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mes. — Collection Jannet ; Ancien théâtre français, 10 volumes. — G. Paris et Robert : Miracles de Notre Dame, 7 volumes. — Collection des Anciens textes français : Le mistère du Viel Testament, 6 volumes. — P. de Julleville : Les Mystères, 2 volumes ; La Comédie et les mœurs en France au moyen âge ; Les Comédiens en France au moyen âge ; Répertoire du théâtre comique en France au moyen âge. — J. Mortensen : Le Théâtre français au moyen âge.


La Renaissance et la tragédie classique. — La Renaissance fut, au théâtre plus que dans les autres arts, le retour à l’antique. Elle n’inventa rien de nouveau, sauf l’individualisme et l’aristocratisme de l’esprit dans les formes conventionnelles le réservant à une élite, ou soi-disant telle. On commença par faire des tragédies et des comédies à l’imitation de Sophocle et de Sénèque, de Térence et de l’Arioste, imitateur lui-même de Plaute et de Térence. Le théâtre fut réservé aux comédiens de profession dont le répertoire se modifia et perdit le caractère populaire.

Le classicisme commençait. Il adaptait conventionnellement le théâtre antique à un monde qui n’en avait aucun sentiment. Un Racine, qui composa les plus parfaits modèles de la tragédie moderne, connut très bien le drame antique. Il s’inspira particulièrement de Sophocle et d’Euripide, mais pour les adapter au goût français et, plus fâcheusement, à celui de la cour qui était l’antipode du goût populaire et encore plus de ce qu’avait pu être celui du public athénien. La tragédie fut enguirlandée des roses de la grâce et de faveurs sentimentales. Après Racine, le XVIIIe siècle, qui aggrava encore la fausseté de la tragédie, ignora le théâtre grec ou ne le connut que par la traduction du jésuite Brunoy d’une incompréhension ahurissante. On comprend que ce siècle préféra Crébillon à l’Eschyle de Brunoy, mais il faut aussi constater que Brunoy ne cherchait qu’à satisfaire le mauvais goût de son temps tourné vers le style « rococo ». Il fallut attendre le Cours de littérature dramatique, de Guillaume de Schlegel, pour commencer à connaître, vers 1809, le théâtre antique autrement que par les mélasses de traducteurs effarouchés qui diraient encore, en plein XIXe siècle : « Notre plume s’est dérobée sous nos doigts (sic) devant l’obligation de transcrire des scènes plus que lascives, des tableaux hideux d’immoralité, enfin des idées, des expressions d’une crudité et d’un cynisme tels que jamais peut-être, grâces au Ciel ! pareilles souillures n’ont été articulées en français, pas même dans la langue de Rabelais, etc… » (André Feuillemorte : Comédies d’Aristophane). On sait comment — grâces au Ciel… et à Tartufe ! — la lascivité et l’immoralité ont disparu, avec la crudité du langage. Avant M. Feuillemorte, on avait eu Delille, Mme Dacier, Naudet, dont les périphrases, « bandeaux sur l’œil, cataplasmes, feuilles de vigne et caleçons de bain », a dit Tailhade, corrigèrent la truculente nudité et la salacité pittoresque des personnages d’Aristophane, de Plaute, de Pétrone et autres satiriques. « On dirait qu’ils ont lavé leurs estomacs d’ivrognes dans le thé suisse de Nisard et fait leurs ongles dans le tub académique de M. Paul Deschanel. » (L. Tailhard).

La tragédie naquit en Italie, au commencement du XVIe siècle, avec la Sophonisbe de Trissin. En France, Du Bellay traduisit Electre et Hécube. Jodelle fit jouer, en 1552, sa Cléopâtre, première tragédie française. En fait, la tragédie ne fut que la tragi-comédie, genre transitoire, jusqu’au jour où Corneille lui donna sa forme définitive et fit triompher le genre « noble ». Avant Malherbe, Jodelle avait entrepris de démolir le moyen âge et prétendu donner à la France la première comédie digne de ce nom. Il voulait renouveler la poésie dramatique contre les vieux poètes traités déjà d’ « épiciers » par Du Bellay et, précurseur des « hon-

nêtes gens » de la Ligue, soulever l’Église contre leur rude franchise. Mais Jodelle avait plus de présomption que de talent et le théâtre comique, tout au moins, continuerait dans sa voie et découvrirait les seins de Dorine malgré le mouchoir de Tartufe. La Cléopâtre de Jodelle, et sa comédie Eugène, n’eurent de succès qu’auprès des « précieux », les snobs de l’époque.

La tragi-comédie française s’inspira surtout de l’espagnole sortie de la déformation plus ou moins satirique, à la façon de Cervantès, de la littérature chevaleresque. Le genre naquit à la belle époque de la comédie espagnole, inaugurée par la Célestine de Rojas (1499), et illustrée par Encina, Lucas Fernandez, Gil Vicente, Naharro, Lope de Rueda, puis Lope de Vega, Guillen de Castro, Tirso de Molina, Alarcon, Guevara, Moreto, etc., jusqu’à Calderon, le plus grand de tous. Calderon prolongea le drame religieux dans le théâtre espagnol. Il apporta à ce théâtre son plus bel éclat avant l’envahissement du gongorisme et des équivoques douceurs mystiques des Rosaires. La tragi-comédie mêla le comique au sérieux, le romanesque au dramatique, la satire à l’épopée. Elle fut picaresque, parodique et elle créa le burlesque. Ses auteurs furent, en France, Jodelle, Garnier, Hardy, Ryer, Mairet, Rotrou, Boisrobert, Desmarets, Scudéry, Scarron, Cyrano de Bergerac, etc… Corneille lui donna son chef-d’œuvre : Nicomède. Racine, faisant l’éloge de Corneille, ne prisait guère ses prédécesseurs et rivaux qui prétendaient pourtant purifier le théâtre, et il disait : « Quel désordre, quelle irrégularité !… Toutes les règles de l’art, celles mêmes de l’honnêteté et de la bienséance partout violées… ». C’est ainsi que :

« Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure. »

Fontenelle dirait de Racine lui-même : « Les caractères de Racine ont quelque chose de bas il force d’être naturels. » La tragédie l’emporta sur la tragi-comédie et la fit bannir du théâtre classique. Elle ne reparaîtrait que lorsque le drame romantique l’emporterait à son tour sur la tragédie.

Les premières tragédies, celles des Jodelle, Grévin, les frères de la Taille, Garnier, Montchrestien, ne sortirent guère du milieu des écoles où elles étaient jouées. Au commencement du XVIIe siècle, le comédien Hardy, auteur fécond de plus de huit cent pièces, tira le genre du pédantisme scolaire et le fit plus vivant, plus scénique. Schalandre, Théophile de Viau, Racan, Mairet, Rotrou et d’autres le suivirent dans cette voie, mais ce fut Corneille qui donna à la tragédie française ses règles définitives et ses premiers chefs-d’œuvre, Le Cid, en 1636, suivi d’Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée, Rodogune, Héraclius, Œdipe commença le déclin du génie cornélien. Suréna fut la dernière œuvre de Corneille, en 1674. Le genre ne pouvait se soutenir que par des chefs-d’œuvre, son « sublime » ne pouvait s’accommoder de productions médiocres. Seul Racine, après Corneille, l’éleva à sa hauteur passionnelle et plastique. Après eux, Voltaire fut un auteur honorable, mais son génie n’était pas tragique. Il apporta à la tragédie quelques nouveautés par le choix des sujets pris en dehors de l’antique, la pensée philosophique et l’influence de Shakespeare, bien que cet écrivain fût à ses yeux un « barbare ». Contemporains ou successeurs de ces trois auteurs, Scudéry, Thomas Corneille, Pradon, Campistron, Lagrange-Chaucel, Crébillon, La Motte, Marmontel, La Harpe, Chénier, Lemercier, Delavigne, Ponsard et vingt autres firent de la tragédie un genre de plus en plus momifié dans la tradition classique et qui ne se soutint plus que dans le livret d’opéra.

La tragédie fut un genre essentiellement français, particulier à une époque française comme l’éloquence de Bossuet et les jardins de Le Nôtre. Elle fut à l’image de cette société qui réalisa le plus totalement le plan monarchique où la vie de tous les peuples comme l’his-