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pour faire un arriviste et un ambitieux, il faut aussi des qualités intellectuelles. Sinon ces tendances, associées à une intelligence médiocre ou débile, feront ou bien un autoritaire insupportable à ses subordonnés (par compensation de son infériorité) lorsque celui-ci se sera haussé par la ruse, la flatterie, la protection à un poste d’autorité, ou bien un paranoïaque.

D’autres causes encore interviennent sur les formes du caractère, à savoir la différence et la multiplicité des aptitudes, des goûts, des curiosités. Les aptitudes sont moins faciles à percevoir que les sentiments. Ceux-ci, qui sont de création sociale et qui s’ajoutent au tempérament et aux tendances de chacun, déterminent la vie morale ; et chacun est obligé de faire attention au caractère de ceux qu’il approche. Les aptitudes n’intéressent pas directement autrui ; et quelquefois ni les parents, ni les maîtres, ni personne n’en veulent tenir compte. Elles peuvent passer complètement inaperçues. Au surplus, il est plus facile de voir grosso modo, au point de vue moral, si un enfant est plus ou moins actif que de distinguer à quel genre d’activité il est le plus apte, d’autant que ses capacités n’éclosent parfois qu’avec lenteur.

Les aptitudes sont, d’ailleurs, assez rarement déterminées dans un sens précis et invariable. Il arrive pourtant que des adolescents se montrent orientés de bonne heure d’une façon nette vers telle ou telle aptitude. Les musiciens de vocation, les mathématiciens, et je parle non seulement des calculateurs comme Inaudi, mais de ceux qui occupent le premier rang dans la science mathématique, montrent déjà des facilités dès leur enfance. Certains dessinateurs aussi (Gustave Doré). Ces qualités dénotent une orientation héréditaire, sans que cette hérédité puisse être fatalement décelée à l’avance dans les aptitudes des parents, chez qui les coordinations ne sont pas toujours assemblées et disposées de façon à produire une sorte d’ébauche ou d’annonciation. Dans la grande majorité des enfants les orientations professionnelles proviennent d’aptitudes plus diffuses, qui se précisent grâce à l’éducation donnée par la famille, grâce à l’influence des lectures, grâce à celle de certains maîtres, grâce encore au spectacle d’un voisin travaillant à la forge ou à l’établi, etc… L’enfant s’habitue à la pensée d’entrer dans telle ou telle profession, il y prend goût. Le penchant se développe par la pratique même du métier, surtout s’il est encouragé par le maître. Les aptitudes ont souvent besoin elles-mêmes d’être encouragées. Ainsi, l’apprenti ou l’élève travaille avec plus de cœur. Le travail fait avec goût est un travail d’art (Linert).

L’intelligence joue donc un grand rôle dans cet affinement. Par ses coordinations de plus en plus affinées et différenciées, le cerveau commande le travail manuel. Et l’individu est d’autant plus habile qu’il est plus intelligent.

En résumé, l’intelligence intervient en partie dans la genèse des aptitudes sous forme de goût intellectuel, c’est-à-dire de curiosité. Ensuite, elle participe à l’affinement de l’habileté technique ou artistique.

Le goût intellectuel est souvent lui-même sous la dépendance du goût moral. Les sentiments sont les conséquences de la vie des hommes en société. Les goûts moraux (ou sentimentaux) comportent tout le domaine des sympathies non seulement individuelles, mais sociales. Notre façon de concevoir la vie et le monde dépend beaucoup de l’éducation et des traditions familiales. Ces sortes de goûts rendent chacun de nous plus ou moins sensible à telle ou telle façon d’agir, influent sur nos sympathies et nos antipathies, sur le jugement que nous portons sur les actions d’autrui, sur nos idées sociales et morales.

Il n’est pas toujours nécessaire que nous ayons les sentiments correspondant à nos goûts. On peut avoir peu d’audace et admirer les audacieux, on peut être

timide et effacé et avoir des goûts révolutionnaires, violents et indépendants et réclamer un dictateur, etc… Dans ce cas, le goût moral représente les aspirations conscientes ou inconscientes de l’individu. Parfois aussi les intérêts, au lieu d’agir directement sur les décisions à prendre, orientent les sympathies ou les antipathies, de telle sorte que les jugements sont subjectifs au lieu d’être objectifs. Les besoins agissent sur les sentiments d’abord, et ceux-ci, sur les opinions. Cette influence est loin d’être générale, sans quoi beaucoup d’opinions seraient incompréhensibles, et on ne s’expliquerait pas pourquoi tant d’ouvriers votent pour les partis conservateurs. La tradition qu’ils ont reçue pendant l’enfance continue à déterminer leurs opinions. D’où la variété des opinions parmi les hommes. En définitive, les opinions doivent être rangées dans la catégorie des goûts plutôt que dans celle des idées. La plupart des gens courbent les idées à la convenance de leurs goûts. Même nos tendances philosophiques sont certainement influencées par nos goûts sentimentaux.

Les goûts moraux, ce sont nos orientations dans le domaine affectif, y compris nos sympathies, nos aspirations, notre idéalisme. Ils ont donc une très grande importance sur le comportement des hommes et ont souvent plus d’importance que les intérêts.

En essayant d’analyser les caractères, nous avons passé en revue le tempérament avec les besoins et les impulsions, la sensibilité avec l’affectivité et les sentiments, enfin les aptitudes, tout cela formant une innéité variable avec chaque individu, et nous sommes arrivés dans le domaine des goûts, domaine qui s’ajoute au caractère, mais qui paraît échapper en grande partie à l’hérédité. Celle-ci peut tout au plus frayer une tendance de coordination à tels ou tels gestes, à tels penchants, à tels ou tels goûts. Mais la plupart des goûts semblent entièrement dépendre d’habitudes, dues au milieu et à l’éducation.

Les besoins et leurs impulsions, venus des organes divers de l’organisme et plus ou moins réglés par leur fonctionnement, en particulier par celui des glandes endocrines, ont leur centre dans ces régions du cerveau, encore mal explorées, tronc cérébral, mésencéphale, diencéphale, où s’étagent les réflexes permanents et innés, tandis que les réflexes temporaires, variables, acquis au cours de la vie individuelle, et que Pavlof a étudiés sous le nom de réflexes conditionnés, se situent dans l’écorce cérébrale.

Les goûts se conduisent comme des réflexes conditionnés qui s’établiraient dans le champ du désir. Ils orientent les désirs, ils les différencient, ils les affirment. Ils deviennent des habitudes.

Le besoin crée la faim, la curiosité, etc…, par conséquent le désir de manger ou celui de savoir. Pour un être indifférent ou pour un être affamé tout est bon pour assouvir le désir. Il n’est pas difficile pour la cuisine. Les clients des maisons de tolérance sont de cette même catégorie.

Le goût est indifférencié chez les tout jeunes enfants ; le nourrisson avalera de l’huile de foie de morue sans répulsion. De même la curiosité diffuse du jeune enfant n’est pas un goût ; elle ne le devient que lorsqu’elle commence à se spécialiser. Mais, de bonne heure, les goûts se précisent. Bientôt, les enfants acceptent difficilement tout aliment qui n’est pas de leur menu habituel. Comme les primitifs, ils ont de la répugnance pour tout ce qui leur est nouveau. Dans un autre domaine, ils ne se lassent pas de se faire raconter les mêmes histoires, mais ils n’acceptent pas les variantes, etc…

Plus tard encore, avec l’expérience, avec la possibilité de comparaisons plus étendues, les goûts prennent une extension plus grande et plus variée. De nouveaux réflexes naissent, c’est-à-dire de nouvelles coordinations. L’entraînement sportif amène un adolescent de faible