme scandaleux les faits qui froissent les sentiments professés — sinon toujours éprouvés — par la généralité des membres d’une société, faits qui provoquent des démonstrations d’inquiétude, de répulsion, d’indignation.

Ceux qui, avec Durkheim, admettent que « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société forme un système déterminé qui a sa vie propre » que l’on peut appeler « conscience collective ou commune », possédant « des caractères spécifiques qui en font une réalité distincte », ceux-là diront que le scandale est une atteinte à la conscience collective. Toutefois, cette conscience commune, qui n’est l’attribut d’aucun sujet réel, est un concept trop vague, pour que nous l’admettions sans réserve, autrement que comme une expression permet-

tant d’abréger le discours. Plutôt qu’aux sentiments de la moyenne des citoyens, cette expression correspond au maximum de discipline morale qu’une minorité dirigeante peut leur faire accepter sans provoquer de leur part de trop vives réactions.

Le scandale se produit d’autant plus couramment, il est d’autant plus intense, que la cohésion du groupe humain repose davantage sur l’instinct grégaire que sur l’adhésion conditionnée d’individus jaloux de leur autonomie. Ce n’est pas à dire que la personnalité gagne à s’abstraire du milieu social. Bien au contraire, une puissante individualité est particulièrement sensible à l’évolution de ce milieu. Novatrice elle-même, les idées neuves ne la scandalisent pas ; la raison les lui fait accepter ou rejeter sans susciter chez elle des mouvements passionnels. L’homme est donc d’autant plus enclin à se scandaliser qu’il a aliéné aux mains d’une collectivité une plus grande part de sa personnalité. S’il ne lui cède rien, il est lui-même objet de scandale. Comme l’a dit un philosophe contemporain, G. Belot : « Le scandale dernier, le scandale limite, c’est l’existence même, en face de la collectivité, de l’irréductible ferment de différenciation qu’est l’individu ». L’individu indépendant est un être d’exception. Celui que nous coudoyons tous les jours n’est libre ni de ses actes, ni même de ses pensées, qui doivent rester en harmonie avec les coutumes et les préjugés du groupe. Conscience et réactions d’une collectivité n’ont, nous l’avons dit, qu’un caractère symbolique ; sentiments, émotions, mouvements sont des impressions et des manières d’être personnelles. Si la faculté de les éprouver est inégalement départie aux membres de la société, elle ne s’exerce que par l’intermédiaire de personnes concrètes qui traduisent l’opinion dominante. Etudier les conséquences du phénomène scandaleux revient, en définitive, à examiner ce qu’elles sont chez un sujet individuel dont la mentalité est façonnée par le groupe auquel il est incorporé.


Les effets du scandale rentrent dans la catégorie des émotions. Les excitations physiques ou psychiques qui lui donnent naissance doivent être au-dessus d’un minimum qui correspond à la perception. Une fois ce seuil de la perception franchi, l’émotion qui résulte du scandale, qui en donne la mesure, s’étend sur une vaste plage qui se refuse aux délimitations précises. Superficielle au début, l’émotion n’a le plus souvent que des effets passagers ; dans la zone moyenne elle agit énergiquement sur la personnalité qu’elle finit par ébranler et désagréger lorsqu’elle la secoue dans ses profondeurs.

Il faut encore distinguer, parmi les atteintes aux opinions régnantes, celles qui sont accidentelles, de celles qui sont persistantes ou souvent répétées. Le premier effet de la contradiction est de consolider l’opinion combattue. « Il arrive parfois qu’en disputant contre les infidèles, on les induit de nouveau en péché, loin de les convertir. C’est pourquoi ceux qui possèdent la vérité doivent la répandre avec prudence. » (A. France.) Quand elle s’adresse à un certain nombre d’individus, imbus des mêmes principes, la contradiction inopinée « tourne en scandale ». L’opposition de chacun se renforce de celle de ses compagnons et motive des protestations véhémentes qui attestent la solidarité du groupe et affermissent les croyances dont l’autorité est récusée.

Le renforcement de l’esprit de conservation est encore plus accentué lorsque, dépassant la simple contradiction au sein d’un cercle étroit, l’atteinte subite aux règles traditionnelles prend d’emblée les proportions du scandale d’intensité moyenne. Parce que les sentiments offensés « se retrouvent dans toutes les consciences, l’infraction commise soulève chez tous ceux qui en sont témoins ou qui en savent l’existence, une même