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castes. La mythologie brahmanique, inspirée du naturisme, lui a donné sa poésie. Dans les deux théâtres chinois et indou, existe le mélange de tragique et de comique de la tétralogie grecque. Celle-ci semble avoir reçu d’eux ses traditions.

Nous nous bornerons ici à voir le théâtre dans son origine grecque et à suivre son développement jusqu’à nos jours. Son origine a été dans les fêtes en l’honneur des dieux, de Cérès et de Bacchus (Dionysos) en particulier, célébrées en pleine nature, dans le creux d’un vallon formant un hémicycle que la foule occupait. Devant était l’autel où le prêtre officiait. Des danses, des chœurs, des cortèges, une action dramatique représentée par des acteurs, s’étant ajoutés à la cérémonie religieuse, il fallut leur faire une plus grande place. On établit la scène (lieu de l’action). Des gradins en maçonnerie ou des échafaudages furent disposés pour faire asseoir les spectateurs ; ce fut la salle. Un cercle réservé aux chœurs, sur le devant de la scène, fut l’orchestre. Dans le théâtre moderne, les chœurs sont montés sur la scène et l’orchestre est en contrebas, sur toute une ligne séparant la scène de la salle et où se tiennent les instrumentistes. Ces dispositions générales : scène, orchestre et salle en demi-cercle, n’ont pas changé malgré les modifications et perfectionnements apportés au théâtre. On construisit des théâtres en pierre. Le plus anciennement connu jusqu’ici était le théâtre de Dionysos construit à Athènes au temps d’Eschyle, cinq cents ans avant J.-C. On aurait découvert récemment, à Phaistos, en Crète, les ruines d’un théâtre plus ancien qui remonterait à 2.000 ans avant J.-C. ! Le plus complet des théâtres antiques est celui, gréco-romain, d’Herculanum, du premier siècle de l’ère chrétienne. A la scène (proscenium) et à la salle s’ajoutaient des dépendances importantes : loges et vestiaires des artistes, magasins d’accessoires et de décors. Le théâtre étant découvert, un portique servait de refuge pour les spectateurs en cas de pluie. Des tentes (velarium) soutenues par des mâts protégeaient du soleil. A l’époque romaine, bien que le théâtre fut de plus en plus abandonné pour l’amphithéâtre et le cirque (voir Spectacle), certains théâtres furent d’une magnificence inouïe, comme celui de Scaurus (58 ans avant J.-C.), avec ses ornements de marbre, de cristal et d’or, ses 360 colonnes et ses 3.000 statues de bronze. Ce qui reste du théâtre antique d’Orange, avec son « mur » de cent mètres de longueur et trente-huit mètres de hauteur, ses gradins qui pouvaient contenir 50.000 spectateurs, donne une idée des proportions et de la masse architecturale des théâtres antiques.

Nous ne pouvons nous faire qu’une très faible idée de ce que fut le drame antique, en Grèce, par les rares œuvres qui en restent, et celles-ci nous sont elles-mêmes mal connues par les traductions et les adaptations qui les ont défigurées de toutes les façons. Comment les Œdipe, les Oreste, les Hippolyte, les Clytemnestre, les Iphigénie, les Phèdre, même « arrangés » par Corneille, Racine, Voltaire, et trahis encore plus par de moins illustres, tripatouilleurs indignes à la mode de Versailles, comment auraient-ils pu susciter les formidables émotions qui soulevaient le peuple d’Athènes ? Les femmes et les enfants n’assistaient pas aux spectacles de comédie à cause de leur indécence de langage, mais ils allaient à ceux de tragédie ; or, a-t-on raconté, ceux-ci effrayaient parfois les spectateurs au point que des femmes s’évanouissaient ou avortaient et des enfants mouraient dans des convulsions !

L’origine classique du premier art dramatique grec est dans les fêtes de Dionysos, célébrées par des chants et des danses. Des chœurs se disputaient le prix du chant et leurs compositions étaient appelées dithyrambes : L’icarien Thespis (VIe siècle avant J.-C.) s’étant distingué dans ces concours, devint une sorte d’organisateur des fêtes, ou plutôt des débauches dionysia-

ques. Il parcourait les campagnes dans un charriot, avec des compagnons chantant et dansant ensemble, mais surtout s’enivrant et adressant des injures à la foule. Du dithyrambe et du sacrifice d’un bouc qui accompagnaient la fête, sortit la tragédie ou « chant du bouc ». Des vociférations de la troupe de Thespis naquit la première forme de la comédie, la satire, appelée ainsi du costume des satyres que cette troupe revêtait. D’après certains, le chariot de Thespis aurait été celui de Susarion, véritable créateur de la comédie à la même époque. Successivement des poètes : Phrynicus le tragique, Chœrilus, Pratinas, développèrent les deux genres. Ils donnèrent plus d’ampleur et de solennité au dithyrambe bacchique en lui adjoignant des chants funèbres à la mémoire des chefs et des rois, tels ceux d’Epigène de Sicyone en l’honneur d’Adraste, un des sept chefs de la guerre contre Thèbes. D’après Suidas, Thespis fut le seizième poète dramatique après Epigène. Les légendes homériques avaient, de leur côté, apporté leur fonds inépuisable de splendeur épique à la tragédie. Eschyle disait que ses œuvres étaient « les reliefs des festins d’Homère ». Il composa une centaine de pièces, il n’en est resté que Prométhée, les Perses, les Sept contre Thèbes, la trilogie de l’Orestie, et les Suppliantes.

Eschyle commença la grande époque du théâtre grec, celle du IVe siècle avant J.-C. Avec lui, ce théâtre prit toute sa puissance dans la dramatisation philosophique et poétique des mythes et des légendes de la vie hellénique. Les éléments se déchaînèrent dans la tragédie ; il y apporta toute la force et toute la poésie de la nature. Il fut le Titan de la tragédie comme Shakespeare serait celui du drame moderne, comme Michel Ange celui de la sculpture et Wagner celui de la musique. Ses rivaux et successeurs, Sophocle et Euripide, furent plus artistes ; ils n’eurent pas sa puissance. Le chœur, qui tenait souvent la première place dans Eschyle par sa véhémence et son énergie, y était la véritable voix populaire. Il commença à perdre de son importance dans Sophocle et ne fut plus, dans Euripide, qu’une figuration bavarde n’ayant plus aucune influence sur l’action dramatique. Le dithyrambe perdit sa puissance populaire pour gagner en forme poétique particulière aux auteurs. Sophocle fut plus psychologue qu’Eschyle, plus attentif à l’être humain. Avec Euripide, le farouche Destin exprimé par la vigueur rustique du dithyrambe s’humanisa encore plus pour faire place à la passion. Les héros épiques descendirent de leurs nuages et se substituèrent au chœur pour dialoguer dans une rhétorique plus subtile. Schlegel a dit d’Euripide : « Parmi une foule de qualités aimables et brillantes, on ne trouve en lui ni cette profondeur sérieuse d’une âme élevée, ni cette sagesse harmonieuse que nous admirons dans Eschyle et dans Sophocle. Il cherche toujours à plaire sans être difficile sur les moyens ». Aristophane, grand admirateur d’Eschyle, railla souvent Euripide « habile artisan de paroles et éplucheur de vers, qui rongera le frein de l’envie, disséquera les phrases d’Eschyle et les mettra en pièces. »

Dès Pisistrate, chef d’une aristocratie dont la culture artistique s’élevait, de plus en plus, on était revenu des préventions de Solon contre le théâtre. On arriva ainsi au « siècle de Périclès » qui vit Eschyle, Sophocle, Euripide. Ils laissèrent au monde des œuvres d’une beauté éternelle. On ne peut juger exactement de leurs successeurs ; leurs ouvrages sont perdus. Il ne reste que leurs noms, et des appréciations contemporaines comme celles d’Aristote sur Chérémon.

Pendant que la tragédie portait à la scène la vie épique de la Grèce, la comédie dépeignait ses mœurs. Elle sortit de la satire mais ne s’éleva véritablement au-dessus d’elle qu’à partir d’Aristophane, de Phrynicus et d’Epigène les comiques durant le « siècle de