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TRAVAIL (et surmenage). Le mot surmenage, n. m. (rad. surmener, de sur, indiquant l’abus, et mener) désigne l’action, le fait de se surmener et aussi l’état qui en dépend, c’est-à-dire « l’ensemble des troubles morbides qui résultent de la fatigue répétée des organes. » (Larousse)

C’est de l’absence de repos d’abord qu’est fait le surmenage dans sa conception classique… Dans l’antiquité, malgré l’esclavage, au moyen âge, en dépit du servage, c’est-à-dire, en somme, jusqu’à l’apparition du machinisme, le travail était, d’une façon générale, entrecoupé de pauses, d’arrêts qui en allégeaient le poids. Hormis les cas particuliers où une contrainte violente précipitait l’exécution, les « espacements », qu’on retrouve encore dans la manière besogneuse du paysan d’aujourd’hui, permettaient ces longues journées à tort opposées au labeur concentré des travailleurs de l’usine, des manufactures ou de la mine. Si pénible qu’il fût dans son ensemble, et surtout à certaines heures, le travail, en son mode séculaire, n’était pas exténuant, ni surtout démoralisant, comme l’est le labeur moderne. Les lassitudes qu’il engendrait, même répétées, se différenciaient nettement de cet épuisement endémique qui saisit, pour ne plus les quitter, certaines catégories d’ouvriers de notre siècle civilisé. « La dépense des forces (dit notre camarade Pierrot, dans sa brochure : Travail et surmenage, à laquelle nous empruntons une partie importante de notre documentation et quelques citations caractéristiques) s’ajoutait à la misère et aux privations dont l’influence morbide l’emportait de beaucoup en importance chez les pauvres paysans et les pauvres artisans ».

Le surmenage n’intéresse pas seulement les organes (muscles moteurs, cellules nerveuses, etc.) mis en jeu dans le travail de production, dans l’activité indifférente ou distractive. Il s’étend, comme nous le verront tout à l’heure, au dérèglement de tous les organes détournés de leur fonction régulière, soustraits à leur rythme normal…

Il y a à considérer dans le travail musculaire (le premier que nous allons examiner), l’effort et la répétition de l’effort, ou effort violent « retentit sur la circulation » et peut entraîner divers accidents (rupture cardiaque, congestion cérébrale, apoplexie, hernie, emphysème pulmonaire). « La répétition de cet effort provoque la fatigue. Et celle-ci se répercute d’abord sur le cœur (cœur « forcé », insuffisance aiguë : asystolie), ou le cœur, par réaction, s’hypertrophie… La fatigue répétée, exagérée entraîne d’autre part un épuisement musculaire qui se traduit par de la courbature et une inaptitude à la récidive. » Cet état musculaire est « la conséquence d’une accumulation dans les muscles des déchets produits par une combustion exagérée des tissus. » D’autre part, si l’usure produite par la combustion correspondante à l’énergie dépensée ne peut se réparer normalement par le repos, « le muscle brûle sa propre substance et se détériore ». Les résidus abondants provenant de la combustion excessive des albuminoïdes ne subissent plus « l’oxydation complète et la transformation en urée » et, dans l’organisme, s’accumulent de véritables poisons (créatine, tyrosine, xanthine, etc.) dont les méfaits vont de l’intoxication lente à l’empoisonnement aigu… Mais ce sont là plutôt des accidents, Et quand la fatigue ou le « coup de collier » entraînent des crises caractérisées, le mal se trouve dépisté — ou peut l’être — en raison de sa soudaineté, de sa violence même. Et, s’il n’a pas d’issue fatale, il en résulte néanmoins cette incapacité à continuer qui lui est consécutive et le surmenage catastrophique voit de toute façon son cours interrompu…

Il en va différemment lorsque se prépare, par accumulation insidieuse de fatigues en apparence anodines, provenant d’un excédent régulier d’effort, un surmenage chronique longtemps insoupçonné. La ligne du

travail, ici, n’est pas brisée, la détente réparatrice, faute d’être impérieuse, n’intervient pas. Cependant cœur, estomac, foie, cerveau, nerfs se révèlent à la longue incapables d’assurer leur fonction. Des déficiences toujours plus étendues et profondes s’installent à demeure dans l’organisme et y causent ces lésions anciennes et progressives trop souvent irréparables. Le remède spontané — presque toujours emprunté à quelque panacée chimique — perd alors, quoiqu’on en croie, ses vertus déjà douteuses et seules des années de redressement méthodique, de ménagements, de régime, d’exercice tempéré, c’est-à-dire une véritable réfection et une rééducation des organes atteints peuvent avoir raison, s’il en est temps encore, de déchéances graves et prématurées.

Le travail immodéré est facteur de vieillesse (seuls y résistent des tempéraments exceptionnels). Et cela d’autant plus que des fautes multiples, de véritables attentats contre la résistance organique sont commis quotidiennement, dans des domaines voisins et connexes, par des humains éloignés de toute règle de vie naturelle. Le surmenage chronique contribue à cette « usure avant l’âge », si fréquente dans nos sociétés modernes. Prompte lassitude, essoufflement, vertiges, c’est-à-dire inaptitude précoce à l’activité productrice, risques accrus d’apoplexie, d’artériosclérose, d’urémie, de toutes les maladies qui guettent la sénilité.

Mais, bien avant, le surmenage produit ses effets pernicieux. Il rend plus redoutables les mauvaises conditions d’hygiène. « Il aggrave d’une façon certaine toutes les tares déjà existantes : maladies du cœur, des reins, des voies respiratoires. Il précipite la terminaison fatale des tuberculoses en évolution. Plus sérieux, avec lui, devient le danger des maladies intercurrentes : un individu fatigué se rétablira lentement d’une pneumonie, d’une fièvre typhoïde, etc. ; souvent même il en mourra. Une simple grippe pourra devenir une affection d’une gravité extrême. D’autre part, le surmené offre un terrain propice à la contagion. Il réagit mal contre l’invasion microbienne. Il est davantage exposé aux maladies infectieuses… » La sous-alimentation constitue pour tout fatigué — et surtout pour le fatigué permanent — une circonstance aggravante. Les apports énergétiques sont neutralisés, débordés par la débauche musculaire. L’amaigrissement, une moindre résistance s’ensuivent. Les maladies que le froid favorise sont plus facilement contractées…

Pour des raisons identiques, les faibles, les débiles sont les premiers exposés à subir les effets du surmenage et ils en sont aussi plus profondément atteints. De même les jeunes gens, à l’âge de la croissance et de la puberté, qui est en même temps celui où ils doivent déjà « gagner leur vie ». Les femmes enceintes et les nourrices, sont vite touchées par le surmenage et elles sont frappées aussi dans l’enfant, dans le nourrisson privés du support maternel normal et voués à l’étiolement, à l’anémie, à la dégénérescence.

Avant de parler de la fatigue cérébrale, mentionnons la fatigue nerveuse consécutive à la dépense musculaire. « A la consommation de force nerveuse, proprement dite, il convient aussi et surtout d’ajouter les effets de l’intoxication ; les déchets produits par les contractions musculaires exagérées viennent gêner, empêcher le fonctionnement des organes nerveux. » Il est évident que chez les travailleurs manuels surmenés, cet état dépressif étend sa répercussion à toutes les facultés. Sensibilité générale, perception, attention, compréhension se trouvent amoindries et toutes les opérations intellectuelles deviennent lentes, pénibles et incomplètes.

Nous avons donné la préséance — et accordé aussi une plus grande importance — au surmenage musculaire, au surmenage dit « physique ». Il se rattache, en effet, au mode de travail de la majorité des humains et