Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
THÉ
2770

la même place à la fois. Mille causes physiques, intellectuelles ou morales ont précipité, attardé ou faussé ce développement. La théologie des sauvages contient parfois, en germe, un polythéisme partiel qui s’accorde plus ou moins avec le fétichisme le plus grossier, comme les grandes religions monothéistes actuelles s’accommodent très bien de pratiques superstitieuses, résidus du fétichisme le plus arriéré.

Quoi qu’il en soit, le théisme, comme toute autre conception religieuse, dérive avant tout de la conception anthropo-animique des choses et des êtres. Il n’est, si intellectualisé qu’il puisse être, que l’écho puissant, quoique dissimulé, de cette horrible panique qui assaillait nos aïeux des temps antéhistoriques devant les phénomènes et les dangers d’une nature hostile. Si le concept divin persiste et se maintient dans nos sociétés civilisées, C’est parce qu’il fournit aux humains l’apparence d’une explication des choses. Son domaine est l’inconnu. A mesure que l’inconnu diminue, le dieu subit les mêmes réductions jusqu’au jour où la série logique de l’évolution intellectuelle de l’humanité aboutira à sa conclusion la plus nécessaire : l’élimination totale du surnaturel et la substitution des solutions certaines de la science aux applications fantaisistes de l’ignorance. — Ch. Alexandre.

(Cette étude est extraite de l’ « Homme et ses dieux », étude parue en édition à l’ « Emancipateur », Flémalle-Grande, Belgique).


THÉODICÉE n. f. (du grec theos, dieu et dike, justice). La théodicée occupe une place d’honneur dans la philosophie cléricale — deux mots qui jurent d’être accouplés — car elle vise à démontrer l’existence de Dieu au moyen de preuves aussi invraisemblables les unes que les autres, On doit avoir ici la foi du charbonnier. L’une de ces preuves est celle dite preuve de Saint-Anselme, du nom de son fondateur, qui vivait au XIe siècle, reprise au XVIIe siècle par Descartes, et qui consiste en ce raisonnement : « L’existence est une perfection, Dieu est 1’être parfait par excellence. Donc, Dieu existe. » Ce n’est pas plus difficile que cela. Seulement, il fallait le trouver. L’idée de Dieu suffit à prouver l’existence de Dieu ! Dieu se démontre géométriquement. La preuve de Saint-Anselme est l’une des preuves « métaphysiques » de l’inexistence de Dieu. Mais laissons le soin aux libres-penseurs (qui ne valent guère mieux que les cléricaux) de nier l’existence de Dieu, avec des arguments dont tous les Homais du monde, respectueux de tous les préjugés, sauf du préjugé religieux, croient accabler leurs adversaires. Ces messieurs sont patriotes, capitalistes, amis du sabre et de l’autorité, vénèrent tous les dieux, en somme, sauf Dieu, ce qui est illogique car tous les dieux se ressemblent. Ils saluent le drapeau et bafouent le goupillon. Ils s’effacent devant l’officier, mais bousculent le prêtre. Ils se contentent d’être anticléricaux. C’est tout ce qu’ils peuvent être. L’anticléricalisme est un cléricalisme à rebours. Pour tout le reste, sauf le fait d’aller à l’église, ils ressemblent à tout le monde. Ce sont de vulgaires bourgeois, esprits obtus, désirs bornés. Ils ne valent pas mieux que leurs ennemis. Ce sont des mercantis comme eux à genoux devant le veau d’or et serviles devant la force. Répugnants personnages, non-évolués, testés à mi-chemin de la civilisation. On se demande comment la guerre peut exister entre certains individus qui ont la même conception de la vie. Cléricaux et libres-penseurs s’embrassent quand la patrie les appelle à mourir pour elle.

C’est le sort le plus beau…

Ils portent le même uniforme, ils marchent dans les mêmes rangs. Ils attendent la paix pour recommencer à se chamailler. C’est un mystère !, comme on dit dans le catéchisme. Il y a beaucoup trop de libres-penseurs, et pas assez de penseurs libres.

La théodicée, mot forgé par Leibniz, qui veut dire

justice de Dieu, diffère de la théologie en ce que celle-ci consiste dans l’interprétation des textes sacrés, tandis que la théodicée est l’étude philosophique de la divinité. — Gérard de Lacaze-Duthiers.


THÉOLOGIE n. f. du grec theos, dieu, logos, discours). Fausse science qui prétend nous renseigner sur Dieu et sur l’au-delà, grâce à l’étude des traditions sacrées et des fables de la révélation. Dédaigneuse de l’expérience et de la raison, elle s’appuie de préférence sur les textes des livres saints, sur les décisions des autorités ecclésiastiques, sur les divagations des mystiques ou les frivoles croyances des écrivains pieux. Alchimistes et astrologues avaient du moins le mérite de procéder à des observations minutieuses et précises ; malgré des erreurs de tous genres, ils furent les précurseurs de la science contemporaine. Parce qu’elle s’oppose sottement au savoir positif et à la philosophie, la théologie n’est plus, depuis plusieurs siècles déjà, qu’un ramassis de sottises, où les chercheurs sérieux ne trouvent rien à glaner. Et son goût pour les raisonnements abstraits, pour les disputes quintessenciées, la dépouille du charme poétique, de la naïve beauté qui plaisent dans les vieux récits mythologiques et dans les légendes dont s’entoure la naissance des principaux mouvements religieux. Comment des hommes sensés peuvent-ils prendre au sérieux les stupides élucubrations qui remplissent les ouvrages des théologiens ? On se l’expliquerait mal, si l’on ne tenait compte des intérêts secrets qui guident les individus, si l’on ne remarquait combien la véritable intelligence est rare, même dans le monde des diplômés et des érudits. Toutes les théologies du monde ne valent pas dix minutes de sérieuse attention : leur ensemble constitue un immense sottisier qui parviendra peut-être à faire rire ceux qui nous succéderont. Pourtant de prétendues sommités intellectuelles, des professeurs de Facultés, des membres de l’Institut font l’apologie de ces insanes élucubrations ; et leurs vaines recherches sont portées aux nues par les autorités académiques, par les critiques en vogue, par les journaux et les revues qui, à volonté, font et défont la réputation d’un écrivain.

Alors que les Grecs donnaient le nom de théologiens aux poètes qui, comme Hésiode, racontaient l’histoire des dieux ou aux penseurs qui tiraient des Leçons de sagesse des récits mythologiques, les modernes ont réservé ce titre à des ergoteurs, chargés de fondre en un tout cohérent les données parfois contradictoires, d’une foi habituellement absurde. Toutes les religions, grandes ou petites, ont leurs théologiens qui se chicanent et s’injurient avec ardeur. Brahmanistes, bouddhistes, juifs, protestants, catholiques, musulmans, théosophes, etc., se traitent mutuellement de scélérats et d’imposteurs ; ils ne tombent d’accord que pour maudire le penseur indépendant qui répudie tous les cultes et ne porte d’offrande à aucun temple. Volontiers, nous reconnaissons néanmoins que la sottise et la mauvaise foi théologiques présentent des degrés ; dans l’ensemble, les pasteurs protestants sont moins déraisonnables que les prêtres catholiques, et certains théosophes sont assez voisins des incroyants. Mais aucune religion, qui se prétend d’origine surnaturelle, ne peut se dispenser d’organiser ses postulats fondamentaux, de les fondre en un système harmonieux et logique, d’en poursuivre l’application dans le domaine pratique, moral, spéculatif. Et parce qu’elle repose en définitive sur des données irrationnelles, de confuses intuitions mystiques, des erreurs et des préjugés qui ne cessent point d’être tels parce qu’ils sont millénaires, toute théologie est une construction dépourvue de solidité ; ses déductions les plus rigides s’avèrent fausses, car elles partent de principes erronés ; ses formules les plus séduisantes n’éliminent jamais complètement l’absurdité des dogmes quelles traduisent ou des croyances qu’elles exposent. Ajoutons que c’est une prétention singulière de la