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diffusion verbale et écrite de la thèse de la non-résistance au mal : « Au lieu de comprendre qu’il est dit : ne t’oppose pas au mal ou à la violence par le mal ou la violence ; on comprend (et je crois même à dessein) : ne t’oppose pas au mal, c’est-à-dire sois-y indifférent. Or, lutter contre le mal est le seul but extérieur du christianisme, et le commandement sur la non-résistance au mal par le mal est donné comme le moyen le plus efficace de le combattre avec succès. » (Conseils aux dirigés, Fasquelle, p. 118). « C’est pourquoi, autant pour garantir plus sûrement la vie, la propriété, la liberté et le bonheur des hommes… nous acceptons de tout cœur le principe fondamental de la non-résistance. » (Le Salut est en vous, Perrin, p. 8). Car : « la pire des pertes c’est celle de vies humaines, douloureuse, inutile, irréparable. » (Guerre et révolution, Fasquelle, pp. 84, 92). Pourquoi vouloir réaliser l’idéal du bonheur humain par le meurtre ? « La grande Révolution française a été l’enfant terrible qui, au milieu de l’enthousiasme de tout un peuple, devant la proclamation des grandes vérités révélées et devant l’impuissance de la violence, a exprimé, sous une forme candide, toute l’ineptie de la contradiction dans laquelle se débattait alors et se débat encore l’humanité : liberté, égalité, fraternité, ou la mort. » (Guerre ou révolution, Fasquelle, pp. 84, 92).

La façon la plus simple, la plus facile, la plus efficace d’anéantir le despotisme et l’État réside dans la non-participation à son fonctionnement. « Tout gouvernement sait comment, avec quoi se défendre contre les révolutionnaires ; aussi ne craint-il pas ses ennemis extérieurs. Mais que peut-il faire contre les hommes qui démontrent l’inutilité et même la nocivité de toute autorité, qui ne combattent pas le gouvernement, mais simplement l’ignorent, peuvent s’en passer et, par conséquent, refusent d’y participer. » (Le Salut est en vous, Perrin, p. 224). Les véritables destructeurs de la tyrannie monarchique ou parlementaire seront ceux qui refuseront l’impôt et le service militaire, ne voteront pas, ne prêteront pas serment, n’iront pas en justice, Tolstoï fut officier d’artillerie, juge de paix, mais à cinquante-cinq ans, après sa conversion, refuse d’être juré. Sa femme paie les impôts à sa place.

Il serait vain de songer à bâtir un nouvel édifice social avant la transformation de la vie morale et matérielle de chacun, sans renoncer individuellement aux vanités de la gloire et aux privilèges de la fortune. Qui prétend renouveler la face du monde doit commencer par réformer sa propre existence. Éternel précurseur, Rousseau fournit à son disciple russe le modèle d’une révolution domestique. Cet ancien apprenti graveur, au début de ses succès littéraires, sur le point d’être présenté au Roy de France et d’en recevoir une pension, fuit la Cour, vend ses habits brodés, choisit pour compagne une humble et ignorante servante d’auberge, prend le métier de copiste de musique, vit et meurt dans une médiocrité dédorée. Parti de plus haut, le boyard moscovite n’alla pas si loin. Cependant, tandis que le fier républicain genevois fréquentait exclusivement les palais des grands, l’anarchiste d’Isnaïa, vêtu en moujik, partageait la peine des paysans, labourait, moissonnait, fauchait et fanait en leur compagnie. Il voyait dans le travail manuel et le retour à la terre deux conditions indispensables de la rénovation humaine.


« Tout ce que je viens de dire peut être ramené à cette vérité simple, indiscutable et accessible à tous : pour que la bonne vie se généralise, il faut que les hommes soient bons. Quant au moyen de réaliser ce but, il n’en est qu’un : c’est que chacun de nous s’efforce à être bon. » (Le Grand Crime, Fasquelle, p. 225).

L’amour et la bonté : la théorie et la pratique de

l’enseignement tolstoïen. Aimer même son ennemi, c’est-à-dire ne pas avoir d’ennemis, ne se connaître que des frères : heureux ou malheureux, sages ou égarés, ignorants ou éclairés. Être bon, c’est-à-dire faire aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fissent, partager leurs joies, soulager leurs peines, les aider et les secourir.

Les écrits de Tolstoï respirent la bonté, l’amour, cette solidarité profonde qui unit les hommes sous les divergences apparentes. Son activité pédagogique en est imprégnée, et les documents publiés (Sur l’Instruction du Peuple et Articles pédagogiques. Tomes XIII et XIV des Œuvres complètes, Stock) sur l’école d’Isnaïa-Poliana livrent de délicieux cantiques à la gloire de l’enfance. Pour bien instruire les jeunes, il faut les connaître, les laisser libres et surtout les aimer. Et l’instituteur improvisé appliquait la bonne méthode puisque durant la classe, les élèves s’accrochaient au dossier de sa chaise et, pendant les promenades, se disputaient sa main.


L’étude de la vie et de l’œuvre de Tolstoï laisse à celui qui l’entreprit un sentiment émouvant : celui d’avoir rencontré et aimé un grand écrivain, un puissant analyste, un apôtre inspiré, un sincère anarchiste, un homme. — F. Elosu.


TOTEM, TOTEMISME n. m. Ce mot quelque peu barbare est, de nos jours, presque tombé en désuétude. Il n’éveille, en nous, que de très vagues idées et de vieilles images. Le visiteur d’une Exposition Coloniale jette, en passant, un regard amusé sur des poteaux naïvement sculptés où les têtes grimaçantes se superposent à des pyramides d’animaux. D’une polychromie brutale, ils se dressent, plantés de travers dans l’herbe, devant les portes des cases. Sait-on que ce sont là les emblèmes de la plus vieille religion que l’humanité ait conçue et pratiquée ?


Le grand sociologue Freud a publié récemment une étude (Totem und Tabu) où il traite avec l’autorité qu’on lui reconnaît de la question du « Totémisme ».

Depuis quelque temps, en effet, les démopsychologues s’occupent beaucoup des origines du Totémisme. Il faut d’abord le définir.

Le Totémisme est une institution religieuse adoptée par les peuplades sauvages ou à demi sauvages de l’Australie, de la Polynésie et de l’Amérique du Nord, sans compter l’Inde et l’Afrique. Le mot « Totem » a été rapporté par Longsin en 1791, qui le trouva chez les Peaux-Rouges. Pourquoi les savants, aujourd’hui, s’intéressent-ils tant aux institutions sauvages du Totem ? C’est assurément parce qu’ils espèrent en tirer profit pour l’étude de l’essence et de l’histoire de l’esprit humain. Mais voyons.

Les tribus des sauvages se divisent en clans dont chacun est nommé par son « Totem », qui est généralement un animal, comme l’éléphant, l’hippopotame, rarement par une force de la nature, comme l’eau, la pluie, le vent, etc…

Le Totem est considéré comme le progéniteur et le génie tutélaire de tous les hommes du clan ; c’est lui qui transmet les oracles. Quiconque tue ou détruit un Totem, ou mange de sa chair, reçoit une punition, mais automatiquement.

Mais, de temps en temps, dans certaines fêtes, les hommes du clan se livrent à des danses qui imitent les mouvements caractéristiques du Totem. Ces fêtes se terminent par l’immolation du Totem, dont tous les membres du clan mangent crus la chair, le sang et les os. Le crime collectif est ensuite réparé par des regrets et des pleurs publics. À ce deuil collectif succède une période de joie effrénée et d’orgies pendant laquelle tous les individus se croient sanctifiés par