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qu’avec la complexité de ces réactions. C’est donc la nature de celles-ci qui nous indiquera ce qu’est réellement la conscience. Remarquons que nous délaissons momentanément l’idée de savoir si la connaissance est la représentation exacte des objets dans l’espace et dans le temps. Nous nous contenterons de considérer la connaissance comme une réaction de notre sensibilité contre le milieu.

Ces réactions nous sont particulièrement connues sous la forme de réflexes se produisant dans les divers étages du système nerveux et déterminant soit un acte moteur, soit un fonctionnement organique interne, soit enfin une simple dispersion de l’influx nerveux sans conséquence motrice ou organique immédiate.

L’observation de l’enfance nous démontre le caractère automatique des premiers réflexes, liés aux seules fonctions organiques. L’enfant saisit et suce n’importe quoi. Mais les sensations se précisent, se coordonnent assez vite ; les réflexes conditionnels enrichissent et compliquent le fonctionnement nerveux de telle sorte que la vie organique se trouve alors étroitement liée aux diverses variations du milieu. C’est ici que commence la connaissance réelle, non pas une connaissance formée de la pénétration de tous les secrets du monde environnant, mais une connaissance faite de la relation de divers états de l’organisme avec les influences du milieu. C’est ainsi que l’eau sera perçue et connue tout d’abord comme une chose agréable ou désagréable ; il en sera de même pour tout ; pour les aliments, les bruits, les odeurs, les sons ; pour la pluie, le vent, la chaleur, le froid, etc… A chaque réflexe organique s’adjoindront quelques réflexes conditionnels, formés eux-mêmes, pour la plupart, par l’influence directe du milieu sur la sensibilité de l’enfant.

Nous voyons donc qu’ici la connaissance n’est qu’une incessante relation d’influence entre le milieu et l’enfant. Si toute l’énergie déclenchée par la réaction nerveuse du sujet était utilisée dans cette réaction, il ne resterait pas grand chose pour le souvenir et la pensée. Mais il est rare qu’il en soit ainsi. Une partie de l’influx nerveux se disperse dans les zones supérieures du système nerveux, laissant des traces, des liaisons, des constructions, lesquelles influeront ultérieurement sur les actes moteurs de l’organisme entier. Ce qu’il importe surtout de démontrer, c’est que la connaissance initiale n’est qu’une réponse de l’être au milieu, une adaptation de son organisme et non, comme veulent le faire croire les spiritualistes, une divination de l’état nouménal des choses. L’être agit comme un automate prodigieux sous la double action des phénomènes objectifs et des phénomènes organiques. Toute action, toute pensée, toute méditation est une réponse automatique aux variations du milieu et non pas un fait de conscience pure, devinant les secrets de la chose en soi. Il suffit de suivre une pensée pour saisir l’absence de conscience pure, pour s’apercevoir que ce n’est qu’un prodigieux mécanisme de réflexes se traduisant par du mouvement. L’homme reçoit, transforme et transmet du mouvement.

Prenons par exemple le spectacle d’une rue. J’ai conscience de tout ce que j’y vois et entends, mais cet état conscient total, je puis le diviser en un très grand nombre de faits sensoriels créés antérieurement par le mouvement et décomposable en dernière analyse, soit en mouvements musculaires, soit en modifications organiques diverses. Et ces états de conscience de sensations internes, je puis encore les dissocier jusqu’au simple réflexe automatique sans conscience.

Nous savons également, par l’observation des cas pathologiques, par l’étrangeté des sommeils et des rêves, par les oublis, par la perte graduelle de la conscience dans l’habitude ; enfin par la certitude que nous avons que tout notre savoir gît inconsciemment en nous et ne se révèle qu’au fur et à mesure de l’action

présente, que le « moi » indivisible n’existe pas et que cette impression d’unité vient précisément de ce que la conscience n’étant que le heurt de notre sensibilité avec le milieu dans le présent, nous ne pouvons vivre et être que dans une seule situation, un seul état à la fois. Nous sommes « un » dans l’espace, mais non dans le temps puisque nous changeons et vieillissons.

Pouvons-nous alors préciser ce qu’est la réalité, ce qu’est le présent, le passé, l’identique, le dissemblable ? Y a-t-il une vérité sur l’existence des choses ? Pouvons-nous démontrer des erreurs ?

En prenant comme base de la connaissance les réflexes, nous voyons qu’il s’établit nécessairement une relation entre l’être et le milieu, et cette relation, dans sa forme la plus simple, est une vérité. Mais les associations de réflexes ne sont pas toujours des vérités et les réflexes conditionnels peuvent orienter l’être vers des faits inexistants ou dangereux. C’est le cas pour le chien électrisé pendant ou avant le repas et qui, réagissant tout d’abord douloureusement sous l’influence du courant, finit par éprouver du plaisir, parce que l’excitation anormale est liée au repas. On pourrait aller ainsi jusqu’au suicide. Ce qui est d’ailleurs le cas pour les ivrognes, les morphinomanes, etc.

Nous pouvons considérer le patriotisme, le nationalisme, la religiosité et les mysticismes divers comme des réflexes conditionnels nuisibles et dangereux, conduisant à des faits inexistants ou désavantageux.

Ceci nous amène à rechercher ce qu’est la réalité et comment nous la différencions du souvenir et de l’imagination.

La réalité est essentiellement sensuelle, consciente et par conséquent uniquement applicable au présent. Le mécanisme cérébral qui la différencie du souvenir peut se comprendre ainsi : dans le présent l’être est soumis à une multitude de sensations, d’excitations créant des réflexes qui l’adaptent étroitement au monde extérieur et qu’il ne peut supprimer d’aucune façon (sauf dans le dérangement cérébral). Dans le souvenir il se présente deux cas : ou le souvenir est pur, simple, dégagé de toute relation (homme, maison, chaise, etc….) et par son abstraction même il se situe immédiatement comme un souvenir pur ; ou bien il est lié à un ensemble de réflexes complexes reproduisant des parties de la vie passée. En ce cas, les divers éléments le composant ne correspondent point aux éléments présents perçus par les sens. D’où différenciation immédiate aidée par l’inégalité d’intensité nerveuse entre le souvenir et le fait présent. Autrement dit, les faits présents sont plus intenses que les faits passés. Remarquons qu’en réalité il n’y a pas de passé, car le fait d’être ne se conçoit que d’une seule façon : au présent. Si donc il existe en nous quelque chose, ce quelque chose est toujours dans le présent. Seulement ce quelque chose est comme un livre fermé ne s’ouvrant que sous les nécessités vitales du présent.

Toute la connaissance humaine étant réduite à des associations hasardeuses de sensations et à des liaisons nerveuses dénommées pensées et imagination pouvons-nous accorder une valeur réelle à cette connaissance et que vaut-elle exactement !

Examinons le cas de la théorie atomistique. Ici, il semble, au premier abord, que la pensée a dépassé le cadre du subjectif pour pénétrer le secret de l’objectif. Pourtant il n’en est rien. Pour que les idées de mouvement, de masse, de rayonnement, d’ondes, de rotations, etc., aient un sens, il est nécessaire qu’un minimum de sensations fixent le point de départ des raisonnements ; sinon, la chose dont on s’occuperait aurait aussi peu de réalité que l’âme des spiritualistes. Et les raisonnements eux-mêmes ne représenteront que des possibilités d’actions de la substance, actions connues antérieurement par des expériences et constituant la base essentielle mais sensorielle de la science. Et lors-