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pas loin du temps où les grands financiers tiendraient sous leur coupe non seulement les petits féodaux, mais aussi les papes et les rois.

L’Italie était, au XIIIe siècle, maîtresse du grand commerce. En 1292, elle avait seize établissements à Paris. Pendant deux cents ans, les Lombards domineraient le marché international. Florence comptait quatre-vingts grandes banques. Les banquiers italiens, les Ricciardi, Bardi, Perrazzi, Scali, étaient créanciers des papes. Des sociétés commerciales s’étaient fondées aussi dans le Nord de la France, la Flandre, la Rhénanie, l’Angleterre. Des ghildes et hanses s’étaient créées. Elles prospéraient par la multiplication des moyens de communication : routes, ponts, navigation fluviale avec ses ports, messageries, etc… La poste fonctionna en Italie dès le XIIe siècle, et au XIII- siècle en Allemagne.

Les banquiers détinrent bientôt tous les pouvoirs du monde, payant toutes les complicités, achetant toutes les protections. Un Philippe le Bel pouvait faire gifler et emprisonner un pape, mais il devait s’entendre avec les banquiers pour falsifier les monnaies. En 1340, un roi d’Angleterre leur devait 60 millions ; sa faillite dépendait de leur bon plaisir. Un Jacques-Cœur serait le grand argentier de Charles VII et lui permettrait de raffermir sa royauté qu’il serait incapable de défendre par lui-même contre la coalition féodale. Au XVIe siècle, la banque allemande supplanterait la banque italienne. Les Fugger d’Augsbourg feraient l’élection de Charles-Quint et seraient les receveurs du pape dans la friponnerie des indulgences. Ils mèneraient toute la politique du siècle. La défaite de François Ier, vaincu par la défection des banquiers italiens, ferait écrouler tous les grands espoirs apportés par la Renaissance et la Réforme. Ainsi s’imposa la nouvelle puissance de l’argent, intelligente, active, productrice de travail et de bien-être collectifs, véritable force démocratique tant qu’elle ne devint pas l’instrument de la plus détestable des féodalités. Mais elle ne tarda pas, pour le malheur des peuples, à donner naissance à ce patriarcat des bonhommes, des prudhommes, des honorés, des seigneurs de la ville, en attendant de se joindre aux nobles pour faire les honnêtes gens. Elle établit, à côté du parasitisme héréditaire des familles féodales, celui des familles bourgeoises dans les conseils des gouvernements, les charges municipales, la magistrature, etc… Elle érigea une caste aussi insolente et aussi tyrannique que la caste nobiliaire.

La navigation, abandonnée depuis les Romains, qui avaient renoncé aux explorations dans l’Atlantique et cessé les rapports entretenus avec l’Asie par l’Égypte antique, n’avait repris dans la Méditerranée qu’à partir du VIIIe siècle. Elle se développa à l’occasion des croisades. De grands navires furent construits. En 1292, Gênes, à elle seule, en avait deux cents, avec vingt cinq mille, marins, autant que tous les ports français réunis. Une législation maritime fut élaborée et l’on signa les premiers traités de commerce. La boussole, apportée par les Arabes, permit la navigation de haute mer aux « traverseurs des voies périlleuses » (Rabelais). Les marins méditerranéens se lancèrent dans l’Atlantique. Les Vénitiens allèrent jusqu’à Léchese, le port de Bruges. Venise, à qui les voyages de Marco Polo avaient fait retrouver les voies terrestres de l’Extrême Orient, fut la reine de la Méditerranée durant le moyen âge. L’affaiblissement de cette cité livrerait cette mer aux pirates barbaresques, pendant que les chrétiens iraient porter la piraterie dans les océans. Ils commencèrent par la côte africaine où les îles Madères, Açores, Canaries furent découvertes au XIVe siècle. Un siècle suffit pour qu’une « évangélisation bien conduite » fît disparaître totalement les indigènes Guanches des îles Canaries. Au XVe siècle, l’exploration de plus en plus avancée vers le sud faisait découvrir la route de l’Inde. En 1445, Diaz atteignait le Cap Vert. Un autre Diaz allait

jusqu’à Santa Elena puis, dépassant l’extrême pointe africaine, jusqu’à Algoa, en 1487. Vasco de Gama doublait le Cap de Bonne Espérance en 1497 et atteignait Zanzibar. Guidé par des pilotes arabes, il abordait ensuite sur la côte de Malabar où il rencontrait des marchands vénitiens venus par les terres et par la mer Arabique. On se lançait à travers l’Atlantique vers une nouvelle découverte des Indes Occidentales dont la route, trouvée cinq cents ans avant par les Normands, avait été perdue. Christophe Colomb atteignait les îles Bahamas en 1492. Pendant dix ans il parcourait les Antilles et les côtes de l’Amérique Centrale, préoccupé surtout de rapporter ces richesses qui feraient l’émerveillement de l’Espagne et exciteraient les convoitises de tant d’aventuriers. En 1497, les Gabotto, dits Cabot, suivant la voie des anciens chasseurs de baleine et pêcheurs de morue, découvraient dans le Nord la terre ferme de l’Amérique, puis Terre-Neuve, la Nouvelle Écosse, la Caroline du Nord. Les années suivantes, ils descendaient jusqu’aux Florides où étaient déjà les Espagnols. L’Amérique du Sud commençait à être visitée en 1499–1500, et les Portugais, établis au Brésil, se partageaient avec les Espagnols la possession des Amériques. Les découvertes d’Americo Vespuce, qui était un véritable explorateur et non un trafiquant, faisaient l’objet de communications écrites traduites dans toutes les langues d’Europe. En 1513, Nunez de Balboa allait jusqu’au Pacifique à travers les terres de Panama. On commençait alors l’exploration des côtes occidentales américaines, au nord, vers le Mexique, au sud vers le Pérou. Sébastien Cabot cherchait au nord du Labrador, la route de l’Asie. Enfin, en 1519, une flottille conduite par Magellan partait d’Espagne pour l’Atlantique sud ; elle passait dans le Pacifique et atteignait les îles Philippines. Magellan périt dans ce voyage. Son aventure et celle de ses compagnons, dont 13 seulement sur 235 revinrent au bout de trois ans, fut une extraordinaire odyssée que Pigafetta raconta en français.

Le développement du commerce rendait indispensable celui de l’industrie. Il fallait surtout des métaux. Dès le XIe siècle des sociétés minières furent fondées. L’industrie métallurgique, quoiqu’encore primitive et réduite au travail à la main, accrut considérablement sa production. Les petites forges s’établirent en grand nombre. Dans les industries de transformation, la meunerie bénéficia de la généralisation du moulin hydraulique. Les moulins à vent tournèrent à partir du XIIe siècle. Les industries et commerces de l’alimentation s’installèrent. Des centres de fabrication textile, d’ameublement, de décoration, se formèrent et s’étendirent sans cesse. Milan avait 60.000 tisseurs au XIIe siècle. Florence produisait, en 1336, pour soixante millions de francs de tissus de laine. On fabriquait des draperies dans les Pays-Bas, des toiles fines en France, des cotonnades un peu partout. Les Arabes avaient apporté en Europe les industries orientales : tapisserie, teinturerie, broderie, cuiraterie, verrerie, miroiterie, orfèvrerie, céramique, mosaïque, émaillerie, parcheminerie, etc. Des entreprises commerciales créèrent, au XIIIe siècle, la première grande industrie. Ce ne fut pas encore l’organisation de la manufacture. Les marchands faisaient travailler les artisans, leur fournissant la matière première et payant leur travail. Jusqu’au XVe siècle, les petits métiers libres prédominèrent et, avec eux, une entente cordiale entre le capital et le travail. Les fortunes industrielles étaient modestes, pas encore anonymes ; patrons et ouvriers se connaissaient, travaillaient ensemble et se confondaient dans les corporations.

On ne saurait trop insister sur la remarquable expansion communale du temps qui s’écoula entre la pré-Renaissance, aube des temps modernes, et la Renaissance, crépuscule du moyen âge, dans le chevauchement des deux époques. Prospérité économique et gran-