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qu’elles soient, dépendent du fonctionnement de l’équilibre des appareils digestif, sexuel, musculaire, respiratoire, circulatoire et déterminent une activité correspondante, qui est enfin influencée par le fonctionnement des glandes endocrines (thyroïde, surrénale, hypophyse, etc.).

Prenons l’exemple de la paresse (tendance à l’inactivité) considérée autrefois et souvent encore aujourd’hui comme un défaut moral, qu’on améliore avec les sermons et qu’on.réprime avec les châtiments. Elle peut être le résultat du surmenage musculaire ou cérébral. Elle peut être aussi la conséquence d’une insuffisance génitale : les castrats sont lents, mous et poltrons. Elle peut être la conséquence d’une insuffisance surrénalienne (fatigabilité), d’une insuffisance hypophysaire, d’une insuffisance musculaire (faiblesse physique), d’une insuffisance respiratoire ou cardiaque, etc. On constate la paresse au moment des poussées de croissance, et aussi chez certains obèses, chez les diabétiques, chez nombre de tuberculeux méconnus, chez les paludéens et les infectés de trypanosomiase, etc., chez ceux qui souffrent d’intoxication chronique, chez les arriérés mentaux, les faibles d’esprit, les déséquilibrés.

Et au point de vue moral que de nuances où l’accusation de paresse n’est qu’un moyen trop commode pour le pédagogue de mettre à couvert sa propre responsabilité. Les enfants timides ont besoin d’être encouragés. Pour les turbulents, il faut faire une part plus grande à leur activité physique et veiller à une alimentation rationnelle, d’où notamment les boissons alcoolisées et le café seront exclus. Une éducation trop sévère ou trop fantasque provoque des chocs émotifs et dépressifs répétés et amène une anxiété, une indécision, un déséquilibre persistants. Une instruction ennuyeuse, dispensée par un pédagogue idiot, provoque le dégoût. Combien d’enfants, prétendus paresseux, sont simplement rebutés par l’enseignement qu’ils reçoivent ! Enfin la paresse des adultes vient parfois de ce qu’ils sont astreints à une besogne qu’ils n’ont pas choisie, et pour laquelle ils n’ont ni goût, ni aptitude, ni intérêt pécuniaire. Reste la paresse qui est due à l’influence du milieu, milieu de vie facile, milieu d’oisiveté et de noce, où les adolescents, et surtout les adolescentes, peuvent se laisser engluer.

Les mêmes causes physiologiques, et en particulier la thyroïde, influent également sur la sensibilité (émotivité) ou l’apathie, etc.

Elles déterminent donc le tempérament et par conséquent en bonne partie le caractère, suivant l’activité fonctionnelle plus ou moins grande de chacune d’elles, et suivant leur association, entraînant ainsi les comportements les plus divers.

Là-dessus s’ajoutent les sentiments acquis au cours des âges, grâce à la vie sociale et transmis par hérédité. Je ne vois que le sentiment maternel qui paraisse primitif, en ce sens qu’il apparaît déjà assez tôt dans la série animale. À cause de la longueur de l’enfance, où les « petits d’homme » ont besoin de protection, il s’est développé davantage que dans les autres espèces animales. La douceur, le souvenir, la reconnaissance de cet amour et de cette protection se sont enracinés au cœur des enfants, même devenus grands. Point de départ d’une affectivité plus étendue, et qui s’est développée avec l’entraide sociale. Protection des adultes, et plus tard des pères, sur les petits. Amitié fraternelle entre camarades de la même génération. D’autre part, l’émotivité a été développée par les heurts de la vie en société, par la répression brutale exercée par la collectivité en cas de défaillance. La crainte et l’humiliation ont donné naissance à la honte, à la timidité, à la pudeur, l’approbation d’autrui à l’orgueil et à l’esprit de domination, qu’entretient la servilité craintive des faibles et que favorise l’inégalité sociale grandissante.

Ces divers sentiments ont créé l’amour-propre, sorte de sensibilisation aux chocs moraux.

La conscience morale, qui est l’amour-propre vis-à-vis de soi-même, est venue plus tard. Elle a fini peu à peu par constituer le fondement de la nouvelle morale, La toquade de Socrate était d’apprendre à chacun à se juger soi-même. Les stoïciens surtout ont érigé en principe le perfectionnement de la personnalité. Pendant ce temps, les religions elles-mêmes évoluèrent. À la place des anciennes religions de clan, de tribu ou de cité qui « poursuivaient un intérêt collectif de caractère temporel » (Loisy) et qui ont vécu tant que le clan, la tribu ou la cité ont eu une vie indépendante, les religions nouvelles d’Attis, d’Isis ou de Mithra, et celle qui devait triompher, celle du Christ, ne s’occupaient plus que du bien spirituel des individus et de leur bonheur dans l’immortalité. Ainsi elles ont habitué leurs fidèles à l’examen personnel de conscience.

Mais la conscience morale ne s’oppose pas toujours à l’esprit de domination, et, prenant la forme de puritanisme, elle donne l’orgueil aux purs avec le droit de mépriser et de dominer ceux qui ne sont pas purs comme eux.

Les sentiments affectifs, ainsi créés, sont tellement implantés en nous que les philosophes les considèrent comme innés. En réalité, ce sont là réflexes coordonnés, acquis peut-être depuis des centaines de milliers d’années, et transmis. Cependant on rencontre encore aujourd’hui des gens chez qui les sentiments affectifs sont restés à des stades de développement fort différents. L’amour-propre, par exemple, n’est pas le même chez tout le monde. Les uns ne montrent qu’une réaction obtuse et qui frise l’indifférence, tandis que beaucoup d’autres ne sont sensibles qu’à l’opinion d’autrui, et que d’autres enfin, qui ne sont encore qu’une minorité, sont surtout sensibles à leur propre et silencieux examen de conscience. Dans le milieu même où nous sommes actuellement, nous vivons avec des gens dont les uns sont des infantiles ou des primitifs, d’autres à différents âges de l’adolescence, d’autres enfin des adultes ou des civilisés. Et chez le même individu les réactions affectives ne font pas toujours un tout harmonieux.

L’éducation n’agit pas directement sur les tempéraments. Elle agit indirectement sur les caractères dans le domaine affectif. Elle aura surtout de l’influence sur les enfants pourvus d’une affectivité déjà développée (sur les émotifs). Elle s’efforcera de favoriser chez les autres, par la confiance et l’amour, une affectivité plus grande. Elle n’aura presque pas d’influence ou pas du tout chez ceux qui en sont dépourvus et qu’on dénomme les pervers (mental insanity), et qui ne sont qu’en petit nombre.

En somme, tempérament et affectivité déterminent des caractères extrêmement différents les uns des autres et dont les comportements varient en conséquence. C’est ainsi que l’avidité (tempérament) et l’orgueil (sentiment) engendrent l’esprit de domination, tandis que l’apathie (tempérament) et la timidité (sentiment) donnent l’esprit de soumission. L’activité, en s’associant à l’orgueil, développera l’ambition. L’égoïsme et l’avidité, en s’associant à la peur, donneront l’avarice, tandis que l’exubérance et la vanité pousseront à la prodigalité. L’égoïsme et l’orgueil s’opposent au développement de la sensibilité affective et, en s’associant à la sensualité, peuvent donner lieu à la cruauté, qu’il ne faut pas confondre avec la brutalité. L’émotivité prédispose à la pitié et, avec l’appui de l’exubérance, à la générosité. Toutes ces associations peuvent se présenter avec des dosages variés et différents. Il n’y a pas que la timidité craintive, ou humilité. L’émotivité et l’orgueil peuvent donner une timidité fière, variable avec les autres composants et allant de l’amour jusqu’au mépris d’autrui et à l’esprit de dénigrement. Il ne suffit pas de l’avidité, de l’activité et de l’orgueil