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périaux et en Gibelins papistes. A partir du XVe siècle, les invasions espagnoles et françaises précipitèrent la décadence de ce pays. En Espagne, le pays vidé des éléments étrangers actifs et productifs devint la terre de la fainéantise opulente des « hidalgos » et de celle crasseuse des moines et des « mendigos ». En France, au XIVe siècle, la guerre appelée de Cent Ans amena le déclin. La guerre anglaise durait depuis déjà deux siècles avec des intermittences, sans que la prospérité communale en fût atteinte. Mais à partir de 1337, elle se fit plus désastreuse. Elle continua jusqu’en 1453, et les trêves qui se produisirent n’en furent pas pour le peuple livré à toutes les exactions de la soldatesque tant française qu’anglaise. Les grandes compagnies, formées de pillards, parcouraient le pays, rançonnant, tuant et incendiant. Les villages et les bourgs en souffrirent particulièrement. Le paysan devint de plus en plus incapable de se défendre. La ruine était dans les campagnes. Les famines se reproduisirent. Celle de 1418 fit périr, rien qu’à Paris, plus de 100.000 personnes. Les loups vinrent dévorer jusqu’en pleine ville les cadavres qu’on n’enterrait plus. Les cités étaient livrées à la guerre civile et à tous les abus des factions qui y dominaient tour à tour.

Au milieu de tant de calamités, le peuple aspirait au repos et à l’ordre. Il crut les trouver en se tournant vers la royauté dont l’unité de gouvernement lui semblait devoir amener la paix. Il ne fit que choisir parmi les loups féodaux celui qui aurait les plus longues dents et lui apporterait l’unification de la servitude. Contre le libre fédéralisme producteur de richesse et de bien-être pour tous, la royauté établirait la puissance de l’État, pieuvre de plus en plus monstrueuse et avide dont les tentacules s’étendraient pour tout broyer, tout dissoudre dans son uniformisation, même après que la royauté serait renversée. Elle rendrait invincibles « le coffre, la caisse et le comptoir où s’assoierait l’éternel croupion qu’on appelle Bureaucratie » (Michelet), et qui l’écraserait elle-même pour dire ensuite : « Le Roi, c’est moi ! »

Ces rois, « qui en mille ans ont fait la France », comme disent les bourreurs de crânes royalistes, n’étaient encore, à la fin de la guerre de Cent Ans, que les seigneurs du duché de France à côté d’autres plus puissants et n’occupaient que « la place qu’on voulait bien leur laisser » (Larousse). Jusque là, même dans leur duché, ces seigneurs avaient dû partager le pouvoir avec des évêques qui étaient ducs et comtes comme eux. Pendant tout le moyen âge leur souveraineté avait été à la merci des guerres féodales. Ces guerres n’avaient eu d’ailleurs pas d’autres causes que des rivalités particulières, des querelles de familles auxquelles toutes questions nationales et françaises, au sens où l’on entend aujourd’hui ces mots, étaient complètement étrangères. C’est ainsi que l’origine de la guerre de Cent Ans fut, bien avant 1337, dans les compétitions nées du divorce de Louis VII de France dont la femme, Éléonore d’Aquitaine, se remaria, en 1157 avec le duc d’Anjou, Henri Plantagenet, devenu peu après roi d’Angleterre, et qui voulut, ainsi que ses successeurs, être roi de France. Voilà à quoi tinrent trois cents ans de guerres qui aboutirent à l’établissement de la monarchie absolue et à la fin de la grandeur communale. Dans ces guerres, les Anglais eurent pour alliés la plupart des féodaux de France et, plusieurs fois, les ducs de France furent battus, mis en fuite ou faits prisonniers et menacés de perdre leur domaine. Les Bourguignons furent les arbitres de la situation dans la dernière période et, avec leur aide, les Anglais furent chassés de France. Mais ce résultat fut dû surtout à l’esprit national qui se manifesta dans le peuple et dont Jeanne d’Arc fut la personnification. Sans cet esprit qui produisit une levée des masses populaires contre la barbarie féodale de plus en plus périmée, la

France serait très probablement devenue anglaise et les ducs de France, s’ils n’avaient pas disparu, auraient été des vassaux du roi d’Angleterre.

C’est l’esprit national, soulevé dans le peuple contre les abus féodaux que les ducs de France n’étaient pas les derniers à commettre, qui a fait « l’unité française » et non, comme on le raconte encore trop complaisamment, une royauté inspirée de Dieu qui lui communiquait les lumières de son Saint-Esprit par la cérémonie du sacre, effectuée depuis Clovis avec l’huile de la sainte ampoule apportée du ciel par un ange !… C’est avec de pareilles sornettes qu’on a imposé aux foules la crainte et le respect d’un pouvoir monarchique qui n’eut jamais d’autre souci, dans la sainteté de sa mission, que d’exploiter leur ignorance et leur stupidité. L’unité française n’a même pas été le produit d’un état de conscience du peuple ; elle a été uniquement formée au développement de ce phénomène de biologie sociale qui fait les groupements naturels d’affinités et les étend peu à peu de la tribu à la province et à la nation. Elle n’a nullement été la création, suivant un plan supérieurement conçu et admirablement conduit qu’on veut attribuer au pouvoir royal, alors que ce pouvoir ne pouvait, par son principe féodal, que lui être hostile et ne cesserait pas de l’être. Mais on a confondu machiavéliquement l’unité française avec l’unité monarchique. Celle-ci a montré ce qu’elle était, anti-française lorsque c’était son intérêt, notamment pendant et après la Révolution, en entretenant la guerre civile dans le pays avec le concours de l’étranger et en reconstituant la royauté grâce à l’invasion de 1815 et contre les vœux de la nation.

Le phénomène biologique qui a produit l’unité française et s’est développé uniquement dans les masses populaires, avait commencé par la séparation, la clarification, si l’on peut dire, ethnique et linguistique des éléments gallo-francs et germaniques arbitrairement réunis dans l’empire de Charlemagne. Cette séparation se fit en 843, par le traité de Verdun qui partagea l’empire. L’opposition féodale fut alors constituée contre l’unité française par les seigneurs de Lorraine, d’Alsace, de Bourgogne, de Provence qui, pendant longtemps, ne voulurent reconnaître d’autre suzerain que l’empereur d’Allemagne. Le mouvement des communes fut l’aspect le plus caractéristique de l’évolution biologique en incessante réalisation. C’est lui, en réalité, qui produisit la royauté, lorsque les communes cherchèrent l’appui dont elles avaient besoin pour assurer leur sécurité et la continuité de leur développement. C’est lui qui fut trahi par la royauté quand elle se fut agrégé la bourgeoisie contre le peuple. Au commencement du XIIe siècle, un Louis VI dit le Gros sut s’allier les communes dans sa longue lutte contre ses adversaires féodaux. Les ducs de France qui commencèrent à faire figure de rois dans l’histoire, les Philippe Auguste, Louis IX, Philippe le Bel, ne tirèrent l’illustration de ce qu’on a appelé leurs « règnes » que de la même alliance, à la belle époque de prospérité et de liberté communales des XII12 siècle et XIIIe siècle. La victoire de Philippe Auguste à Bouvines, en 1214, victoire qu’il ne dut qu’au concours des milices communales et dont on a dit, pour exalter la royauté, qu’elle a fait l’unité française, n’a pas empêché que cette unité s’est trouvée aussi inexistante après qu’avant et, jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, c’est-à-dire deux siècles et demi après. Le rédacteur du Nouveau Larousse Illustré, a cru rendre hommage à Louis IX, dit Saint-Louis, en écrivant qu’il « égala en majesté les empereurs de Rome, en sainteté le pape, les évêques et les ascètes. » Ce sont là trop d’honneur et, surtout, trop d’indignité pour un roi, pauvre cagot fanatisé et exploité par l’Église. Philippe le Bel aurait certainement succombé dans sa lutte contre la papauté s’il n’avait eu l’appui de la bourgeoisie. Il fit appel pour la guerre aux milices