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troupe de comédiens fut autorisée à élever un théâtre en 1595.

C’est au Théâtre de la Foire que, sous l’impulsion populaire, se manifesta le plus d’ingéniosité, d’invention et l’on peut dire de vrai talent comique. Jusque là les spectacles de la Foire avaient consisté en exercices d’acrobatie, exhibitions d’animaux sauvages ou savants, parades, etc… La farce, que les théâtres privilégiés voulurent faire interdire à la Foire, détermina ses comédiens à aborder tous les genres du théâtre. On leur dut la plupart des nouveautés qui firent la fortune des théâtres réguliers et plus d’un grand acteur, chanteur ou danseur débuta parmi eux avant d’entrer aux Français ou à l’Opéra. La première nouveauté du théâtre de la Foire fut celle des marionnettes de Brioché qui s’y installa en 1646. Le pauvre homme faillit être brûlé vif comme sorcier parce que ses acteurs mécaniques disaient trop de vérités sur les hommes et sur les choses. Datelin ajouta des danses au spectacle des marionnettes. En 1678, une pièce intitulée ; Les Forces de l’Amour et de la Magie réunissait tous les genres du théâtre de la Foire : acrobatie, pantomime, danse et dialogue. Les pièces dialoguées avaient pris du développement à la Foire. Les Comédiens Français, établis depuis 1680, les firent interdire. La Foire recourut alors au chant que lui permit l’Opéra. On fit le vaudeville à couplet, puis l’opéra-comique dont le premier vrai succès fut la Princesse de Carisme, de Lesage, jouée en 1718. Entre temps, la troupe italienne, où s’était illustré Scaramouche, avait été chassée de France, en 1697, pour avoir osé présenter Mme de Maintenon sous les traits de la fausse prude. Les comédiens de la Foire jouèrent alors la comédie italienne, mais il y eut de nouvelles interdictions des Français. La Foire tint bon et ce ne fut qu’en 1710 que le Parlement condamna définitivement son théâtre au profit des Comédiens français. Les pantomimes, les danses et surtout l’opéra-comique, dont il y eut deux théâtres, à partir de 1713, aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent, eurent un succès immense. Le public populaire lui était de plus en plus favorable et ses acteurs étaient de plus en plus brillants. En 1728, un opéra-comique, Achmet et Almexuzin, de Lesage, Fuzelier et Dorneval réunissait les danseurs Nivelon et Mlle Sallé. Après que l’ouvrage eut été joué pendant deux mois, sans interruption, les deux danseurs entrèrent à l’Opéra.

Lesage fut le plus fécond des auteurs du théâtre de la Foire, avec Fuzelier et Dorneval, puis Panard, Fagan, Boissy, Pirou et d’autres. Favart apporta en 1740 et 1741 sa Servante justifiée et sa Chercheuse d’esprit. Jusqu’en 1752, la musique de l’opéra-comique avait été faite d’airs connus adaptés à des couplets. Dauvergne, le premier, composa une musique originale pour ce genre d’ouvrage. Ce fut alors le véritable opéra-comique que Monnet installa dans un théâtre spécial où, dès 1754, fut jouée la Servante maîtresse, de Pergolèse. Privée de la comédie et de l’opéra-comique, la Foire en fut réduite aux marionnettes, à la danse acrobatique et à la pantomime. La troupe de Nicolet, qui réunissait en 1785 trente acteurs, vingt musiciens et soixante danseurs appelés les « sauteurs du roi », attirait la cour. Ce fut son dernier succès. Le théâtre de la Foire mourut en 1786 avec les deux foires Saint-Germain et Saint-Laurent. (Voir le Théâtre de la Foire, par E. d’Auriac).

Les spectacles de la Foire se continuèrent, avec des intermittences, dans de petits théâtres dit théâtres « à côté ». Ils mériteraient d’être suivis dans leurs différents avatars. Nous ne parlerons pas de la chanson qui, après une brillante carrière dans des « caveaux » plus ou moins littéraires a sombré de nos jours dans la scatologie patriotique. Mais d’autres mériteraient mieux que la simple mention que nous pouvons en faire ici, entre-autres les marionnettes qui ont une longue histoi-

re, depuis les statuettes, images des dieux de l’antiquité que les Chinois, bien avant les Grecs, firent mouvoir par des moyens mécaniques, en passant par les mariettes ou les mariolettes du moyen âge, les fantoccini, puppi et pupalzi du théâtre italien, les pantins du théâtre Guignol apportés par Mourguet, en France, en 1795, jusqu’à leurs adaptations actuelles dans le Guignol lyonnais, successeurs de celui de Mourguet, et dans les théâtres de marionnettes toujours en vogue dans différents pays.

Il faudrait aussi parler de la pantomime ressuscitée par Debureau, au théâtre Bertrand, après 1830, et dont les derniers interprètes ont été les mimes marseillais, Rouffe, Onofri, Séverin, Bernardi et d’autres, et aussi des différents auteurs qui écrivirent ses scénarios depuis Nodier, G. de Nerval, Th. Gautier jusqu’à Catulle Mendès.

Enfin, il faudrait encore parler du vaudeville à couplets qui ne cessa pas d’alimenter un répertoire où Désaugiers, en particulier, s’illustra en créant des types comme M. Vautour, immortel tant que la propriété existera pour la calamité des pauvres gens.

Sous les outrances de ses farces et de ses parodies, le théâtre de la Foire entretint la vérité dramatique. Celle-ci prit, avec la grande comédie, une éclatante revanche sur la pompeuse et conventionnelle tragédie. Molière l’imposa dans les plus authentiques chefs-d’œuvre du théâtre français. Avec Corneille (Le Menteurs), en même temps que Racine (Les Plaideurs), Molière fit une véritable création de la comédie de caractère et de mœurs. À l’encontre de la tragédie, elle ne cesserait pas d’être bien servie, et ses meilleurs auteurs, après Molière, seraient Dancourt, Regnard, Lesage, Marivaux, Sedaine, Beaumarchais. En Italie, elle remplacerait la comedia dell’arte et Goldoni serait son Molière. Ce rôle, dans 185 pays scandinaves, serait échu au danois Holberg qui serait le père du théâtre et de la langue dramatique de ces pays.

Molière, après avoir parcouru la France pendant plus de dix ans avec sa troupe de l’Illustre théâtre, jouant les œuvres qu’il avait données à la farce, s’établit en 1658 à Paris. Sa troupe prit le titre de Comédiens lie Monsieur. Sept ans après sa mort, en 1680, cette troupe réunie à celles de l’Hôtel de Bourgogne et du Marais devint celle des Comédiens Français. Ce fut l’origine du théâtre de la Comédie Française.

Les études et les critiques du théâtre classique abondent. Le monde académique, qui affecte de ne connaître que ce théâtre-là, a copieusement écrit à son sujet, et ses ouvrages sont assez connus et répandus, pour qu’il soit inutile de les citer ici.


Le théâtre pendant la Révolution et l’Empire. — Même dans ses œuvres les plus détachées de toute intention politique, le théâtre, durant la Révolution française, fut une véritable tribune des partis. On trouva, dans les œuvres classiques comme dans toutes celles de circonstance où les événements étaient mis à la scène suivant l’esprit de chacun, des allusions propres à justifier des manifestations. C’est ce qu’on voit aujourd’hui quand les amateurs de dictature prennent prétexte de certaines tirades mises au compte de Shakespeare par son traducteur, pour manifester aux représentations de Coriolan. De la même façon, la Comédie Française, en représentation en Italie, a dernièrement fait sa cour à M. Mussolini en coupant, dans Britannicus, des vers où le personnage aurait pu voir une flétrissure de sa sinistre dictature !… Le plaisant ou l’odieux, qui se produisit souvent pendant la Révolution, fut lorsque l’auteur, étant compris à l’envers de ses intentions, se trouva mis malgré lui au service d’une cause qui n’était pas la sienne ! Inutile de dire que Corneille fut le grand excitateur de l’héroïsme révolutionnaire. Son « Qu’il mourut ! » d’Horace, souleva alors une exalta-