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autres réponses. De tels tests permettaient de juger le conformisme et non l’intelligence.

La France n’a point commis de tels excès ; l’application des tests dans l’enseignement y a été timide ; de rares novateurs seuls les ont employés. Il n’en a pas été tout à fait de même en ce qui concerne la sélection et l’orientation professionnelles. Il existe même un Institut National d’Orientation Professionnelle qui a des professeurs d’une réelle valeur et publie un bulletin mensuel depuis 1929. Ceci s’explique sans peine si l’on songe que les intérêts des employeurs capitalistes sont plus directement en jeu. Il est certain que l’orientation professionnelle, et, partant, l’emploi des tests, a permis, dans de nombreux cas, d’augmenter le rendement et de diminuer le nombre des accidents.

Comme toujours, la société capitaliste n’utilise les travaux des savants que dans l’intérêt des capitalistes. — E. Delaunay.


THAUMATURGE (du grec thauma, merveille ; ergon, œuvre). On appelle thaumaturge l’individu qui opère des miracles et thaumaturgie l’art d’accomplir ces derniers. L’attrait du merveilleux, le désir d’entrer en rapport avec la divinité, de participer à sa science et à son pouvoir, telles sont les raisons d’être de ce goût pour les prodiges que l’on trouve à l’aurore des temps historiques et qui, de nos jours encore, assure la fortune de nombreux faiseurs de miracles et même de véritables officines qui vendent grâces et secours célestes, comme d’autres débitent de la choucroute ou du boudin. Chez les primitifs, sorciers ou prêtres monopolisèrent à leur profit la puissance surnaturelle ; c’est par leur intermédiaire que se manifestaient les esprits bons ou mauvais ; leurs incantations et leurs prières savaient rendre favorables ou hostiles les entités de l’au-delà. Les sauvages d’Océanie, les noirs d’Afrique, les indiens d’Amérique continuent de croire à la vertu miraculeuse des opérations magiques faites par leurs sorciers. D’officiels ministres des cultes parlèrent et agirent au nom des dieux chez les peuples civilisés ; art et poésie contribuèrent à la beauté des rites ; mais le résultat final resta sensiblement le même. En Grèce, Zeus, Héraclès, Aphrodite, etc., se manifestèrent souvent aux hommes, s’il faut en croire la mythologie, A Delphes, la Pythie annonçait l’avenir que lui révélait Apollon, Hector apparut maintes fois aux habitants de la Troade et Achille se montra à de nombreux matelots du Pont-Euxin. Comment les simples n’auraient-ils pas aperçu les dieux, quand un sage, tel que Socrate, avait à son service un démon familier ? La Grèce eut même un centre de thérapeutique céleste, où les guérisons miraculeuses étaient aussi remarquables qu’à Lourdes : nous voulons parler du temple d’Esculape à Epidaure. Après un jeûne rigoureux, un bain préalable et le sacrifice rituel d’un porc et d’une chèvre, le malade passait une ou plusieurs nuits sous le portique du temple. Puis les portes du sanctuaire s’ouvraient d’elles-mêmes devant lui et la statue du dieu apparaissait brillante, au milieu d’un décor d’une féérique splendeur. On le conduisait, la nuit venue, dans un dortoir obscur et, pendant son sommeil, il recevait en songe des conseils concernant sa santé. Les guérisons immédiates et soudaines étaient fréquentes ; dans d’autres cas, Esculape se bornait à prescrire un traitement hygiénique ou des remèdes appropriés. La multitude des ex-voto découverts à Epidaure, les éloges donnés à ce centre thérapeutique par tous les auteurs anciens témoignent de la prodigieuse vogue dont il a joui durant de nombreux siècles. Beaucoup d’autres temples, à Rome et dans diverses villes furent aussi le théâtre de guérisons miraculeuses et jouirent d’une grande renommée. En somme, Esculape, Apollon, Proserpine, Isis, etc., jouèrent, chez les anciens, le rôle dévolu, chez nous, à la Vierge de Lourdes, au Sacré-Cœur et à la foule des saints thaumaturges qui

peuplent le panthéon chrétien. Après avoir exaucé les prières des païens durant de longs siècles, dieu est venu au secours des catholiques, leurs mortels adversaires. Tant il est vrai que le miracle a sa source dans l’homme seulement, non dans une force qui lui serait extérieure.

Parmi les premiers chrétiens, thaumaturges et voyants furent particulièrement nombreux. Il est vrai qu’on élevait au rang de miracles des faits simplement burlesques comme la glossolalie, ou des manifestations d’un caractère pathologique très accentué, ainsi les crises, de nature épileptique probablement, auxquelles était sujet saint Paul. Si grandes étaient l’ignorance et la crédulité des fidèles, qu’ils voyaient partout la main du Très-Haut. De l’avis des historiens catholiques eux-mêmes, les premières communautés chrétiennes servirent d’asile à une multitude de détraqués, de frénétiques, d’hallucinés. La lecture des Évangiles acceptés par l’Église et celle des Evangiles qu’elle déclare apocryphes, mais qui datent, en réalité, de la même époque et possèdent une valeur équivalente, nous renseigne sur la soif du merveilleux qui tourmentait les âmes, durant les premiers, siècles de notre ère. Et le diable rivalisait avec le bon dieu, témoin les miracles de Simon le Magicien, d’Apollonius de Tyane, de Jamblique et de beaucoup d’autres thaumaturges qui relevèrent pour quelque temps le prestige du paganisme alors agonisant.

Favorisés par l’incommensurable naïveté des fidèles et par la disparition complète de tout esprit critique, les faiseurs de prodiges pullulèrent au moyen âge. Le culte des reliques prit des proportions invraisemblables ; certaines églises se vantèrent de posséder le prépuce enlevé à Jésus le jour de la circoncision ou du lait de la Vierge Marie ou le membre viril d’un bienheureux en renom. On canonisa des individus d’une moralité douteuse, parfois de vrais criminels ; on honora des saints qui n’avaient jamais existé. Des personnages excentriques, comme saint Bernard et saint François d’Assise, acquirent de leur vivant une réputation de thaumaturges que des légendes posthumes grossirent démesurément. Nombre de saints se spécialisèrent dans la fabrication de tel ou tel genre de miracles : saint Cloud guérissait les furoncles, saint Ouen la surdité, saint Fiacre les hémorroïdes. Parce qu’ils étaient nantis d’un pouvoir surhumain, les rois de France pouvaient guérir le goitre et les écrouelles par simple attouchement. Certains malades avalaient la poussière recueillie sur le tombeau du saint qu’ils invoquaient, ou la mèche des cierges qui brûlaient en son honneur. Quotidiennement, de pieuses personnes recevaient la visite des habitants des cieux ; des saints qui n’existèrent que dans l’imagination des hagiographes n’hésitaient pas, eux aussi, à se montrer. C’est ainsi que Jeanne d’Arc vit fréquemment sainte Catherine qui, de l’avis du pieux Jean de Lannoy, de Mgr Duchesne et de tous les historiens catholiques sérieux, n’a jamais vécu ni à Alexandrie, ni ailleurs. Des légions de diables s’abattaient également sur notre malheureuse planète ; des milliers de sorcières et de magiciens se rendaient chaque semaine au sabbat pour rencontrer messire Satan. Beaucoup payèrent de leur vie ce commerce avec les puissances infernales, car les moines inquisiteurs estimaient qu’un crime si atroce appelait impérieusement les flammes purificatrices du bûcher.

Comme les catholiques orthodoxes, les hérétiques eurent aussi leurs thaumaturges. Ils ne manquèrent point parmi les albigeois et les sectes mystiques écloses au moyen âge. Confirmation éclatante, disaient leurs chefs, de l’excellence de leur doctrine et du caractère diabolique des persécutions dirigées contre eux par le clergé catholique. Plus tard, le don des miracles sera départi avec prodigalité aux camisards des Cévennes, odieusement persécutés par l’autorité royale. Mais le