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SYN
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de sur laquelle cette société s’appuiera avec sûreté. Ils n’entendent pas davantage accaparer la vie tout entière. Ils demandent seulement que la vie économique, administrative et sociale repose sur des bases solides, que le système social soit homogène dans toutes ses parties ; que chacun, sur son plan, accomplisse sa tâche, toute sa tâche. Ils ne veulent ni subordination, ni préséance. Ils entendent que l’égalité sociale devienne une réalité, pour les hommes et les groupements.

Leur ambition, leur unique ambition consiste à vouloir être les fondements solides de l’ordre social nouveau ; à évoluer techniquement et socialement avec cet ordre, pacifiquement ; à développer sans cesse leurs connaissances pour intensifier le bien-être de tous ; à réduire au minimum la peine des hommes, tout en satisfaisant aux besoins de tous.

Qui peut s’élever contre une ambition aussi raisonnable, aussi légitime ?

Aux communes libres, fédérées et confédérées d’administrer les choses et de donner aux hommes les institutions sociales correspondantes et susceptibles de traduire dans la vie de chaque jour les désirs et les aspirations des individus.

À chacun sa tâche. Celle du syndicalisme est assez vaste pour qu’il n’ambitionne que de la remplir tout entière, sans vouloir en accaparer d’autres qui ne lui reviennent pas.


Substitution de la notion de classe à la notion de parti. — Ayant proclamé la nocivité et l’inutilité de l’État et démontré la faillite irrémédiable de tous les partis politiques, le syndicalisme se doit d’en tirer la conséquence logique.

Il affirme donc la nécessité, pour les travailleurs, en raison de la concordance permanente de leurs intérêts, de substituer la notion de classe à la notion de parti.

Il est, en effet, prouvé que les partis ne sont que des groupements artificiels, dont les éléments s’opposent les uns aux autres, en raison de la discordance de leurs intérêts.

Qu’attendre d’un parti qui contient dans son sein des patrons et des travailleurs, des exploiteurs et des exploités ?

Qu’y a-t-il de commun entre l’intérêt d’un patron socialiste ou communiste — et même anarchiste — et celui de son ouvrier ?

D’accord au siège de la section — théoriquement s’entend — leur opposition deviendra irréductible dès qu’ils se trouveront face à face à l’atelier, au chantier, au bureau, etc., c’est-à-dire pratiquement.

Et quelle que soit, de part et d’autre, leur bonne volonté, ils ne pourront jamais résoudre ce différend qui restera, entre eux, permanent.

Ceci implique naturellement que le patron et l’ouvrier socialistes, communistes ou anarchistes n’ont, entre eux, rien de commun ; que leur intérêt de patron et d’ouvrier s’oppose fondamentalement et les empêche d’agir pour un but qui ne leur est commun que par l’esprit. L’impuissance des partis, de tous les partis, n’a pas d’autre raison.

Et cette raison suffit à condamner la notion de parti et à lui substituer la notion de classe.

Là, sur le plan de classe, la délimitation est nette. Pas d’éléments hétérogènes aux intérêts divergents.

Au contraire, et en dépit de certaines différences habilement exploitées et maintenues par le capitalisme, les intérêts sont concordants, les aspirations sont identiques, les buts sont communs.

Rien ne s’oppose donc à ce que de tels éléments s’unissent et agissent de concert.

L’expérience renouvelée a, d’ailleurs, démontré que seuls les groupements de classe, par leur caractère homogène, pouvaient mener des luttes fécondes, qu’il s’agisse de forces ouvrières ou de forces patronales.

Je demande donc, sans hésitation, aux travailleurs, de substituer la notion de classe à celle de parti et, en conséquence, d’abandonner les partis et de rallier les syndicats révolutionnaires.


Le syndicalisme ne peut être neutre. — Le fait de proclamer la faillite des partis et de leur substituer les groupements naturels de classe que sont les syndicats, implique la nécessité absolue, pour le syndicalisme, de combattre tous les partis politiques sans exception.

La neutralité des syndicats proclamée à Amiens en 1906, a été dénoncée, en novembre 1926, par le congrès constitutif de la C. G. T. S. R.

Cette décision, très controversée à l’époque, même dans nos milieux, n’était pourtant que la conséquence logique de la substitution de la notion de classe à la notion de parti.

Il est à peine besoin d’affirmer que les événements actuels, qui démontrent avec une force accrue la carence totale des partis, nous font une obligation indiscutable, non seulement de rompre la neutralité à l’égard des partis, mais encore d’engager ouvertement la lutte contre eux.

S’il en était autrement, il serait inutile d’avoir prononcé la condamnation de l’État, démontré l’incapacité des partis à résoudre les problèmes dont le salut de notre espèce dépend.

La neutralité a donc vécu. On ne manquera pas, certes, d’affirmer encore que c’est une erreur de l’avoir dénoncée.

Il se trouvera encore, même dans nos rangs anarchistes, des camarades pour prétendre que cette attitude nous contraint à n’être jamais qu’un mouvement de secte.

J’ose leur dire que c’est le contraire qui est vrai.

Ce ne sont pas des chrétiens, des radicaux, des socialistes, des communistes qu’il s’agit de réunir dans un mouvement de classe, mais des travailleurs en tant que tels.

Nous leur demandons donc de cesser d’être des chrétiens, des radicaux, des socialistes, des communistes, réunis dans un groupement voué d’avance à l’impuissance, en raison de la diversité des idées de ses composants — ce qui est bien le cas actuellement — pour devenir des travailleurs, exclusivement des travailleurs aux intérêts concordants.

Nous les prions, en somme, d’abandonner les luttes politiques stériles pour les luttes sociales pratiques et fécondes ; de passer de la constatation de fait à l’action nécessaire ; de s’unir, sur un terrain solide au lieu de se diviser pour des fictions.

Pour ma part, je considère qu’une telle union, dont la fécondité est certaine, est une chose beaucoup plus facile à réaliser que de choisir le « bon parti », le vrai parti prolétarien, parmi tant d’autres.

Si les travailleurs avaient abandonné les partis à leur sort, s’ils les avaient combattus, ils ne seraient plus les esclaves du Capitalisme.

Depuis longtemps, ils seraient libres et s’ils veulent réellement le devenir, il importe qu’ils cessent de croire aux vertus des partis dits « prolétariens » qui comptent tant de bons et solides bourgeois dans leur sein et n’aspirent qu’à étrangler une révolution qu’ils n’appellent que dans la mesure où ils la savent inévitable.


Tels sont les quelques points, importants à mon avis, qu’il m’a paru nécessaire de traiter dans cette étude volontairement restreinte.

Je n’ai abordé ni les bases ni les principes du fédéralisme, ni le rôle des syndicats pendant la lutte violente, dans la défense de la révolution, ni les problèmes des échanges et du moyen d’échange, ni celui de la synthèse de classe, ni la question agraire.