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nent, quémande les faveurs des politiciens qu’il dénonce, s’enrôle, contre lui-même et contre ses frères, dans les troupes mêmes du régime… tartuferie de la vie sociale, économique, familiale, intérieure !…

Tartufe est partout dans la société et aussi dans l’homme, là où se dérobe la vraie nature des choses et des êtres, où la vérité languit et saigne, où triomphe le carnaval — hélas tout puissant ! — de la suprématie, du lucre, de l’intérêt et de l’envie. — Stephen Mac Say.


TAYLORISME n. m. C’est vers le début de 1913, à la suite d’un voyage aux États-Unis, que M. Charles Faroux fit connaître le système Taylor en France. Il paraît, d’ailleurs, si j’en crois notre camarade Maurice Lansac — et je n’ai aucune raison d’en douter — que l’ingénieur Frédéric Winslow Taylor n’est pas l’inventeur du système qui porte son nom. Le taylorisme, système de mécanisation des gestes de l’homme pendant le travail, est d’origine française. C’est une application partielle de ce que l’École Sociétaire appelait autrefois, au temps de Fourier, « le travail attrayant ».

Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’après les expériences de Taylor aux fonderies de Pittsburg en 1910 et 1911, que le « Taylorisme », qui devait devenir plus tard l’élément fondamental de la « Rationalisation » fut propagée et qu’on tenta de le généraliser.

Comme tous les novateurs, bons et mauvais, Taylor ne manqua pas d’essayer, pour asseoir son système, de lui donner des bases à la fois morales et matérielles. Selon lui, les intérêts des patrons, des ouvriers et des consommateurs, loin d’être antagonistes, sont convergents. Taylor ne le démontre d’ailleurs pas ; il se contente de l’affirmer. C’est plus facile et moins dangereux. « Les patrons, dit-il, ont intérêt à faire produire le plus possible au taux le moins élevé ; les ouvriers bénéficient de l’augmentation quantitative de la production et les consommateurs de la diminution des prix de vente. »

Le raisonnement est simple, trop simple. Il est même séduisant a priori et peut paraître juste si on ne l’approfondit pas. Mais, si on cherche à examiner la question d’un peu près, on s’aperçoit immédiatement que le patron, en payant la même somme de salaires et de frais généraux, augmente sensiblement son profit ; que, pour toucher le même salaire, l’ouvrier doit produire beaucoup plus et que le consommateur paie le prix fort, comme précédemment et généralement, n’en a pas pour son argent. Et, en définitive, on constate que le seul bénéficiaire de l’application du « Taylorisme » est le patron.

En outre, lorsque Taylor prétend que son système repose sur des bases physiologiques et psychologiques certaines, il exagère et se moque du monde, à proprement parler.

En effet, nul ne peut admettre qu’un effort prolongé, à cadence accélérée, sans repos, ne comportant aucun moment de détente, accompli mécaniquement, sans réfléchir, sans intérêt ni attrait, ne produise point physiquement et psychologiquement, une usure rapide des forces des facultés de l’homme.

A la vérité, le système Taylor n’a pour but que d’utiliser à son maximum l’effort physique de l’homme, sans se préoccuper le moins du monde de son état psychologique. Il le mécanise de façon telle, qu’il réduit le « temps perdu » à zéro. L’effort est si violent, la cadence est si vive, que l’homme sombre dans l’abrutissement après le travail et pense à peine à réparer ses forces pour le lendemain. A 40 ans, souvent avant, « l’homme taylorisé » est usé, fini, impropre à tout travail.

La pire condamnation contre le Taylorisme fut prononcée par Taylor lui-même.

N’est-ce pas lui, en effet, qui, répondant à cette question de Charles Faroux : Où sont vos vieux ouvriers ? lui montrait le cimetière d’un geste expressif ? Une telle réponse se passe de commentaires. Les esclavagistes de

l’antiquité étaient tout de même plus humains, en général.

Lorsque Taylor commença à applíquer sa méthode au chargement des gueuses de fonte sorties des usines de Pittsburg, voici comment il pratiqua : il chronométra le temps employé, en décomposant chaque mouvement des ouvriers pour charger un tonnage déterminé. Il étudia les gestes accomplis librement par l’homme et élimina ceux qui lui paraissaient inutiles.

Il reprit son expérience, avec la même équipe, mais en l’obligeant à abandonner les mouvements jugés par lui « superflus » et établit ainsi une cadence constante de l’effort.

Le résultat obtenu ayant été favorable à ses desseins, Taylor constitua une équipe-étalon, composée d’hommes jeunes et forts, qui travailla dans les conditions nouvelles et « poussa la charge » à son point maximum. Bien entendu, l’expérience fut concluante. Le rendement fut beaucoup plus considérable dans un temps équivalent.

C’est alors qu’il entreprit le « dressage », le mot n’est pas trop fort, des chargeurs de Pittsburg, sans se préoccuper si les gestes éliminés, qualifiés d’inutiles par Taylor, n’étaient pas, en réalité, des mouvements de détente, de récupération, de délassement physique et mental.

Il ne tarda guère à imposer à tous les ouvriers de l’usine, dans toutes les branches de la production, la tâche accomplie dans chacune d’elles par des sujets spéciaux, dans des conditions particulières de durée. Le système Taylor était né. Tous ceux qui ne purent atteindre le rendement imposé et suivre la cadence furent impitoyablement éliminés. Seuls, les forts résistèrent, pour un temps. Les autres n’eurent qu’à disparaître. Le cimetière les reçut. Jamais encore le travail à la tâche n’avait atteint un tel degré de barbarie.

Le système fut, pourtant, généralisé dans l’industrie américaine ; il ne disparut que pour faire place à d’autres méthodes, plus modernes mais aussi barbares : le travail à la chaîne, par exemple, aujourd’hui employé à peu près partout, même dans les bureaux.

Basé sur la décomposition des mouvements de l’ouvrier, assignant à chacun d’eux un temps d’accomplissement maximum, le nouveau système Taylor tend toujours d’obtenir de l’homme la production la plus élevée dans le temps minimum, pour le prix le plus bas. On ne cherche même plus, comme Taylor, à le justifier par des considérations physiologico-psychologiques. Au fond, c’est plus honnête et plus franc. C’est l’exploitation dans toute sa brutalité.

L’homme mécanisé d’aujourd’hui n’a plus un instant pour réfléchir. Incorporé à sa machine, il exécute comme un automate la tâche qu’il doit accomplir. Pour lui, les courbes de fatigue n’existent pas. Seul compte le graphique de production établi dans un temps record, ce temps que dans sa bêtise, il dépassera le lendemain sans se rendre compte que, pour maintenir son salaire au même niveau, il devra produire toujours plus et pour le seul bénéfice de son patron insatiable. C’est l’histoire de l’âne qui court autour du cirque pour attraper la carotte que lui tend, à bonne distante du nez, son cavalier facétieux.

Il a beau courir, il ne la saisit jamais. De même l’ouvrier a beau produire pour gagner plus, il n’arrive qu’à augmenter son rendement sans élever son gain ; à « se crever » à la tâche prématurément, sans avoir la joie de pouvoir vivre du produit de son effort. Qu’importe aux patrons l’état psychologique de leurs ouvriers ! N’ont-ils pas intérêt à ce que ceux-ci, abrutis par une besogne de bête, ne pensent ni ne raisonnent ? Qu’adviendrait-il de leurs privilèges si leurs esclaves pouvaient penser, raisonner… et agir ? Ils le savent fort bien. Disons, d’ailleurs, carrément qu’ils sont dans leur rôle, si ignoble qu’il soit et que ce sont les travailleurs, en se laissant imposer un tel traitement, qui ne sont pas dans le leur.